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Faut-il sanctionner les régimes autoritaires ?

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Les sanctions causent un préjudice considérable, et pas seulement aux régimes visés. Les coûts sont généralement supérieurs aux avantages, mais il est extrêmement difficile de revenir dessus.

Début novembre, les relations entre la Biélorussie et l’Union européenne se sont encore détériorées. Le régime de Minsk a déployé une force militaire pour pousser les migrants vers la Lituanie et la Pologne, qui ont répondu en renforçant leur présence militaire à la frontière.

Lorsque les agences de presse ont commencé à diffuser des images de la détresse des migrants, la réaction réflexe de l’Union européenne a été d’imposer des sanctions. Il ne s’agit pas ici de savoir si cette mesure a contribué à la désescalade de la situation. La décision qu’a prise l’homme fort de la Biélorussie Alexandre Loukachenko, de commencer à rapatrier certains des migrants et d’en déplacer d’autres dans un entrepôt à l’abri des regards, peut tout aussi bien avoir été la conséquence d’une pression du Kremlin.

 

L’incapacité à atteindre les objectifs

La question centrale ici n’est pas tant l’efficacité des sanctions à court terme que leur durée : seront-elles limitées dans le temps ou, une fois installées, deviendront-elles un élément permanent dans les relations internationales ? Le cas de la Chine illustre cette dernière option.

Outrés par le massacre de Tiananmen en 1989, les États-Unis ont imposé un embargo sur les armes. Les principaux alliés européens ont fait de même, avec de légères modifications. Plus de trois décennies plus tard, ces sanctions sont toujours en vigueur. Elles ont eu pour effet de priver les fabricants d’armes occidentaux d’un marché important, qui a été conquis par la Russie, fournissant ainsi une bouée de sauvetage aux industries militaires russes. L’application ultérieure de sanctions à la Russie (en réponse à son agression de 2014 contre l’Ukraine) a servi à rapprocher encore plus Moscou de Pékin, dans un front commun contre l’Occident.

Il y a trois leçons cruciales à tirer ici. La première est que l’embargo n’a pas réussi à empêcher un renforcement militaire chinois. La deuxième est qu’en s’abstenant de toute coopération militaire avec la Chine, les puissances occidentales ont fait en sorte que l’armée populaire de libération s’associe étroitement à l’armée russe. La troisième est que la force des déclarations morales, dans la culture politique occidentale, est devenue telle qu’elle a rendu acceptable le prix à payer pour sanctionner la Chine.

 

Dommages collatéraux

Le cœur du problème, pour ceux qui préconisent d’imposer des sanctions, est que cela produira des dommages substantiels, et pas seulement pour le régime en cause. Il y aura des dégâts collatéraux sur le commerce international et le développement économique, ainsi que sur la conduite des relations internationales. En conséquence, il devient essentiel de s’assurer que les avantages l’emportent sur les coûts.

Certains, comme l’économiste américain Steve Hanke, ont émis des critiques sévères : « Les sanctions sont, bien sûr, un jeu de dupes. Elles ont presque universellement échoué à atteindre leurs objectifs. La seule chose qu’elles font est d’imposer des coûts réels à de nombreuses victimes intentionnelles et non intentionnelles, y compris le système économique international. » D’autres, comme Jeremy Greenstock, ancien ambassadeur du Royaume-Uni à Moscou, ont préféré adopter une approche plus pragmatique, soulignant qu’ « il n’y a rien d’autre entre les mots et l’action militaire si vous voulez faire pression sur un gouvernement. » C’est l’essence même d’une situation difficile. Leurs engagements moraux obligent les puissances occidentales à sanctionner des comportements inacceptables et, dans des cas comme celui de la Chine et de la Russie, force est de reconnaître que les mots seraient inefficaces et l’action militaire, trop dangereuse.

Les sanctions peuvent-elles donc réellement être déployées de manière à ce que les régimes visés s’amendent ? Dans le cas de la Russie, elles n’ont pas amené le Kremlin à revenir sur sa décision d’annexer la Crimée. Et l’ancien empire soviétique n’a pas reculé ni même admis sa présence dans la guerre du Donbass. Dans ce sens limité, les sanctions n’ont pas atteint leur objectif.

 

Des affirmations douteuses

Ceux qui plaident en faveur des sanctions soutiendront qu’elles ont eu des avantages significatifs, à savoir dissuader la Russie d’intensifier son agression. Ils prétendent, par exemple, qu’elles ont empêché une invasion à grande échelle. Ce dernier scénario a été défendu par le général Philip Breedlove, à l’époque commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR).

Au cours de l’été 2014, le général a averti à plusieurs reprises que la Russie se préparait à traverser le sud de l’Ukraine, de Marioupol à Odessa, puis à rejoindre la garnison russe de Transnistrie en Moldavie. Mais les affirmations selon lesquelles les sanctions ont empêché cela de se produire souffrent de deux défauts majeurs.

Elles supposent une connaissance des intentions de la Russie, ce qui est loin d’être évident. Et elles ne sont pas réalistes. Il est bien sûr troublant que la Russie ait massé quelque 40 000 soldats à la frontière avec l’Ukraine, mais ces troupes n’auraient pas suffi pour une invasion de grande envergure  et une occupation partielle.

 

Des eaux troubles

Un problème plus général est de savoir si les sanctions ont été suffisamment sévères. S’il ne fait guère de doute qu’elles ont nui au développement économique de la Russie, on ne sait en revanche pas trop dans quelle mesure, parce qu’elles ont coïncidé avec l’effondrement des prix du pétrole, qui a été beaucoup plus néfaste.

Les Russes et leurs partisans ont encore brouillé les pistes en affirmant que les sanctions ont été bénéfiques, obligeant les entreprises à devenir plus compétitives. Bien que ces affirmations soient en grande partie douteuses (ces politiques n’ont produit les effets escomptés que dans le domaine de la production alimentaire), elles n’ont fait qu’ajouter à la confusion et enhardir ceux qui, à l’Ouest, plaident en faveur d’un resserrement de l’étau.

Il est difficile de ne pas sanctionner. On aurait même sans doute tort de ne pas le faire ; Mais il est vrai qu’il serait utile de mesurer très attentivement les conséquences de ces sanctions, peut-être pour mieux les cibler et les fortifier.

Lire l’article en anglais sur le site du GIS pour découvrir les trois scénarios possibles

 

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7 commentaires

PAYET-FONTAINE 20 janvier 2022 - 4:17

Bonjour,
Ces restrictions envers les pays totalitaires créent parfois des désordres sur le plan économique. Ceux qui subissent sont souvent les pays en voie de développement qui ont des économies extrêmement vulnérables.

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Laurent46 20 janvier 2022 - 5:23

Encore faut-il avoir la vraie définition et les limites du mot autoritaire.

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Tibus 54 20 janvier 2022 - 8:10

Au delà de la dimension économique ne faut il pas donner une dimension morale à cette problématique complexe.
Chaque culture a ses propres valeurs . Quel droit aurions nous à sanctionner des pratiques de pays tiers mesurées à l’aune de notre propre doxa ?

Pourquoi sanctionner la Russie ou la Chine pour leurs non respect des droits de l’Homme alors que nous nous montrons étrangement discrets sur les pratiques dans d’autres pays de l’esclavage, de l’excision ou encore de l’avortement sur les embryons de sexe féminin ?
Sommes nous irréprochables sur le traitement réservé aux anciens, sur l’explosion de la grande pauvreté, sur l’ostracisme envers les personnes non vaccinées ?
Avant de regarder la paille dans l’oeil de ton prochain, regarde la poutre qui est dans le tien

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Obeguyx 20 janvier 2022 - 9:24

Et qui va sanctionner ces Etats qui se permettent de juger les autres ?. Toutes ces comédies relèvent du « songe creux » et vous allez finir par tous vous entretuer. Et tout cela au nom des droits de l’homme, du petit bonhomme plutôt. Quelle manque de hauteur. Toujours le même travers : REGLEMENTER au lieu de SOLUTIONNER.

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PhB 20 janvier 2022 - 5:51

Fourniture d’Armes boycottées.
Fournir de armes à la Chine revient à leur DONNER le SAVOIR FAIRE.
Ca figure toujours dans leurs points de négociations. On l’a vécu avec le savoir industriel.
Bref un ONE SHOT,
Etant très réactifs, ils ne tarderont pas à en inonder la planète avec des clients souvent par très recommandables.

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cendu 20 janvier 2022 - 7:13

Je suis très las que les vassaux des USA bêlent en permanence contre la Russie. Son président n’est surement pas un saint, mais, après les immenses dégâts de communisme, il a restauré la fierté russe, la religion, et beaucoup de libertés que nous n’avons plus en France. Il est toujours réélu très confortablement avec 150 000 observateurs étrangers … qui n’ont rien à dire. Nos présidents occidentaux sont beaucoup moins bien élus, et d’une manière de plus en plus trouble. Bref, la Russie a restauré une sorte de tsarisme.

Il n’y a pas les « bonnes démocraties » d’un côté et les « affreuses dictatures » d’un autre.
Les USA ont inventé le droit d’ingérence. Pour cela, ils 800 bases militaires à l’extérieur de leurs frontières dont 100 avec des missiles à têtes nucléaires à quelques km des frontières russes et 21 en Syrie en violation totale de ce pays et de l’ONU).
La Russie n’a qu’une seule base extérieure, en Syrie à la demande du gouvernent légalement élu (lui aussi traité de dictateur).
Il serait temps de prendre conscience que « les USA, qui se permettent de s’ingérer partout pour imposer ses dictats, sont en fait « notre meilleur ennemi » comme dit Guillaume Berlat. Depuis Yalta. Ils sont très loin de vouloir notre bien (sans parler qu’ils sont les seuls au monde à avoir envoyé des bombes atomiques et des milliers de tonnes de bombes sur des civils en 44/45).

Par ailleurs, l’Ukraine n’a été séparée, à la surprise générale, de la Russie qu’en 1954 par Khrouchtchev qui voulait faire pardonner les exactions de Staline. La Russie a même été créée en l’an 800 à Kiev. Aujourd’hui, la population ukrainienne est séparée en deux blocs est pro russe/ouest indépendantiste attisée par les USA pour des raisons stratégiques (entrée de l’Ukraine dans l’OTAN contre la Russie et la Chine) et économiques (gazoduc en particulier). J’ajoute que les USA ont renversé le président ukrainien Viktor Iouchtchenko (après avoir tenté de l’empoisonner) pour le remplacer par Petro Porochenko (un quasi nazi à la botte des USA).
Quant à la Crimée, lors du référendum de 2014 elle a voté à 97% pour rester russe (mais pour les USA peu importe ce que veulent les populations, comme au Kosovo où l’OTAN bombarde les chrétiens sous de faux prétexte, comme d’habitude).
Imaginons que la Russie fasse la même chose que les USA (qui ont bafoué leur engagement de ne pas installer de bases militaires dans les pays de l’ex URSS) et installent ne serait-ce qu’une seule base nucléaire à 100 km de des frontières américaines. Mais, depuis la chute de l’URSS, elle n’a strictement plus aucune intention hégémoniste contrairement aux USA qui s’estiment maintenant faire ce qu’ils veulent dans leurs uniques intérêts.

Alors il serait temps d’arrêter ces délires et de rétablir ce qui a toujours existé depuis Pierre le Grand (hormis la parenthèse soviétique) : Une très grande amitié entre la Russie et nous car sommes tous européens.

A quand des sanctions contre les USA ?

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christian 15 février 2022 - 5:38

Merci pour votre commentaire, absolument juste et malheureusement rarement relaté lors des émissions concernant l’Ukraine et la Russie !

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