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Pour réformer les institutions il faut une stratégie : le cas de la Rule of Law en Ukraine

Cet article est extrait du Journal des libertés n°21 (été 2023)

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Tout comme les progrès dans l’approvisionnement en armes sont systématiquement en retard sur les besoins de l’armée ukrainienne, la compréhension qu’entretiennent les experts étrangers des principaux problèmes institutionnels auxquels est confrontée l’Ukraine est malheureusement en retard par rapport aux besoins réels des Ukrainiens (et en retard également par rapport à la littérature scientifique la plus pointue sur le sujet). Dans les années 1990, évoquer la corruption au sein du gouvernement ukrainien et mettre en doute sa bienveillance était chose taboue au sein de la communauté des conseillers étrangers ; c’était « politiquement incorrect ». Puis, pendant la vingtaine d’années qui suivit, tout écart dans la mise en œuvre des «_bonnes » normes et pratiques, tous les échecs subis dans les réformes, ont été uniquement attribués à la corruption, les mesures punitives anti-corruption étant considérées comme la solution miracle. De ce point de vue, il est encourageant de constater qu’aujourd’hui certains experts étrangers commencent à mettre l’accent sur le concept plus large de Rule of Law faisant de ce principe un point focal pour les réformes à venir. La Rule of Law[1] est en effet la clé des changements systémiques qui pourraient transformer l’Ukraine en une démocratie libérale légale et prospère. Certaines réformes pertinentes ont finalement fait leur chemin dans la conditionnalité de l’aide occidentale et de l’adhésion à l’UE. Cependant, malgré des progrès notables, cela semble insuffisant pour la modernisation sociétale réussie et rapide dont l’Ukraine a besoin pour devenir un pays prospère et un membre apprécié de l’UE.

L’ensemble des réformes proposées par les experts internationaux, façonnant la conditionnalité de l’aide reçue par l’Ukraine, peut sembler adéquate sur le papier. Mais l’Ukraine possède déjà toutes les composantes nécessaires de la Rule of Law au niveau formel et c’est dans le domaine informel que se trouve le vrai défi. Les réformes proposées et imposées sont-elles suffisantes pour établir une Rule of Law pleine et entière en Ukraine ? Quelle coalition politico-économique a la capacité de faire avancer ces réformes ? Ces réformes peuvent-elles être mises en œuvre sans être perverties ni entraîner des conséquences imprévues désastreuses, comme cela s’est souvent produit dans le passé ?

Telles sont les questions qu’il faut se poser lorsqu’on envisage des réformes dans un pays semblable à l’Ukraine. Malheureusement, la prépondérance d’une approche normative, insuffisamment étayée par des recherches empiriques, est un biais préjudiciable et fréquent dans l’aide que l’Occident apporte à de nombreux pays. Il conduit au gaspillage de ressources rares et, dans de nombreux cas, produit des résultats désastreux. Les échecs récents de cette aide en Irak et en Afghanistan, ainsi que le génocide rwandais, nous le rappellent brutalement.

Ainsi l’Ukraine a-t-elle reçu une aide substantielle, souvent subordonnée à certaines réformes, mais les résultats, bien que sans doute meilleurs que ceux récoltés en Afghanistan, ont souvent été en deçà des attentes. L’aide internationale, au-delà de ses contributions positives, a aidé par inadvertance à renforcer le régime répressif de Leonid Koutchma, n’a pas réussi à fournir à la « Coalition orange » un programme de réformes complet et opportun et a permis à Ianoukovitch de cacher sa kleptocratie sous une couverture pseudo-réformiste. Mettre l’accent sur l’indépendance du pouvoir judiciaire plutôt que sur une refonte systémique et s’appuyer sur des politiques punitives de lutte contre la corruption plutôt que sur la prévention ne sont que deux exemples d’approches erronées des donateurs qui ont empêché que des progrès significatifs soient opérés dans le renforcement des institutions, comme l’exigeaient les acteurs de la Révolution de la Dignité[2]. Si de telles erreurs ou des erreurs similaires devaient être répétées dans la phase de rénovation d’après-guerre à venir, cela entraînerait une déception généralisée, un renversement du processus de démocratisation, un échec de l’adhésion à l’UE ou des problèmes substantiels pour l’UE dans l’hypothèse où l’adhésion est réalisée sur la base de considérations politiques, en négligeant la nécessité de progrès réels en matière de développement institutionnel.

Une approche non systémique des réformes ressemble à une approche non systémique des opérations militaires, entraînant des conséquences tout aussi désastreuses. Bien que l’infanterie puisse éventuellement capturer, nettoyer et contrôler un territoire, elle atteint rarement son but de façon efficiente lorsqu’elle agit seule. En règle générale, l’infanterie a besoin du soutien des chars, de l’artillerie et des forces aériennes, tous travaillant en parfaite coordination. Pour des résultats optimaux, les HIMARS et les forces spéciales doivent préalablement détruire la logistique de l’ennemi, quitte à ce qu’il faille des semaines pour voir des avancées conséquentes sur la ligne de front. Tout cela doit être basé sur des reconnaissances approfondies, qui ne donneront peut-être pas de résultats immédiats mais fourniront une base solide pour le reste des opérations. Ce serait formidable si réformateurs, conseillers et décideurs savaient tirer les leçons de cette réflexion sur les meilleures pratiques militaires. Le cas des réformes liées à la Rule of Law en offre une parfaite illustration.

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1 commenter

MDA 21 août 2023 - 8:11

Le fait est que le corruption et la pauvreté se développent de plus en plus vite depuis 2014.

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