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L’Europe doit raviver le libéralisme pour faire face à la menace populiste

Nils Karlson

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Les partis populistes devraient obtenir d’excellents résultats lors des élections européennes de cette année. S’appuyant sur son nouveau livre, Nils Karlson estime que l’Europe devrait raviver le libéralisme classique afin de contenir la montée du populisme.

Au cours des dernières décennies, une pandémie populiste et autoritaire s’est répandue dans le monde. Les institutions libérales essentielles pour les marchés, la démocratie et la société civile ont été affaiblies ou ont commencé à s’effondrer.

Dans le cas de l’Europe, de récents sondages indiquent que les partis populistes pourraient arriver en tête des votes dans de nombreux États membres lors des élections européennes de cette année. Cela pourrait modifier radicalement le paysage politique du Parlement ainsi que les politiques et les institutions qui soutiennent le marché commun, l’état de droit et les libertés individuelles.

Comment expliquer cette évolution et que pouvons-nous faire pour y remédier ? Comment les libéraux et les libéraux classiques peuvent-ils lutter contre cette menace pour le monde libre ? Dans un récent ouvrage, Reviving Classical Liberalism against Populism, j’explore les caractéristiques du populisme, afin que l’on puisse le comprendre, le reconnaître et le combattre. J’en ai identifié principalement trois.

Des politiques improbables

Premièrement, la plupart du temps dans le public et chez les économistes, populisme est presque synonyme de démagogie, proposant des options peu réalistes et des politiques sans fondements solides, offrant des réponses simplistes à des questions complexes.  Il fait par exemple miroiter des dépenses publiques  et des prestations sociales supplémentaires – qui dans son discours ne sont pas incompatibles avec des réductions d’impôts -, il promet des tarifs douaniers protecteurs afin de préserver les emplois et les entreprises, même si elles sont en difficulté.

De telles politiques participent au déclin économique observé dans les régimes populistes. Une récente étude approfondie portant sur 51 d’entre eux entre 1900 et 2020 a montré qu’ils se situaient nettement en dessous de la moyenne. Quinze ans après que les populistes eurent pris le pouvoir, le PIB par habitant était inférieur de 10 % au scénario contrefactuel non populiste et l’inégalité des revenus n’avait pas diminué. En d’autres termes, le régime populiste avait causé des dommages économiques durables.

Un discours démagogique

Deuxièmement, la sociologie et les sciences politiques associent généralement  le populisme à style rhétorique spécifique et à un discours conçu pour mobiliser la « majorité méritante » (le « vrai peuple ») contre des élites prétendument corrompues et conspiratrices et contre les institutions qu’elles investissent. Les « faits » et les « informations » sont triés et mis en forme pour s’opposer aux « mensonges » des opposants ou aux « fake news » des médias.

La polarisation de la politique et de la société dans une dichotomie « nous contre eux » est délibérée, les récits qui « construisent » le peuple et lui désignent ses ennemis sont soigneusement élaborés. Les populistes cherchent aussi à créer un lien direct avec leurs partisans, au travers des rassemblements de masse, des émissions de télévision et des canaux numériques.

Il y a la version de gauche et la version de droite. Les populistes de gauche accusent généralement le « néolibéralisme », la déréglementation, la privatisation et les réductions d’impôts d’être à l’origine de toutes sortes de problèmes économiques et sociaux. Les populistes de droite, eux, accusent plutôt le libéralisme de saper les valeurs familiales traditionnelles, la religion et les communautés. Ils ont cependant des ennemis communs : les marchés libres, le « wokisme », les droits des LGBTQ, l’immigration, l’islam, entre autres. Et ils se retrouvent dans leur commune pratique d’une certaine rhétorique et des raisonnements fallacieux, peut-être leur point le plus fort.

Le populisme peut donc être considéré comme une « politique identitaire collectiviste » susceptible de créer un sentiment d’appartenance, à la nation, à la classe, à l’histoire, à la religion, par exemple. Ses intentions sont toujours en apparence louables, à savoir défendre le peuple contre toute sorte d’ennemis et de menaces… qu’ils n’hésitent pas à amplifier, voire inventer, pour les besoins de leur cause.

Des tendances autocratiques

Troisièmement, lorsque les populistes accèdent au pouvoir, ils utilisent tous les artifices du discours pour justifier des chapelets de mesures et de pratiques autocratiques, telles la manipulation électorale, l’entrave à la liberté de la presse, la modification de la constitution, la limitation des droits des minorités, des droits civils, politiques et économiques.

Pour toutes ces raisons, le populisme est une véritable menace pour la démocratie, les marchés libres et la société ouverte ; d’autant plus forte que des acteurs reconnus de la démocratie peuvent être parfois tentés d’y recourir. Les populistes ne sont généralement pas opposés à la démocratie électorale en soi, c’est plutôt avec la démocratie libérale qu’ils sont en désaccord. Étant donné qu’ils pensent représenter le « vrai peuple », les autres votes ne sont pas vraiment considérés comme légitimes. Par conséquent, ils sont hostiles aux valeurs et aux principes du constitutionnalisme, du pluralisme, des droits des minorités et du contrôle démocratique.

Explication du populisme

Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de la montée du populisme. L’évolution des conditions économiques et sociales, telles que la mondialisation, l’échec des programmes de protection sociale, les crises, les inégalités et l’immigration, lui fournissent certainement un terreau fertile.

Cependant, ces changements ne suffisent pas à l’expliquer de manière entièrement satisfaisante. Les facteurs culturels liés à l’identité doivent aussi être pris en compte, tout comme cette prédisposition autoritaire qui est latente chez la plupart des humains. Nos esprits sont psychologiquement formés pour le tribalisme populiste et la justice, ce qui favorise la polarisation entre les groupes et dans la société en général. Une disposition renforcée par les médias sociaux, qui se prêtent parfaitement au type de communication orientée, irrationnelle, se souciant peu des faits et de la vérité, défendue par les populistes. Les algorithmes et les plateformes ont créé des méthodes permettant à la désinformation et aux théories du complot de toucher un très large public, créant ainsi des chambres d’écho où les croyances populistes sont entretenues.

De la nécessité de réagir

Le populisme est l’opposé du libéralisme classique. Le monde ne s’améliorera pas tant que les libéraux ne commenceront pas à réagir. Les libéraux doivent développer et revitaliser leurs idées, leurs croyances et leurs valeurs, comme ils l’ont fait par le passé.

Une première étape consisterait à dénoncer ouvertement les stratégies délibérées de polarisation que les populistes utilisent afin d’accéder au pouvoir et changer la société dans un sens autocratique. Ils s’y montrent habiles et l’on peut d’ailleurs accorder aux nombreux partisans du populisme le bénéfice du doute et penser qu’ils ont été séduits par certaines idées fortes, sans avoir conscience ni de leurs implications néfastes, ni d’avoir été manipulés.

Il faudrait ensuite passer à la contre-attaque, c’est-à-dire s’organiser pour défendre, développer et améliorer les institutions et les politiques libérales. Leurs échecs doivent être identifiés et corrigés. Il serait également nécessaire de mieux faire connaître la culture libérale, d’expliquer de quelle manière ses pratiques et ses institutions contribuent à la prospérité et au bien-être, renforcent les liens dans une communauté, mettre en exergue l’importance qu’elle accorde aux pratiques vertueuses, garanties par un Etat juste et fort mais contenu dans ses missions. Le fonctionnement des rouages des sociétés libérales est loin d’être intuitif pour la plupart des gens.

Ce point devra d’ailleurs, dans un troisième temps, être élargi, les arguments rationnels ne suffisant pas. Car l’esprit même du libéralisme est lui aussi méconnu. Il s’agit non seulement d’affirmer qu’une une société libérale offre les meilleures conditions pour que les individus s’épanouissent, mais aussi de montrer comment le libéralisme peut donner un réel sens à la vie et apporter un grand enrichissement spirituel.

La réflexion donc, associée à l’action, doivent guider les libéraux pour exposer leurs idées et, surtout, les mettre en oeuvre. Le programme est riche, il doit être conçu sur le long terme, il doit convaincre, conquérir et impliquer un maximum d’acteurs. Il est exigeant, mais chargé d’un potentiel que nul autre n’est capable d’offrir.

Pour plus d’informations, voir le livre de l’auteur, Reviving Classical Liberalism against Populism (Palgrave Macmillan, 2024, en accès libre).

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