Institut de Recherches Economiques et Fiscales

Faire un don

Nos ressources proviennent uniquement des dons privés !

anglais
Accueil » Stratégie Française pour l’Energie et le Climat : une politique malthusienne vers la décroissance et l’écologie punitive

Stratégie Française pour l’Energie et le Climat : une politique malthusienne vers la décroissance et l’écologie punitive

par
2 008 vues

Il est convenu de décarboner à terme notre économie, qui dépend à 58 % des énergies fossiles pour sa consommation d’énergie, pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et pour des raisons géopolitiques et de souveraineté liées à notre dépendance aux importations d’énergies fossiles.

La voie à emprunter pour tenter de décarboner l’économie doit être pragmatique et ne doit pas mettre en danger la politique de réindustrialisation de la France, qui nécessite une croissance durable reposant sur un accès à un approvisionnement énergétique abondant, à un prix compétitif, et résilient aux aléas de toutes natures.

Cette politique ne doit donc pas être guidée par une « urgence climatique » qui conduirait à se  fixer des objectifs excessifs et irréalistes en terme de rythme de réduction de la consommation d’énergie, de décarbonation, et de développement à marche forcée des ENR,  au risque de surcoûts non supportables par notre économie et le corps social,  et de passage d’une dépendance aux importations de combustibles fossiles à une dépendance à l’achat de matériaux et d’équipements provenant d’Asie, et de Chine en particulier.

Cet article[1] démontre que la stratégie proposée (SFEC)[2] par le gouvernement n’échappe pas à ce risque, en se situant dans la perspective du « fit for 55 » européen, qui s’apparente à une dangereuse fuite en avant, risquant de déstabiliser des pans entiers de l’industrie européenne.

La préparation de cette stratégie s’est appuyée sur un travail de concertation avec des groupes de travail transpartisans et de participation citoyenne, mais il est regrettable que le rapport de la Commission d’enquête parlementaire du printemps 2023 sur la perte de souveraineté énergétique de la France[3] n’ait pas été pris en compte, ce qui constitue un déficit de démocratie parlementaire incompréhensible. 

 Un objectif de réduction de la consommation d’énergie en rupture par rapport au passé, incompatible avec une réindustrialisation de la France

La SFEC retient pour objectif une réduction de la consommation d’énergie finale à 1.209 TWh en 2030, 1100 TWh en 2035 et 900 TWh en 2050, alors que cette consommation était en 2021 de 1.611 TWh (en lente diminution depuis le niveau de 2012 de 1.661 TWh) :

L’objectif fixé pour 2030 correspond à une diminution annuelle de la consommation d’énergie de 3,7 % par an : c’est une inflexion brutale par rapport au rythme observé depuis 2012, en moyenne de 0,3 % par an. Ce rythme observé est la résultante d’une croissance moyenne du PIB de 1,2 % par an, et d’une amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5 % par an, qui s’observe de façon régulière depuis près de 30 ans, grâce aux efforts déployés dans tous les secteurs de l’économie (bâtiments, transports, industrie), qui ont permis de découpler croissance économique et consommation d’énergie.

Cet objectif ne peut être atteint qu’au prix de mesures de sobriété imposées de manière autoritaire et punitive, à l’image de l’interdiction de location des logements classés « passoires thermiques », et d’un renoncement à la croissance économique et à la réindustrialisation du pays.

Quant à l’objectif de 900 TWh fixé pour 2050, il correspond à une diminution moyenne de la consommation finale d’énergie de 2,1 % par an, synonyme au mieux de croissance 0.

La trajectoire de la consommation d’énergie en France ne doit pas être fondée sur un objectif idéologique et irréaliste fixé a priori, mais être la résultante de la croissance du PIB, et d’une action déterminée dans la durée sur le levier de l’amélioration de l’efficacité énergétique, pilotée avec des objectifs par secteur. 

Efficacité énergétique dans les transports : abandon du plan 4 F (Fret Français Ferroviaire du Futur)[4] élaboré en 2020

La SFEC ne retient comme vecteur d’efficacité énergétique dans les transports que le véhicule électrique à batterie, qui est loin d’être une solution universelle.

Le principal levier d’efficacité énergétique dans les transports est le remplacement du transport par camions par une combinaison intermodale camions / ferroviaire / fluvial[5] : le transport d’une tonne de marchandise par le train consomme 6 fois moins d’énergie et émet 9 fois moins de CO2 que par la route.

Sur 490 TWh de carburants brûlés dans les transports routiers (dont 450 TWh pétroliers), 200 TWh sont consommés dans le transport de marchandises. Depuis l’an 2000, la part modale du fret ferroviaire est revenue de 18 % à 9 %, alors que la moyenne européenne est à 18 %, avec un objectif de 30 % pour 2030.

Le plan 4F ambitionne de doubler la part modale du ferroviaire d’ici 2030, soit une économie de 22 TWh de carburants, et 60 TWh à horizon 2050, en portant la part modale à 33 %.

La SNCF a un rôle à jouer, mais parmi d’autres acteurs en concurrence, d’autant que la Commission UE lui impose de réduire la voilure dans le fret.

Bien que faisant l’objet d’annonces de soutien gouvernemental[6], ce plan prioritaire pour l’efficacité énergétique dans les transports ne figure pas dans la SFEC, ce qui est incohérent.

Accélération des ENR : des objectifs irréalistes et coûteux, notamment pour l’éolien offshore, sans renforcer la résilience de l’alimentation en électricité en hiver.

Le développement des ENR électriques intermittentes est utile, dans la mesure où il est considéré comme un complément de production d’électricité décarbonée d’une base pilotable largement prépondérante (nucléaire et hydraulique), or la SFEC s’appuie essentiellement sur un développement accéléré des ENR électriques, et en second lieu sur une relance insuffisante du nucléaire.

Le cas de l’éolien maritime est le plus extrême[7] :

Atteindre 45 GW de puissance installée en 2050, alors que le potentiel de l’éolien posé est de 16 GW, en raison de l’étroitesse du plateau continental le long des côtes françaises, est irréaliste.

L’éolien flottant, dont la technologie est encore au stade expérimental, n’a pas à ce stade prouvé son intérêt économique.

Ecrire dans le document que 18 GW d’éolien offshore est l’équivalent de la production de 13 réacteurs nucléaires relève de la désinformation pure et simple du citoyen, pour trois raisons :

  1. 18 GW d’éolien maritime produiront 60 TWh par an d’électricité, alors que 18 GW de nucléaire (11 réacteurs EPR2) produiront 120 TWh.
  2. La production éolienne ne peut se substituer à la production nucléaire, car elle est intermittente et n’offre aucune puissance garantie lors des pointes de consommation.
  3. Le coût de production du MWh des 6 premiers parcs (3 GW), ainsi que celui de l’éolien flottant est supérieur à 160 € (raccordement compris), deux fois plus élevé que le coût du MWh du nouveau nucléaire.

L’éolien maritime n’est donc pas un moyen efficient de production d’électricité en France, et sa part devrait rester marginale à l’horizon 2050.

En ce qui concerne l’éolien terrestre, conserver le rythme actuel de développement pour aboutir à 40 GW en 2035 revient à revenir sur la perspective tracée par Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort, où il s’engageait à diminuer le rythme pour la bonne insertion des champs sur les territoires, en repoussant ce point d’arrivée à 2050.

Les objectifs du solaire photovoltaïque, jusqu’à 60 GW dès 2030, et 100 GW dès 2035 sont irréalistes, alors que 16 GW sont installés, et que le rythme annuel n’a encore jamais atteint 3 GW.

A cette fin, la loi d’accélération des énergies renouvelables ouvre la porte au défrichement de zones boisées (jusqu’à 25 Ha), et au développement de l’utilisation de terres agricoles (agrivoltaïsme), au risque de pénaliser la production agricole.

Ce développement à marche forcée des ENR nécessite de quasiment doubler les investissements sur les réseaux de transport et de distribution d’électricité, en les portant à 10 Md€ / an, soit un surcoût supérieur à 130 Md€ d’ici 2050, dont 35 Md€ pour le raccordement de l’éolien maritime. L’impact sur le TURPE[8] peut être évalué à environ 12 €/MWh sur la facture des clients.

Nucléaire : une relance insuffisante à l’horizon 2050, sans développement prévu pour un réacteur à neutrons rapides.

La SFEC prévoit de maintenir autant que possible la capacité de production nucléaire existante de la France, qui sera de 63 GW après la fermeture anticipée de Fessenheim et la mise en service de l’EPR de Flamanville. Toutefois, sur la base d’une prolongation de la durée de vie de l’ensemble des réacteurs à 60 ans, un « effet falaise » se produira dès 2040, et la capacité résiduelle du parc ne sera plus que de 16 GW en 2050 :

La SFEC envisage au maximum la construction de 14 EPR2 d’ici 2050 (23 GW), ainsi que la construction de quelques SMR[9], ce qui est insuffisant pour maintenir la capacité du parc : la capacité totale ne dépassera pas 45 GW, soit un productible de 280 TWh représentant 35 à 40 % de la production d’électricité nécessaire.

La capacité pilotable totale ne dépassera pas 72 GW, compte-tenu du parc hydraulique, et en pérennisant les 12 GW de moyens de production gaz et biomasse, face à des pointes de consommation qui pourraient atteindre 110 GW.

Une telle situation ne serait pas gérable : soit le programme nucléaire est renforcé avec l’engagement de la construction de 2 EPR2 par an jusqu’en 2050, soit il faudra engager la construction de 25 GW de capacité en cycles combinés à gaz pour ne pas rendre la France plus dépendante qu’actuellement de ses voisins pour la sécurité d’alimentation en électricité lors des pointes hivernales.

Il est extrêmement regrettable que la SFEC ne prévoie pas de reprendre un projet de réacteur à neutrons rapides de taille industrielle pour une production centralisée, qui pourrait prendre la relève des EPR à partir de 2040, et entérine l’abandon définitif du projet Astrid et de toute l’expérience accumulée avec les réacteurs Phénix et Superphénix .

Cela met en danger notre approvisionnement et notre gestion à long terme du cycle du combustible.

Lire l’étude en intégralité 

ou la télécharger en PDF: Irdeme-Etude Stratégie Française Energie Climat F Henimann


[1] La note complète est disponible avec le lien suivant : Stratégie Française pour l’Energie et le Climat : une fuite en avant malthusienne vers la décroissance et l’écologie punitive – IRDEME (irefeurope.org)

[2] 202311_Strategie_energie_climat_DP.pdf (ecologie.gouv.fr)

[3] Rapport d’enquête n°1028 – 16e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

[4] Fret 4F – FRET FERROVIAIRE FRANÇAIS DU FUTUR

[5] Alternative de transport « le transport combiné » – LKW WALTER (FR) (lkw-walter.com)

[6] L’Alliance 4F salue les annonces fortes du gouvernement en soutien à l’ensemble de la filière du fret ferroviaire – Fret 4F

[7] Éolien maritime : quel potentiel pour la France ? (lemondedelenergie.com)

[8] TURPE : Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité

[9] SMR : Small Modular Reactors

Abonnez-vous à la Lettre des libertés !

Vous pouvez aussi aimer

Laissez un commentaire

9 commentaires

nanard 18 janvier 2024 - 9:25

Excellent article qui démontre les conséquences d’une politique de « bullshit » . Le bon sens devrait alerter les décideurs, deux exemples parmi tant d’autres: la nouvelle lubie de l’agrivoltaïsme qui nous fait croire que la lumière peut assurer à la fois la croissance des plantes et la production d’électricité… tout le monde sait bien qu’à l’ombre…. (et sans intrant) les rendements agricoles chutent ! et d’autre part, on oublie que l’eau c’est de l’oxyde d’hydrogène, mais il y a encore quelques personnes qui croient que l’on peut faire du carburant avec du CO2 sans dépenser plus d’énergie qu’on en récupérera. Les conséquences économiques de choix de sources d’énergies moins denses, aléatoires, non stables entrainent inévitablement des surcoûts dont nous n’avons pas besoin, alors qu’il y d’autres priorités pour notre économie.

Répondre
Gilles Vedun 18 janvier 2024 - 9:35

La dépendance et la mise sous tutelle se profile depuis longtemps.
Il n’y aurait donc aucune autorité de régulation des politiques administratives soit nous savons qu’aujourd’hui la gouvernance se fait sur une base électorale, idéologique et politique. Mais y compris les bailleurs de fonds privés ?

A qui profite la situation ?

Bien à vous

Répondre
BUCHSENSCHUTZ 18 janvier 2024 - 10:17

Excellent recadrage d’un débat mal posé qui amène à des décisions stupides et coûteuses comme la fermeture de Fessenheim … en pleine transition. Un point à retravailler de mon point de vue : le ferroutage. Il fonctionne semble-t-il plutôt bien en Suisse et en Autriche mais était quasi obligatoire dans ces pays montagneux, et de plus correspond souvent à des transits interpays. Le cas de la France où il est en déshérence depuis des années sera plus difficile à régler : comment ressusciter un moribond ?

Répondre
Laurent46 18 janvier 2024 - 10:30

Vous oubliez un paramètre essentiel qui est le pillage de la société pour financer la décroissance et l’écologie punitive Républicaine alors que dans la majorité des autres pays de l’UE la marche arrière à été enclenchée. Est-ce cela la démocratie Républicaine ?

Répondre
Andy Vaujambon 18 janvier 2024 - 5:10

Il faudrait d’abord 1°) démontrer de façon indiscutable que le CO2 est le responsable principal d’un changement climatique, ce que nient plusieurs scientifiques aussi crédibles que ceux du GIEC ; 2°) nous dire quelle serait la « bonne » température de la planète à maintenir jusqu’à la fin des temps à Reykjavik comme à Dubaï. (Au passage, le ferroutage en France serait donner les clés du blocage de l’économie à des syndicats d’extrême-gauche.)

Répondre
Attila BALATON 18 janvier 2024 - 6:19

Bonjour,
La 7e ligne de la page 10 de la version pdf devrait se lire:
 »2. La production éolienne NE peut PAS se substituer à la production nucléaire… ».

Répondre
Jean-Pierre Bardinet 21 janvier 2024 - 12:22

« La voie à emprunter pour tenter de décarboner l’économie doit être pragmatique ». Développer le nucléaire au bilan carbone (en fait CO2) vertueux : 6 gCO2/kWh : OK. Développer les EnR aux bilans carbone non vertueux (15 gCO2/kWh pour l’éolien, 55 gCO2/kWh pour le solaire) : Pas OK

Répondre
Jean-Pierre Bardinet 21 janvier 2024 - 12:28

Incohérence gouvernementale : d’un coté, le gouvernement veut augmenter les usages de l’électricité et de l’autre il veut réduire la consommation d’énergie. On veut des politiques cohérents, logiques, constructifs, pas des fadas qui font n’importe quoi.

Répondre
Jean-Pierre Bardinet 22 janvier 2024 - 10:56

La saga du nucléaire en France montre l’incompétence de nos gouvernants, notamment de nos Présidents.
Phase 1 Tout a commencé dans les années 90. La petite centrale à surgénération, Phénix, a été couplée au réseau et produit régulièrement. Puis a été lancé un projet ambitieux de surgénération, Superphénix, qui a nécessité, comme tout prototype, une mise au point qui a duré un an, puis elle a été couplée au réseau et a produit avec un très bon facteur de charge (rien à voir avec les 14% du solaire et les 23% de l’éolien). Puis l’infâme Jospin a, pour de minables motifs électoraux et avec la bénédiction de Mitterrand, arrêté Superphénix, alors que nous avions 20 ans d’avance sur tous les pays.
Phase 2 Puis vint Chirac : de belles paroles comme savent le faire les énarques, mais plus aucune construction de centrale électrique. Ce fut le début de notre perte de compétences.
Phase 3 Sarko remplaça Chirac et là ce fut une catastrophe : le Grenelle de l’environnement, qui déchaîna les idéologues de l’écologisme, et nous en payons encore le prix douloureux, et l’ARENH qui impose à EDF de vendre à vil prix 25% de sa production à des concurrents dont la très grande majorité ne produit rien, ce qui accéléra l’endettement d’EDF.
Phase 4 Par la suite ce fut le tour d’Hollande de mettre son grain de sel dans le torpillage de notre nucléaire, d’EDF et de notre électricité : il a demandé la fermeture prochaine de Fessenheim, pourtant centrale en excellent état, et la limitation de notre nucléaire à 50%. Evidemment, Hollande est un grand expert : n’a-t-il pas déclaré que le changement/réchauffement/dérèglement du climat était cause des tsunamis et des tremblements de terre ? Les géophysiciens en rigolent encore… mais aucun média n’a dénoncé cette ânerie hollandaise…
Phase 4 Depuis les années 90, nous n’avons construit aucune centrale, nous avons perdu nos compétences, et l’idéologie de l’écologisme a imposé des contraintes délirantes et absurdes au projet de construction de Flamanville, ce qui fait que ce nucléaire génération III n’est pas encore terminé. Le CEA avait lancé un projet de surgénérateur, Astrid, mais Macron, aussi nul que ses prédécesseurs, a torpillé ce projet. Dans la foulée il a suivi les âneries hollandaise et fait fermer Fessenheim. Contraint par le Réel, il fait fait une seule bonne chose : supprimer la limitation à 50% du nucléaire. EDF a sorti un nouveau cahier des charges simplifé pour les prochains EPR, et nous espérons que l’idéologie verte et la bêtise de nos gouvernants ne va pas imposer, une fois de plus, des contraintes délirantes.

Répondre