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Marseille en grand ou les illusions générales de l’Etat projetées sur la cité phocéenne

Élodie Messéant dans Atlantico

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Atlantico : Emmanuel Macron est à Marseille pour tirer le bilan de Marseille en grand dont il se félicite. Que faut-il en penser ?

Gérald Pandelon : Ce que je pense, c’est qu’au-delà des bonnes intentions – je ne remets pas en question la volonté d’Emmanuel Macron de bien faire- il s’agit d’une problématique bien plus profonde qui risque de compromettre l’efficacité de toute action superficielle. Le problème de Marseille perdure depuis 30 ans, d’ailleurs, je l’ai expliqué il y a trois ans dans mon livre intitulé « La France des caïds ». Il s’agit d’un décalage entre les discours et les actes, plus précisément entre les actes, et la réelle gravité de la situation. Pour le dire simplement, sur une échelle de gravité allant de 0 à 10, Marseille se situe à 9, tandis que les discours se situent à 5 et les actes à 2, voire à 0. Tant que nous ne réaliserons pas que, malgré toutes les mesures et les initiatives superficielles, nous restons en deçà de la réalité, nous ne parviendrons à rien résoudre. L’ajout de 55 caméras dans les quartiers Nord ou le renforcement minime de la présence policière n’apporte rien. Pire encore, cela ne fait qu’aggraver le phénomène, comme je l’explique depuis des années. Les assassinats perpétrés dans les Bouches-du-Rhône n’ont jamais été aussi nombreux, notamment à Marseille. Depuis 2023, on en dénombre 23, ce qui ressemble à une dérive à la mexicaine, une forme de cartellisation à laquelle nous assistons. Malheureusement, tant que nous ne nous attaquerons pas véritablement au problème et que nous ne proposerons pas des politiques publiques adaptées en matière pénale, je crains que la situation ne fasse qu’empirer. C’est ce que je déclare, ce que je soutiens et ce que j’écris depuis plusieurs années.

Élodie Messéant : Lorsque l’on regarde les statistiques sur la criminalité et le taux de chômage, il n’y a pas vraiment de quoi se féliciter : Marseille fait partie des villes de France les plus touchées par les homicides liés au trafic de stupéfiants, sachant que le bilan s’aggrave depuis une décennie si l’on s’en tient aux propos de Frédérique Camilleri, la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Quant au chômage, il a certes baissé sur les dix dernières années (9,6 % en 2023 contre 18,5 % en 2013), mais il reste supérieur à la moyenne nationale (7,2 %). L’opération de communication du gouvernement peine à masquer cette réalité.

Renoncement vis à vis des collectivités locales mauvaises gestionnaires

Élodie Messéant : Marseille illustre l’impossible simplification de la décision locale : l’opposition des élus locaux au mouvement de métropolisation, initié dès les années 80, a conduit à un éclatement de la décision publique entre les mairies marseillaises, les communes, les conseils territoriaux, la métropole d’Aix-Marseille, le département des Bouches-du-Rhône et la région PACA. À cela s’ajoutent des difficultés de désendettement de la région (8 ans contre 4 ans pour les métropoles de Lyon et Lille, par exemple) et des capacités d’autofinancement par habitant très inférieures à la moyenne nationale (189 € contre 330 €). Les tentatives de rationalisation de l’action et de la dépense publique ne s’attaquent pas à la racine du problème, à savoir le trop grand nombre d’échelons administratifs, comme l’IREF a pu le démontrer.

Renoncement vis à vis de ceux qui détournent l’intérêt général à leur profit

Élodie Messéant : Le renoncement de l’Etat favorise indirectement les éléments les plus nocifs de la vie politique française. Si on prend l’exemple du grand port de Marseille-Fos, son très mauvais classement à échelle mondiale (315e place sur 370) n’est pas étranger à l’action nocive des syndicats. Pendant la réforme des retraites, les grèves de la FNPD (Fédération nationale ports et docks) CGT n’ont fait qu’aggraver les pénuries de carburant en France, alors mêmes que les salaires des dockers marseillais peuvent atteindre, voire dépasser, environ 4 500 euros net/mois pour un travail effectif de 12 à 16 heures par semaine.

Renoncement à rétablir l’ordre dans les quartiers

Gérald Pandelon : Il est alarmant de constater, lors de discussions avec certains politiciens qui pourraient réfléchir à la situation, que l’urgence paradoxale consiste à ne rien faire. Pourquoi ? Parce qu’ils craignent constamment d’être stigmatisés, d’être perçus comme racistes ou discriminatoires envers une population spécifique. Cela porte gravement préjudice à l’efficacité de toute action. J’ai rencontré de nombreux hommes politiques lors de mes enquêtes sur le terrain, et ils ont toujours peur de dire la vérité, de crainte de faire face à des accusations de racisme, de discrimination, et ainsi de suite, comme je l’ai mentionné précédemment. Par conséquent, le politiquement correct prévaut. Il y a un consensus selon lequel, en privé, on reconnaît que la situation est extrêmement grave, mais en public, on affirme qu’il y a toujours des solutions, que la situation n’est pas si grave, qu’il ne faut pas exagérer, et ainsi de suite. Tant que les discours sur la délinquance dans les quartiers sensibles ne seront pas dépénalisés d’une certaine manière, nous ne pourrons pas avancer.

Pensez-vous qu’il y ait une certaine crainte ou une sorte de spectre persistant de ce qui s’est passé en 2005, qui pourrait expliquer également une certaine réticence ou hésitation ?

Gérald Pandelon : Cela fait très certainement partie du problème. Malheureusement, compte tenu de l’aggravation de la situation, que nous l’acceptions ou le déplorions, il y a une alternative qui se présente. Il y a deux choix possibles. Soit nous souhaitons résoudre le problème, et cela nécessitera inévitablement l’utilisation de la violence. Une violence légitime qui impliquerait l’intervention de l’État dans les quartiers sensibles, que ce soit par le biais des forces de police ou même de l’armée. Soit nous ne souhaitons pas réellement résoudre le problème, et dans ce cas, il faut cesser de croire que de simples mesures symboliques pourront tarir le trafic. C’est une question presque intellectuelle, voire philosophique, qui se pose à notre société. Voulons-nous réellement résoudre ce problème ? Est-ce que nous sommes réellement prêts, en France, pays des droits de l’homme, à prendre les mesures nécessaires ? Au cours de ces dix dernières années, les divers plans mis en place, tels que le Plan Cité ou les initiatives de Castaner, ont tous montré une inefficacité flagrante, selon de nombreuses personnes qui travaillent avec eux. Je leur ai dit : « Arrêtez de sous-estimer la situation. Ne prenez pas les gens pour des imbéciles. La situation est extrêmement grave.

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