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« Notre administration est la fille du gouvernement de Vichy »

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Ressasser le lourd passé de l’État français n’est pas chose aisée. Emmanuel Macron en a fait les frais avec la polémique sur l’hommage à Pétain à l’occasion des célébrations du centenaire de l’armistice. Le débat est vif sur la nature du régime de Vichy dans la collaboration, mais il y a un sujet qui est encore mis sous le tapis, c’est celui de l’héritage collectiviste de la « Révolution nationale » dans la structure actuelle de l’État français. Georges Pompidou reconnaissait lui-même que « dans le domaine économique, notre administration est la fille du gouvernement de Vichy » (Le nœud gordien, 1974).

À la Libération, les tribunaux d’exception, le STO et le statut des juifs ont bien été abolis. Mais le pacte gaullo-communiste du Conseil national de la résistance n’a pas fait table rase de l’économie planifiée et des 16 786 lois mises en place par le régime antisémite. Loin de là, comme le démontre le passionnant ouvrage de Cécile Desprairies, L’Héritage de Vichy, paru en 2012. Voici un aperçu de certaines mesures toujours en vigueur et qui constituent une partie importante du squelette du régime politique auquel nous sommes soumis aujourd’hui, près de 80 ans plus tard.

Le développement du corporatisme à la française

Le conseil de l’Ordre des médecins est la première corporation mise en place par Pétain. Le numerus clausus est utilisé pour exclure les médecins juifs. Aujourd’hui, celui-ci est un des responsables des déserts médicaux et la réglementation limite fortement l’exercice de la profession aux médecins étrangers non issus de l’UE dans l’Hexagone. L’Ordre des architectes est aussi instauré très tôt et lègue l’obligation d’y être inscrit si l’on veut exercer cette profession. D’autres ordres qui continuent eux aussi de détenir des privilèges protectionnistes et anticoncurrentiels sont développés, comme l’Ordre des experts-comptables.

La « Charte du travail » ou la naissance de l’impasse syndicaliste

Comités d’entreprise, commissions paritaires, médecin-inspecteur du travail, Comité d’hygiène et de sécurité dans les conditions de travail (CHSCT) : Pétain jette les bases du paternalisme « social » dans les entreprises. Il instaure aussi le salaire minimum en 1941, qui fait aujourd’hui tant de mal au marché du travail en excluant une grande partie des travailleurs de l’emploi.

Le protectionnisme agricole des AOC

Le système des AOC a été créé en 1935, mais le régime de la « Révolution nationale », particulièrement agrarien, est l’âge d’or des appellations. Ces dernières échappent au rationnement, acquièrent des privilèges légaux qui éliminent la concurrence extérieure et se protègent derrière une réglementation tatillonne qui ne sera pas abrogée. L’Institut national des appellations d’origine (INAO) qui gère toujours les AOC et la corporation du Comité international du vin de Champagne (CIVC) sont aussi créés. L’IREF a montré dans un récent rapport comment les politiques anticoncurrentielles des appellations pouvaient expliquer la perte de compétitivité internationale des vins français.

La planification des naissances

Le régime élargit la politique familiale mise en place par le Front populaire en multipliant les allocations familiales. En 1943 est créé l’ancêtre de la Caisse nationale des allocations familiales pour soutenir la politique nataliste qui n’a pas vraiment changé à la Libération. Plus symbolique, la fête des Mères, elle aussi créée par Pétain, montre à quel point l’État cherche à définir ce que doit être une famille modèle.

Sécurité sociale : la répartition, chef-d’œuvre vichyste

De 1939 à 1943, les charges sociales passent de 26 à 30 % des salaires et les dépenses sociales, de 11 à 14 % du PIB. La quasi-totalité des textes adoptés sous le gouvernement de Pétain relatifs au droit du travail et des assurances sociales est maintenue à la Libération. L’élément majeur introduit par Vichy est l’instauration de la retraite par répartition en 1941. Les épargnes capitalisées sont confisquées au profit de l’Allocation aux vieux travailleurs salariés qui jette les bases de notre système actuel. L’IREF vient de publier un rapport sur l’échec de la répartition et la nécessité d’une transition vers la capitalisation.

Le règne de la planification et de la centralisation

Le ministère de la Production industrielle et du Travail est inventé en 1940. Pour permettre l’économie dirigée au travers d’un plan décennal d’équipement, des services statistiques doivent être créés. C’est chose faite avec le Service national de la statistique qui deviendra l’INSEE. Le régime impose notamment la fusion de deux réseaux de transports parisiens concurrents, la STCPR et la CMP qui deviendront la RATP.

Le fichage de masse

La carte nationale d’identité fut instaurée par Pétain afin d’opérer un contrôle de masse de la population. Les contrôles inopinés d’identité deviennent courants et perdurent jusqu’à aujourd’hui en plaçant la population dans un état de présomption de culpabilité permanent. Le contrôle passe aussi par le Numéro d’inscription aux répertoires, à 13 chiffres, qui deviendra le numéro de la Sécurité sociale. Cette passion du fichage s’aggrave de nos jours avec la récente validation par le Conseil d’État du mégafichier TES rassemblant les données personnelles de tous les Français, ce qui ouvre la porte à des atteintes massives et pernicieuses à l’État de droit.

La très coûteuse « exception culturelle »

La propagande de la « Révolution nationale » va bon train. Un système institutionnel de la culture sera instauré pour y parvenir. L’ancêtre du Centre national du cinéma est développé par le régime. Il continue de subventionner une soixantaine de films chaque année pour 25 millions d’euros. Le statut du cinéma aboutit en 1944 à la création de l’IDHEC qui deviendra la FEMIS en 1986.


Comme le rappellent Mathieu Laine et Jean-Philippe Feldman dans Transformer la France. En finir avec 1000 ans de mal français, le programme de la « Révolution nationale » de Pétain était clair. Il se devait d’être « coordonné et contrôlé dans son économie, et, par-dessus tout, social dans son esprit et dans ses institutions ». Pétain détestait le capitalisme « égoïste et aveugle » et honnissait le libéralisme, cette « faillite universelle ». Plus que tout, il vomissait l’individualisme : « l’individu n’existe que par la famille, la société, la patrie dont il reçoit, avec la vie, tous les moyens de vivre ».

Mais comme le soulignent les deux auteurs, on observe une « surprenante continuité » entre l’avant-guerre, la guerre et l’après-guerre. Le général de Gaulle, grand adepte de la planification, reconnaît sa dette dans ses mémoires : « Si, dans le domaine financier et économique, ces technocrates [de Vichy] s’étaient conduits, malgré toutes les traverses, avec une incontestable habileté, d’autre part, les doctrines sociales de la révolution nationale, organisation corporative, Charte du travail, privilèges de la famille, comportaient des idées qui n’étaient pas sans attraits. » Le programme des réformes du CNR est tout autant interventionniste en matière économique et sociale et reprend une grande partie des réformes vichystes comme nous l’avons vu au travers de ces huit exemples.

Cette continuité file malheureusement jusqu’à aujourd’hui. Dans le pays le plus fiscalisé du monde, politiciens de droite comme de gauche ne cessent de vanter les « acquis » du pacte gaullo-communiste, « acquis » qui ont pourtant germé dans la collectivisation pétainiste. Qu’une grande partie de la structure de l’État français repose toujours sur des bases juridiques et administratives dues tout à la fois au communisme et au pétainisme devrait nous interpeller. Ne serait-il pas temps de reconnaître cet héritage collectiviste et ses conséquences néfastes pour réformer le régime actuel et parachever la Libération ?

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4 commentaires

Laurent46 13 novembre 2018 - 8:18

Et encore ?
Le plus grave est la Délation qui s'installe de plus en plus dans notre pays avec la bienveillance et l'aimable souhait de notre administration et de la politique en général car ce n'est pas que des pratiques nationales mais aussi locales.

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yuropp 14 novembre 2018 - 10:21

Des "chevaliers d'Uriage" aux énarques
On peut aussi citer l'école des cadres d'Uriage, ancêtre direct de l'école nationale d'administration (qui nous emm… encore aujourd'hui). Avec une tendance à l'arrogance déjà bien présente.
Du moins, à Uriage, ils faisaient du sport…

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zelectron 15 novembre 2018 - 2:43

Sans contrôle permanent de ses élus la démocratie est un leurre.
il y a des masses d'agent inouïes à recouvrer en se séparant (avec moult regrets) de 2 à 3 millions de ponx qui sucent le sang du peuple avec une efficacité inversement proportionnelle à celle de l'accomplissement de leur tache inutile (de grâce ne me faites pas parler des régaliens, qui, eux sont utiles.)

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Vignaud 28 décembre 2018 - 1:43

Gouvernement de Pétain , pas de Vichy , ville agréable à vivre
Bonjour,
J’apprécie vos articles mais je tiens à préciser habitant Vichy, que les Vichyssois n’ont pas encore à subir les erreurs de langage et qu’en 1942, ils n’avaient rien demandé. Vichy est aujourd’hui une ville moderne, agréable à vivre, candidate au patrimoine de l’Unesco pour des raisons thermales et architecturales (Napoléon III) tournée vers l’avenir avec des équipements sportifs et culturels attractifs ! Quant à l’arrogance et à la dictature d’un État qui s’occupe de tout sauf des missions régaliennes et gaspille à tout va, il est certain qu’il est plus que temps d’y mettre fin par de vraies réformes! Mais il va être difficile de faire scier aux nombreux profiteurs, les branches sur lesquelles ils sont assis.

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