A l’occasion du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, la question de la fiscalité du tabac à chauffer est venue à plusieurs reprises dans les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, en commissions comme en séance publique.
Sans doute à l’instigation du lobby anti-tabac, comme le Comité de lutte contre le tabagisme (CNCT) avec lequel l’IREF a déjà eu maille à partir, un amendement a été adopté au Sénat le 18 novembre pour alourdir la fiscalité sur le tabac à chauffer.
Des propositions pour alourdir la fiscalité
Rappelons que le tabac à chauffer est aujourd’hui inclus dans la catégorie « autres tabacs à fumer » qui comprend tous les produits n’ayant pu être rangés dans les autres catégories (cigarettes, cigares et cigarillos, tabac à rouler, tabacs à mâcher et tabacs à priser). Une catégorisation qui n’est pas satisfaisante car le tabac à chauffer n’est aucunement un « tabac à fumer » et qu’il se trouve ainsi assimilé à des produits du tabac combustible comme le tabac à pipe, à narguilé ou à chicha.
Ce classement fait que le tabac à chauffer est moins taxé que les cigarettes ou le tabac à rouler, mais qu’il l’est davantage que les cigarillos par exemple. Et si l’on rapporte la taxation au poids, on constate que le tabac à chauffer est le produit qui supporte le plus de taxes pour un kilogramme (de 620 à 700 euros).
Vouloir taxer le tabac à chauffer comme les cigarettes, c’est-à-dire encore accroître la fiscalité, comme l’ont proposé les sénateurs Chantal Deseyne (LR, Eure-et-Loir), Nadège Havet (LREM, Finistère) et Jean-Yves Roux (RDSE, Alpes de Haute Provence), peut donc paraître étrange, pour ne pas dire inapproprié alors que la question du pouvoir d’achat fait la une de l’actualité et que la France est le pays qui taxe le plus fortement le tabac à chauffer dans l’Union européenne (UE). En effet, près des deux-tiers des États de l’UE ont créé une catégorie fiscale spécifique pour le tabac à chauffer aboutissant à une taxation égale ou inférieure au produit du tabac le moins taxé – en général le tabac à rouler. Accroître les taxes sur le tabac à chauffer augmenterait l’écart avec nos voisins et renforcerait le marché noir.
Manifestement ces trois sénateurs n’ont pas lu l’étude de l’IREF « Repenser la fiscalité des nouveaux produits du tabac et de la nicotine pour lutter contre le tabagisme » pas plus que celle intitulée « Pertinence et efficacité de la fiscalité comportementale ». Élisabeth Doineau (UDI, Mayenne), rapporteur général de la commission des affaires sociales, qui a soutenu les amendements déposés par ses collègues, ne semble pas non plus connaître nos travaux.
Des parlementaires qui ont lu les rapports de l’IREF ?
D’autres, en revanche, pourraient avoir eu connaissance des travaux de l’IREF. C’est le cas de Catherine Deroche (LR, Maine-et-Loire) – auteur d’un rapport sur la fiscalité comportementale en 2014 avec son collègue Yves Daudigny – et de René-Paul Savary (LR, Marne).
Catherine Deroche a préféré s’abstenir et ne pas voter les amendements proposés par ses collègues. Elle a indiqué que les représentants de l’Institut national du cancer (INCa) s’étaient montré réservés sur le bienfait du tabac à chauffer par rapport au tabac à brûler, mais que d’autres personnes auditionnées par la commission avaient insisté sur l’absence de combustion et donc sur la diminution du risque cancérigène de ce produit.
Son collègue René-Paul Savary a précisé : « Pour ma part, j’ai essayé le tabac à chauffer. Et ma foi, quitte à ne pas s’arrêter du tout de fumer, mieux vaut consommer celui-ci. Les expériences qui ont été menées montrent que certaines personnes ne parviennent pas à abandonner la cigarette. C’est terrible ! Mais que fait-on alors ? Si le tabac à chauffer peut-être un moyen d’éviter d’inhaler un certain nombre de substances toxiques, alors pourquoi pas ? Il faut faire preuve d’humilité dans la manière d’aborder cette question. Par conséquent, je ne soutiendrai pas cet amendement ».
La marche lente vers une politique de réduction des risques
Si le Sénat a finalement adopté l’amendement alourdissant la fiscalité du tabac à chauffer, l’Assemblée nationale a supprimé la mesure sur la recommandation du rapporteur de la commission des affaires sociales, Thomas Mesnier (LREM, Charente) pour des « raisons de cohérence entre les produits les produits du tabac eux-mêmes puisque l’alignement sec sur la fiscalité applicable aux cigarettes ne s’appuie pas sur des arguments clairs et définitifs prouvant une nocivité égale ».
Le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le PLFSS précise : « Le placement des tabacs à chauffer dans la même catégorie que les cigarettes semble par ailleurs contre-intuitif, notamment au regard des autres catégories de tabac manufacturé. Les études récentes sur ce sujet ne concluent certes pas à une absence de nocivité des tabacs à chauffer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime ainsi que « la réduction de l’exposition à des produits chimiques nocifs contenus dans les produits du tabac chauffés ne les rend pas sans danger et ne se traduit pas non plus par une diminution des risques pour la santé humaine » et que les conséquences sanitaires de l’exposition à ces toxines sont actuellement inconnues. Une autre étude [ndlr : menée par l’Institut Pasteur de Lille sur financement de l’INCa] souvent citée dans les débats relatifs aux tabacs à chauffer, conclut toutefois que « l’aérosol de cigarette chauffée (HTP) présente une cytotoxicité réduite par rapport à la fumée de cigarette, mais plus élevée que les émissions de vapotage », bien que les tabacs à chauffer comprennent encore un degré élevé de carbonyles… À l’inverse, il ne serait pas pertinent d’exonérer le tabac à chauffer de la fiscalité applicable aux tabacs nocifs ». Par conséquent, selon le rapporteur Thomas Mesnier, il « ne semble pas proportionné de placer les tabacs à chauffer dans la catégorie des cigarettes, au risque d’encourager le report de personnes qui utilisent ce mode alternatif de consommation de tabacs manufacturés vers les cigarettes ou le tabac à rouler ».
Alors si nous sommes encore loin de la mise en place d’une politique de réduction des risques et d’une fiscalité fondée sur la science et proportionnée au risque des produits, comme nous le proposons à l’IREF, il semble qu’il y ait eu une prise de conscience lors de ces débats budgétaires.
Nous espérons que nos travaux ont pu y contribuer. En tout cas, nous continuerons à diffuser nos propositions avec l’ambition de renouveler l’approche de la lutte contre la cigarette, en la rendant plus rationnelle et plus efficace, en particulier en l’appuyant sur une fiscalité dont l’objectif premier n’est plus d’augmenter les recettes budgétaires coûte que coûte, mais bien d’améliorer la santé des Français.
3 commentaires
Quand les travaux de l’IREF ont des répercussions au Parlement
C’aurait été bien d’expliquer en quoi consiste le tabac à chauffer.
Quand les travaux de l’IREF ont des répercussions au Parlement
Monsieur Gautron,
Merci pour votre message.
La place nous manquait pour expliquer à nouveau ce qu’est le tabac à chauffer. Mais vous saurez tout en consultant nos deux études citées dans l’article.
Cordialement
Quand les travaux de l’IREF ont des répercussions au Parlement
Ce dont je suis sûr, c’est que ça va finir par « CHAUFFER ».