En 2017, M. Macron avait été presque académique et un peu emphatique à la Sorbonne. Ce 25 avril 2024 il y a été plutôt laborieux et technocratique.
La politique vagabonde
Il avait appelé de ses vœux une Europe souveraine, il souhaite désormais, dans son prolongement, une Europe puissante. Mais la puissance reste pour lui dans la construction d’une Europe centralisée au risque de son impotence. Il avait demandé en 2017 que la politique agricole ne soit pas « une politique de suradministration de tous les territoires de l’Union européenne, de toutes les filières… ». Inquiet des colères paysannes qu’il a suscitées, il affirme encore en 2024 vouloir « stopper la surrèglementation ». Mais que diable ne l’a-t-il pas fait depuis 7 ans !
Il forme de nouveaux vœux en faveur d’une défense forte, d’un bouclier européen antimissiles : il observe que la guerre en Ukraine, qui est aussi une attaque contre la démocratie, nous oblige à changer de paradigme. Il a raison mais n’a-t-il pas affaibli lui-même l’Europe en tergiversant si longtemps avant de soutenir l’Ukraine ardemment, en dénigrant l’OTAN avant de s’y rallier ? En effet il faut, comme il le souhaite, unir nos efforts face aux risques militaires, cyber, nucléaires… Il est temps de « retrouver la maîtrise de nos frontières pleinement, entièrement et l’assumer » contre de potentiels ennemis et contre des vagues d’immigration non contenues. Mais les positions vagabondes du président de la République sur ces sujets n’y aident pas : il a piégé ses oppositions fin 2023 en faisant sciemment retoquer, par un Conseil constitutionnel conciliant à son égard, le texte qu’il avait encouragé les parlementaires à adopter pour mieux contrôler l’immigration. Que de ruses et de manipulations contraires à ses propos de la Sorbonne !
L’interventionnisme européen
Macron a raison de s’inquiéter, avec M. Letta, que depuis 1993 le PIB brut par habitant ait progressé de 60% aux Etats-Unis et de 30% en Europe, alors que la croissance a ralenti drastiquement en 2023 en Europe et que les investissements étrangers y reculent tandis qu’ils progressent d’autant aux Etats-Unis. Mais en réaction, il demande que l’UE multiplie les plans d’investissement en matière de défense, d’intelligence artificielle, de décarbonation… Pour ce faire il envisage des moyens qui affaibliront l’Europe et ses pays membres :
- lancer de grands emprunts alors que la France surendettée ne sait déjà plus comment elle remboursera sa propre dette ;
- élargir les missions de la Banque centrale européenne (BCE) par l’introduction d’un « objectif de croissance», voire de « décarbonation » qui nuira à son indépendance et à la stabilité monétaire ;
- limiter la concurrence en insérant « dans nos traités la préférence européenne dans nos secteurs stratégiques, le nucléaire et le spatial» autant qu’en matière de défense, d’IA, de technologies vertes ;
- « … bâtir un système avec supervision unique, règles communes de faillites et des éléments de convergence de fiscalité… », ce qui reviendra à augmenter encore les régulations dans ces domaines.
Ce n’est pas en singeant le gigantesque plan américain d’aide à l’investissement (IRA) et l’interventionnisme chinois que nous gagnerons la bataille. Ce n’est pas non plus en faisant de l’Europe « le premier continent zéro plastique », en se gargarisant de gadgets comme la majorité numérique, qui viendrait déresponsabiliser les parents, ou la « libre circulation des électrons décarbonés » !
L’Europe a besoin de plus de liberté et de moins de contraintes, de plus d’entrepreneurs et de moins de fonctionnaires. Elle doit faire comme Gladstone qui a enrichi l’Angleterre au XIXème siècle en réduisant drastiquement ses droits de douane sans attendre que les autres pays le fassent, afin de libérer le commerce et aviver la concurrence tout en diminuant l’impôt pour laisser l’argent, disait-il, « fructifier dans les poches du peuple ».
La civilisation n’est pas l’uniformisation
« L’Europe aujourd’hui est mortelle, elle peut mourir » nous dit le président de la République avec les mots de Valéry qu’il cite sans les entendre, car il ne saurait défendre notre civilisation en excluant nos cousins d’Amérique et les pays d’Europe qui ne partageraient pas ses idées libertaires sur les questions sociétales. Il ignore la richesse de notre civilisation bâtie dans la diversité des nations qui la composent plutôt que dans leur uniformisation mortifère. Il rêve d’un empire gouverné d’en haut et dont il aimerait peut-être, comme tant d’autres trop jeunes présidents avant lui, prendre la tête quand il aura dû quitter ses fonctions actuelles. Certes il évoque la subsidiarité, mais il en fait toujours, à la façon de Jacques Delors, un contresens manifeste en l’utilisant de haut en bas quand elle doit fonctionner de bas en haut.
L’Europe a connu des empires, de Charlemagne à ses successeurs Habsbourg. Mais ceux-ci ont élevé la civilisation en respectant, non sans combats, la diversité des peuples. Les pouvoirs européens ont été civilisateurs tant que leurs excès naturels ont été endigués par la pluralité des pouvoirs féodaux, territoriaux, ecclésiastiques… Ils ont mis en péril la civilisation lorsqu’ils ont voulu s’approprier tous les pouvoirs, de Napoléon à la Prusse rêvant de dominer le monde. Les pouvoirs absolus sont ceux qui développent des totalitarismes, nazis, communistes, islamistes ou autres. Et l’Europe mourra si elle poursuit à marche forcée une centralisation uniformatrice. Elle s’étiolera si elle perd la vitalité que créée la concurrence entre les nations comme entre leurs entreprises, leurs universités, leurs individus. Elle perdra sa capacité d’innover, de débattre, de s’émanciper si elle doit se plier à un moule unique. La force même des Etats-Unis, c’est celle de ses Etats qui ont été jusqu’à récupérer devant la Cour Suprême leur droit de décider des lois en matière d’avortement. M. Macron tuera la civilisation qu’il dit vouloir sauver s’il poursuit sa vision d’une Europe constructiviste et désincarnée.