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La liberté économique est-elle favorable à la sobriété carbone ?

Une étude sur les 53 pays grands émetteurs de gaz à effet de serre

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Introduction

La « décarbonation » des économies mondiales est devenue le mot d’ordre majeur de la pensée « multilatéraliste » contemporaine. Ce dogme, mûri dans la tour d’ivoire des grandes organisations internationales – Organisation des Nations Unies (ONU) et Commission européenne en tête – somme le Monde de se dévouer comme un seul homme à un impératif univoque : sauver la planète de la menace climatique en atteignant, quoi qu’il en coûte, la « neutralité carbone » en 2050, c’est-à-dire, l’émission d’une quantité de gaz à effet de serre (GES) strictement égale à ce que les puits naturels de carbone (océan et végétation) sont capables d’absorber.

Cet article n’entend pas revenir sur les abus et dangers du climato-alarmisme, véritable catalyseur de la « vanité fatale » des gouvernements et du « faux-semblant de la connaissance » dont elle se nourrit[1]. Ce sujet fait l’objet d’une littérature désormais abondante, à laquelle le Journal des Libertés apporte sa contribution[2]. La question est ici de savoir s’il est possible d’envisager la décarbonation de façon optimiste, ce qui revient à se demander si et dans quelle mesure la liberté économique favorise l’enrichissement des populations – ce point peut être tenu pour acquis – sans « trop » émettre de GES – ce point l’étant nettement moins.

Comme le rappelle la fameuse identité de Kaya[3], une économie nationale dispose de trois options pour réduire son empreinte carbone à population constante (émissions de GES) :

  • appauvrir la population, c’est-à-dire, diminuer le produit intérieur brut par habitant (PIB/h),
  • réduire la quantité d’énergie consommée par la production (intensité énergétique du PIB) et/ou
  • diminuer la quantité de GES émise par cette consommation d’énergie (intensité carbone de l’énergie).

La première option relève de la « décroissance » et, comme nous aurons l’occasion de le vérifier, elle n’est pas compatible avec une société libre. Les deux autres options, en revanche, relèvent (ou peuvent relever) d’une démarche d’amélioration de l’appareil productif faisant écho à son efficience économique. C’est évident pour ce qui concerne l’intensité énergétique du PIB (toute entreprise a intérêt à diminuer sa consommation d’énergie par unité de produit). C’est également envisageable de l’intensité carbone si l’on considère les GES tel un déchet de l’activité économique ; et comme tout déchet produit en abondance signale une inefficience de la production de biens et services, l’économie de marché est moins encline que tout autre système économique à le tolérer[4].

En conséquence, les pays les plus libres – ceux dont le système économique est le plus proche du modèle de l’économie de marché – devraient être les plus sobres en carbone, c’est-à-dire, les plus aptes à « découpler » leurs émissions et leur croissance économique[5]. C’est à l’examen de cette conjecture que se dédie cet article. Pour l’éprouver, nous avons corrélé les émissions de GES, la croissance du PIB et la démographie des pays les plus émetteurs du monde avec leur niveau de liberté économique entre 1990 et 2022. Sans mettre au jour une causalité au sens strict du terme, les résultats obtenus donnent lieu à une interprétation solide du rapport entre liberté économique et sobriété carbone.

Nos calculs confirment que les pays les plus libres sont aussi les plus sobres même si ce résultat recouvre des aspects divers, dont l’interprétation fait l’objet de notre première partie. D’autre part, la relation liberté-sobriété sépare très schématiquement le monde entre pays riches et pays pauvres, donnant eux-mêmes prise à une typologie que détaille la seconde partie de l’article.

1. Quelle relation entre sobriété carbone et liberté économique ? Panorama général

Cette étude repose sur des corrélations de rang entre un ensemble de variables « structurelles » (niveau et croissance du PIB et du PIB/h, niveau et croissance des émissions de GES, croissance démographique) et un ensemble de variables « institutionnelles » représentatives du niveau et de l’évolution de la liberté économique des 53 pays du monde émettant le plus de GES chaque année. La méthodologie de ce protocole de recherche est exposée dans l’encadré 1 ci-dessous. Elle accouche de nombreux tableaux relativement lourds qui, à quelques exceptions près, ne sont pas publiés. Leurs enseignements principaux sont mentionnés dans le corps du texte.

L’évolution des variables structurelles de l’étude délivre quelques enseignements généraux (1-1). On apprécie ensuite la structure et l’évolution de la liberté économique de notre échantillon de pays, ces dernières décennies (1-2). On évalue enfin dans quelle mesure et selon quelles modalités la liberté économique et la sobriété carbone sont associées (1-3). 


Encadré n°1 : Méthodologie de l’étude

La collecte des données obéit aux quatre étapes suivantes :

  1. Identification des « pays grands émetteurs », c’est-à-dire, ceux émettant le plus de GES chaque année (ces émissions sont mesurées en millions de « tonnes d’équivalent carbone » noté CO2eq). On a considéré qu’un pays était un grand émetteur à partir de 100 millions de tonnes émises en 2022 (100 Mt/an). 55 pays correspondant à ce seuil ont été identifiés grâce au site https://edgar.jrc.ec.europa.eu/report_2023. Le total de leurs émissions (48,8 milliards de tonnes, Gt) représente 90,7% des émissions mondiales en 2022 (53,8 Gt).
  2. Identification et mesure des variables structurelles : le même site fournit les émissions de GES, le PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) et la population de chacun des pays grands émetteurs en 1990 et 2022 (variables que l’on qualifie de « structurelles »). Cela nous a permis de calculer le taux de croissance annuel moyen (TCAM) de ces trois grandeurs entre ces deux dates (32 ans), et d’en dériver deux indicateurs composites dont le TCAM a aussi été calculé pour chaque pays : PIB/h et émissions/PIB (indicateur de « sobriété carbone »).
  3. Identification des variables institutionnelles : l’Institut Fraser permet d’évaluer la liberté économique de la plupart des pays du monde selon un index allant de 0 à 10, par ordre croissant de liberté (https://efotw.org/economic-freedom/approach). L’index de liberté générale agrège 44 variables différentes, elles-mêmes regroupées en 5 items principaux : taille de l’État (dépense publique, fiscalité, etc. Nous qualifions cet index « d’empreinte étatique »), efficacité juridique (impartialité des tribunaux, qualité du droit de propriété et des contrats, etc.), rigueur monétaire (maîtrise de l’inflation, continence de la création monétaire etc.), ouverture internationale (liberté de commercer, investir, travailler à l’étranger), réglementation (du capital financier, du travail, des entreprises et des marchés). Nous avons relevé le niveau de ces index pour chaque pays de notre échantillon en 1990 et 2022 (variables de « stock de liberté »). Nous avons également calculé le TCAM des différents index de chaque pays entre 1990 et 2022, pour apprécier leur évolution (variables dites de « flux de liberté » ou encore de « libéralisation »). Cependant, deux pays grands émetteurs de GES ne sont pas évalués par l’Institut Fraser (Ouzbékistan et Turkménistan). Ces pays ont donc été retirés de l’échantillon final, qui passe à 53 pays.
  4. Corrélation entre les variables : chacune des variables structurelles et institutionnelles ci-dessus a donné lieu à un classement des pays de l’échantillon par ordre décroissant de performance (à l’instar d’un classement sportif). Cela nous a permis de calculer de nombreuses corrélations de rang entre variables structurelles d’une part, entre variables institutionnelles d’autre part, entre variables structurelles et variables institutionnelles enfin. Ces corrélations sont appréciées selon un coefficient de Spearman, compris entre -1 et 1 (https://datatab.fr/tutorial/spearman-correlation). On a considéré qu’entre -1 et – 0,5, deux variables fonctionnaient en sens contraire ; qu’entre – 0,5 et 0,5, leur association n’était pas significative (mais en amendant le diagnostic pour une association proche d’une valeur absolue de 0,5) ; et qu’entre 0,5 et 1, deux variables allaient de pair.

Les données de cette étude comportent enfin quelques particularités et/ou limites :

  • On calcule le PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) et non en US dollars courants. Le PIB PPA neutralise les fluctuations de change – donc la gestion de la devise de chaque pays – sur l’évaluation de la richesse nationale, ce qui impacte potentiellement notre classement des pays grands émetteurs sur cet indicateur (par exemple, en PPA, le PIB de la Chine est supérieur à celui des États-Unis). De manière générale, les pays où l’inflation est élevée tirent parti d’une évaluation de leur PIB en PPA (Turquie ou Argentine, par exemple). Cette méthode d’évaluation peut également brouiller la corrélation entre richesse produite et rigueur monétaire, soit l’un des items constitutifs de la liberté économique selon l’Institut Fraser. C’est pourquoi notre analyse néglige cette composante de la liberté générale. 
  • Les index de l’Institut Fraser ont eux-mêmes trois limites : (1) ils ne pondèrent pas les divers items qui les composent (un défaut dont l’Institut Fraser convient explicitement) ; (2) ils sont « capés » à 10 (note maximale censée représenter la liberté parfaite) ; (3) ils comportent un risque d’endogénéité ce qui signifie qu’ils sont potentiellement influencés par les variables qu’ils sont ici censés expliquer (par exemple, un pays pourrait obtenir un index élevé de liberté du seul fait qu’il est riche ; dans ce cas, la liberté n’expliquerait pas la richesse, elle en procèderait implicitement). À l’examen, cependant, ce risque d’endogénéité nous apparait insignifiant.

1.1. Les variables structurelles : dynamisme, richesse et sobriété des pays grands émetteurs

Dans la suite, un pays est dit « dynamique » lorsque sa croissance économique ou démographique est importante (il est dit « paresseux » dans le cas contraire). Un pays dont le PIB/h est élevé (faible) est qualifié de « riche » (pauvre). Enfin, un pays sobre (dispendieux) est, ici, un pays qui émet relativement peu de GES par unité de richesse produite (qui en émet beaucoup).

1.1.1. Croissance du PIB, de la population et des émissions : état des lieux

Nous avons identifié 55 pays émettant annuellement plus de 100 millions de tonnes de CO2eq, dont 2 ont été retirés car leur index de liberté générale n’est pas évalué (voir encadré méthodologique ci-dessus). Notre échantillon comprend donc 53 pays dont la liste est fournie dans le tableau de l’Annexe 1, avec leur classement 2022 dans la hiérarchie mondiale du PIB, de la sobriété carbone et de la liberté économique.

La somme des PIB PPA des 53 pays grands émetteurs est passée de 46,1 à 125,7 billions de dollars américains (USD) entre 1990 et 2022. Cela représente un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de 3,18% proche de la moyenne arithmétique (3,33%) ainsi que du taux médian de notre échantillon, c’est-à-dire celui du pays occupant la 27ème position (Colombie, 3,45%).

Ces mêmes pays ont émis 48,4 Gt de CO2eq en 2022 contre 29,3 Gt en 1990, soit un TCAM de 1,59%, lui aussi proche de la moyenne arithmétique (1,62%). Les émissions mondiales ont donc augmenté deux fois moins vite que la production de richesses ; cependant, le taux moyen de croissance des émissions est notablement en-dessous du taux médian (Bangladesh, 2,2%), ce qui témoigne d’une diversité de situations justifiant une analyse particulière (c’est l’objet de notre seconde partie). Enfin, la population cumulée des 53 pays de l’échantillon est passée de 4,62 milliards d’habitants à 6,57 milliards, soit un TCAM de 1,1% entre 1990 et 2022 (la moyenne arithmétique est de 1,4% et le taux du pays médian – l’Iran – est de 1,3%).

Les exceptions nationales à cette triple tendance – augmentation de la production, des émissions et de la population mondiales – sont rares. Elles le sont cependant moins dans le domaine des émissions que dans ceux de la production et de la population : 14 pays sont parvenus à émettre moins de GES en 2022 qu’en 1990 – on revient sur leur cas dans la deuxième partie de l’article – alors que 3 pays de notre échantillon seulement ont subi une décroissance de leur PIB (Libye, Venezuela, Ukraine) ; ce contraste est emblématique de la sobriété croissante de l’économie mondiale. On ne compte également que 3 pays dont la population est moindre en 2022 qu’en 1990 : la Russie, la Roumanie et l’Ukraine (la Pologne est en stagnation quasi parfaite). La dépression démographique de l’Europe orientale ex communiste est un enseignement périphérique de notre étude. Elle préfigure une sorte de grand remplacement mondial qui verra l’humanité de la fin du siècle prospérer en Afrique et dans les pays arabo-musulmans – ainsi qu’au Pakistan – tandis que de nombreux pays d’Europe, d’Asie du sud-est et d’Amérique du sud seront moins peuplés qu’aujourd’hui.

Au final, c’est bien la démographie qui pilote le volume comme la croissance des émissions, via celle du PIB. Comme nous le vérifierons dans la seconde partie de l’article, ce ne sont pas les pays les plus riches qui émettent le plus (ou augmentent le plus leurs émissions) mais les pays les plus peuplés (et les plus jeunes) car ils sont ceux qui augmentent le plus leur production, du fait d’une population active abondante. Une donnée aussi structurelle ne saurait être infléchie par une politique publique quelconque, sauf à ce que celle-ci se montre particulièrement autoritaire – en recourant à la coercition démographique – ou au contraire, particulièrement libérale, en favorisant l’accumulation d’un capital – y compris éducatif – permettant à une main d’oeuvre jeune de produire plus efficacement.

1.1.2. Indicateurs composites: PIB par habitant et sobriété carbone

 a) PIB par habitant et émissions de GES 

La population d’un pays est un inducteur de PIB – car les humains doivent produire pour vivre le mieux possible – et d’émissions de GES car celles-ci sont les œufs sacrifiés à l’omelette du développement économique ; en contrepartie, plus la population d’un pays est importante, plus cette omelette doit être partagée entre de nombreux convives. Comme le PIB par habitant divise deux grandeurs fortement corrélées aux émissions – production et population – il en découle que la corrélation entre croissance du PIB/h et croissance des émissions est elle-même relativement faible (mais positive). Certains pays s’enrichissent donc en émettant peu de carbone tandis que d’autres en émettent beaucoup selon l’importance de leur secteur primaire (fortement émetteur), leur mode de production énergétique (de loin la première source d’émissions pour la grande majorité des pays), leur politique publique etc.

 b) La sobriété carbone 

On évalue le sobriété carbone d’un pays au moyen du ratio entre tonnes de CO2eq et milliers de dollars de PIB (unités de PIB) pour une année donnée ; plus le ratio est petit, plus le pays est considéré sobre. L’évolution de ce ratio entre 1990 et 2022 est qualifiée d’efficience carbone ; elle évalue les progrès – ou le déclin –  d’un pays en la matière, sur la période analysée.

Sur le total de notre échantillon, donc en rapportant la somme des émissions à la somme des PIB de nos 53 pays, la sobriété carbone a progressé de 65% environ entre 1990 et 2022. La moyenne des performances nationales donne un chiffre de 72,5% et la valeur médiane s’établit à 62% (Italie). Seuls 6 pays dérogent à cette loi de sobriété croissante : le Venezuela, l’Oman, l’Arabie Saoudite, la Libye, l’Iran et le Koweït dégradent leur ratio de sobriété entre 1990 et 2022 ; les Émirats Arabes Unis ont le même ratio en 2022 qu’en 1990. Ces pays ont en commun d’être de grands producteurs de pétrole et on revient sur leur cas dans la seconde partie de cet article.

L’évolution de la sobriété carbone des grands pays émetteurs délivre un autre enseignement majeur : la chute du communisme s’est avérée excellente pour l’environnement. Le tableau ci-dessous donne le rang de sobriété et d’efficience des pays de notre échantillon dont, en 1990, l’économie était encore largement administrée par un régime communiste tandis que 32 ans plus tard, ces mêmes pays s’étaient convertis à l’économie de marché (quitte à ce que leur régime politique demeure sous contrôle d’un parti communiste, comme en Chine). Ces pays sont présentés par ordre décroissant d’efficience carbone.

 Tableau 1 : l’évolution de la sobriété carbone des économies communistes de l’échantillon

 

À ces 8 pays, on pourrait ajouter l’Éthiopie – exemple édifiant d’expérience afro-communiste, dans les années 1980 – ainsi que les deux ex républiques soviétiques fortement émettrices que l’on a exclues de notre échantillon final (Ouzbékistan et Turkménistan) : ces trois pays occupent respectivement le 51ème, 52ème et 55ème (dernier) rangs de la sobriété carbone en 1990. Cela signifie qu’en disparaissant en tant que système économique, le communisme a laissé la place de cancre de la sobriété carbone aux pays producteurs de pétrole (voir ci-dessus). Non seulement le classement 1990 de ces ex pays communistes est peu flatteur mais leur ratio d’émissions sur PIB est si extravagant qu’il contribue, à lui seul, à l’explosion de la moyenne mondiale : en 1990, cette moyenne de la sobriété carbone s’élève, sur notre échantillon, à 0,818 t de GES par unité de PIB ; il faut atteindre le 40ème rang mondial (Australie) pour voir cette moyenne dépassée, ce qui signifie que 16 pays (sur 55) font alors bien pire que le reste du monde sur cet indicateur. Parmi ces 16 pays, 8 sont communistes.

Une aussi piètre performance tend à confirmer que les émissions de GES sont bien un signal d’inefficience économique, dont l’analyse va au-delà de cet article. Une part de l’explication peut résider dans l’importance d’un secteur primaire vraisemblablement archaïque dans la plupart des économies communistes, en 1990. Mais plus fondamentalement, la cause majeure de leur faible sobriété carbone se trouve dans l’absence totale d’incitation à l’économie de ressources caractérisant les régimes collectivistes, c’est-à-dire, fondés sur l’abolition de la propriété privée des actifs économiques ; en résulte une  incitation maximale au gaspillage – à une époque pourtant très postérieure aux démentiels plans quinquennaux de la grande époque stalinienne – faisant parfaitement corps avec l’absence de profits à investir dans la modernisation de l’appareil productif. À cet égard, les progrès impressionnants réalisés par les pays d’Europe de l’est (Roumanie, Pologne, Tchéquie) témoignent d’un effet de contraste saisissant entre ce que pouvait être leur système économique sous le joug soviétique et ce qu’il est devenu en s’intégrant au marché européen et mondial.

De manière générale et à l’exception des pays susmentionnés, on constate une corrélation élevée entre sobriété 1990 et sobriété 2022 : cela signifie qu’un pays relativement sobre en 1990 a toutes les chances de le rester en 2022, cette inertie étant liée à la qualité de son capital humain et économique. Une autre corrélation intéressante est celle, significativement négative, existant entre sobriété carbone (ainsi qu’efficience carbone) et croissance démographique. Cela signifie que les pays jeunes ont une croissance économique plus dispendieuse (ou moins économe) en carbone que les pays dont la population vieillit. On aura l’occasion de revenir sur cette observation structurelle d’importance majeure.

On constate enfin une corrélation modérément positive (mais supérieure à 0,4) entre sobriété carbone et PIB par habitant 2022 : être riche ne garantit pas d’être sobre même si cela « aide ». Et le fait de s’enrichir est bien corrélé avec l’efficience carbone, du fait de l’investissement qu’une richesse accrue permet de financer. 

1.2. Les variables institutionnelles : liberté, libertés, libéralisation des pays grands émetteurs

L’index moyen de liberté générale des 53 pays de notre échantillon est 16,5% plus élevé en 2022 qu’en 1990. Cela vient de ce que 40 pays réalisent des progrès significatifs quand 13 d’entre eux seulement – généralement des pays occidentaux – voient leur index baisser sur la période. Bien que l’écart se réduise entre les pays les plus et les moins libres de notre échantillon, les premiers, forts d’une avance considérable, conservent toutefois leur leadership en la matière.

En effet, la liberté économique est un actif institutionnel rare, dont les pays qui l’ont historiquement constitué tirent d’énormes bénéfices ; certains d’entre eux – en particulier les pays anglo-saxons et nord-européens – ont « consommé » une partie de cet actif ces dernières décennies, réduisant leur avance sur les pays en développement qui ont entrepris de rattraper leur retard. Bien que ceux-ci partent de trop loin pour (encore) contester l’ordre mondial de la liberté économique, leur effort de rattrapage n’est pas trivial : certes, par construction, les index de l’Institut Fraser accordent une marge de progression bien plus grande à un pays comme le Myanmar – dont la note 1990 est inférieure à 2/10 – qu’à l’Australie ou aux États-Unis où elle excède 8/10. Mais en contrepartie, la liberté est moins une technologie sociale qu’un trait de culture institutionnelle ; on aurait donc pu penser qu’un cercle vertueux de la liberté dans les pays libres, concomitant d’un cercle vicieux de l’autocratie dans les pays dictatoriaux, amplifiât les écarts plutôt que de les combler. Ce n’est pas ce qui s’est passé.

Cette libéralisation de l’économie mondiale est d’autant plus manifeste que chacun des cinq items constitutifs de l’index de liberté générale – faible empreinte étatique, efficacité juridique, rigueur monétaire, ouverture internationale, continence réglementaire – est lui-même plus élevé en 2022 qu’en 1990, en moyenne. Parmi ces items, l’index réglementation a fait l’objet d’une attention particulière car ses quatre composantes – réglementation du capital financier, du travail, des entreprises et des marchés – nous ont semblé plus discriminantes que les variables entrant dans la composition des autres index ; cet examen nous a ainsi permis de remarquer que, si le monde s’est globalement déréglementé entre 1990 et 2022, c’est à l’exception d’une variable: la réglementation des entreprises. Son score moyen s’est en effet dégradé entre 1990 et 2022. La moitié de notre échantillon a alourdi le fardeau réglementaire pesant sur les entreprises, parfois dans des proportions considérables. Si les pays développés n’ont pas le monopole de cette réglementation croissante, celle-ci reflète en partie le mouvement de « responsabilisation sociale et environnementale » des entreprises, particulièrement vivace en Europe occidentale et dans les pays anglo-saxons. 

1.2.1. Liberté et libertés: quelle corrélation ?

Selon l’Institut Fraser, la liberté est un composé des cinq libertés susmentionnées. Celles-ci font-elles système ? Autrement dit, les pays les plus performants sur telle ou telle dimension de la liberté le sont-ils aussi sur les autres ?

La réponse est à 80% positive : toutes les corrélations deux à deux entre classements de notre échantillon sur les items efficacité du droit, rigueur monétaire, ouverture internationale et déréglementation font état de coefficients positifs et élevés. Il en va de même de la corrélation entre liberté générale et chacun de ces items. Une dimension de la liberté fait donc remarquablement exception : l’empreinte étatique. Celle-ci mesure l’importance de la puissance publique dans l’allocation des richesses (fiscalité, dépense publique, subventions). Or, non seulement la corrélation entre la liberté générale et l’empreinte étatique est insignifiante mais les pays les plus interventionnistes tendent aussi à être les plus libéraux sur le plan juridique, les plus rigoureux sur le plan monétaire et les plus ouverts à l’international. Les pays de l’Union européenne suffisent à l’expliquer : leur État est omniprésent mais leur système institutionnel s’inscrit dans un marché unique dont les règles demeurent relativement libérales. Il peut paraître étonnant que, pour l’Institut Fraser, l’empreinte étatique des pays européens n’altère qu’à la marge leur niveau de liberté ; cela renvoie forcément à l’absence de pondération des évaluations de cet institut (voir encadré 1). Mais plus fondamentalement, cette conclusion rappelle que la liberté économique est relative : quand on contemple la propension de l’Europe à pervertir son économie, on se désole souvent et à juste raison. Quand on compare la liberté dont jouissent les Européens par rapport au reste du monde, on est conduit à se consoler.

Au-delà du cas européen, cependant, la relation entre l’empreinte étatique et les autres items de la liberté économique est très variable : les coefficients de corrélation entre cette dimension de la liberté et les quatre autres sont particulièrement faibles. 

1.2.2. La libéralisation du monde: principaux aspects 

Les pays dont l’index de liberté générale a le plus progressé entre 1990 et 2022 se répartissent schématiquement entre dictatures ayant assoupli leur contrôle de l’économie (Chine, Myanmar, Russie), voire changé de régime politique (Irak, Libye, Pologne, Roumanie), et pays pauvres ayant mené à bien des réformes structurelles (Pérou, Nigeria, Brésil). Mais en dépit de ces progrès remarquables et à trois exceptions près (Pologne, Pérou, Roumanie), ces pays demeurent dans la deuxième moitié – voire le fond – du classement sur l’index de liberté générale en 2022.

C’est avec les index de réduction de l’empreinte étatique et de déréglementation que l’indice de libéralisation générale est le mieux corrélé. Cet enseignement permet de situer plus précisément la teneur de ce « néolibéralisme » dont le vent mauvais – car le terme est péjoratif – aurait soufflé sur le monde, ces dernières décennies. Si les évaluations de l’Institut Fraser témoignent bien d’un progrès général de la liberté économique, celui-ci participe moins du néolibéralisme – et surtout pas dans les pays occidentaux – que du recul d’un socialisme réel ayant collectivisé et/ou corseté l’appareil de production dans des proportions insoutenables. C’est pourquoi ce progrès général réside essentiellement dans le recul du poids économique de l’État et de son corollaire réglementaire dans nombre de pays affranchis (ou, du moins, soulagés) d’un joug autocratique quelconque.

1.3. Corrélations entre variables structurelles et institutionnelles

1.3.1. Liberté, richesse et croissance économique

Le classement 2022 des pays les plus libres ne coïncide pas avec celui des pays les plus dynamiques, qu’il s’agisse de production (croissance du PIB), d’enrichissement (croissance du PIB/h) ou de démographie (croissance de la population). En revanche, il coïncide avec le classement des pays les plus riches, c’est-à-dire, ceux dont le PIB/h est le plus élevé en 2022. La corrélation entre stock de liberté et niveau de richesse est même notablement plus élevée en 2022 qu’en 1990 (0,71 contre 0,55), ce qui indique un recul de l’économie de rente fondée sur la croissance extractive, au profit d’une économie d’innovation fondée sur la liberté d’entreprendre.

En somme, les pays les plus libres sont aussi les plus riches, les moins dynamiques et les plus vieux. Mais si le stock de liberté d’un pays est, dans l’ensemble, bien meilleur pour son patrimoine que pour son dynamisme, une de ses composantes déroge à cette tendance générale, dans le sillage de ce qui a été signalé dans la sous-partie 1-2-1 : les pays peu interventionnistes sont plutôt moins riches et plus dynamiques que les autres. Il n’y a pas de quoi ériger cet enseignement en « loi » (les coefficients de corrélation sont relativement faibles) mais l’existence d’une association positive entre État modeste et croissance du PIB d’une part, négative entre État modeste et PIB par habitant d’autre part, suggère dans le premier cas que moins l’État se pique de financer l’économie, mieux celle-ci se porte et dans le second cas que seuls les pays riches ont les moyens de financer un État obèse, ce qui nuit en retour à leur dynamisme. 

1.3.2. Libéralisation et enrichissement des populations

S’il existe une association positive entre libéralisation d’un pays et croissance de son PIB par habitant (enrichissement), elle est trop faible pour être retenue. On peut simplement signaler qu’elle est considérablement plus élevée (mais inférieure à 0,5) sur l’item d’ouverture internationale que sur les quatre autres composantes de l’index général de liberté. Cet enseignement conforte l’idée – s’il en était besoin – que la mondialisation économique est un vecteur relativement efficace de lutte contre la pauvreté.

1.3.3. Liberté, libéralisation et croissance des émissions

Les pays les plus libres et/ou ceux qui ont le plus libéralisé leur économie entre 1990 et 2022 sont-ils ceux qui ont le moins augmenté (voire le plus diminué) leurs émissions ? La corrélation de rangs entre stock de liberté et croissance des émissions est négative mais relativement faible (- 0,3) ; et au-delà même de cette faiblesse, son interprétation est piégeuse. D’abord parce que si les pays libres sont plutôt vertueux en termes d’émissions, c’est en partie du fait de politiques publiques volontaristes qui diminuent leur index de liberté générale. Ensuite et surtout parce que les pays libres, on l’a dit, sont économiquement et démographiquement peu dynamiques ; c’est cette atonie qui justifie, avant toute chose, la relative faiblesse de leurs émissions.

Les corrélations entre flux de liberté (donc libéralisation) et croissance des émissions sont également faibles mais cette fois, généralement négatives. Cela signifie qu’en règle générale – mais au prix de nombreuses exceptions – les pays qui ont le plus progressé en matière de liberté sont aussi les plus dynamiques (économiquement et démographiquement), donc les plus émetteurs. C’est particulièrement vrai des pays ayant le plus modernisé leur droit, c’est-à-dire, le plus augmenté leur index d’efficacité juridique (seul item de libéralisation dont la corrélation avec la croissance des émissions est supérieure à 0,5). De manière générale, la modernisation juridique et, dans une moindre mesure, la réduction de l’empreinte étatique, induisent une plus forte croissance des émissions que ce n’est le cas de l’ouverture internationale et de la déréglementation. Et au sein même de cette déréglementation, la libéralisation de la finance et du travail est nettement moins associée à la croissance des émissions que ne l’est celle des entreprises et des marchés ; la déréglementation du marché du travail délivre même un résultat étonnant en ce qu’elle est la seule à déroger à la tendance générale d’une association positive entre libéralisation économique (toutes dimensions confondues) et croissance des émissions. Cela signifie que les pays qui ont le plus libéralisé leur marché du travail sont aussi ceux qui ont le plus contenu leurs émissions. Bien que cette tendance supporte de nombreuses exceptions, son esquisse ouvre la voie à trois pistes d’explication possibles : (1)

  1. un marché moins réglementé est concomitant d’un tissu productif plus tertiarisé, c’est-à-dire, à la fois moins émetteur et moins syndiqué que ce n’est le cas d’une économie dont les secteurs primaire (extraction) et secondaire (industrie lourde) sont importants ;
  2. une plus grande mobilité du facteur de production « travail » favorise la concurrence et l’innovation, facteurs d’efficience ;
  3. toute réglementation tend à attribuer des droits de propriété indus à des bénéficiaires illégitimes ; un marché du travail excessivement protégé incite donc à l’abusus de l’outil de travail. Cela peut favoriser toutes sortes de consommations en nature défavorables à l’efficience économique (un salarié protégé est incité à maximiser son budget discrétionnaire – incluant sa consommation d’énergie – plutôt que le profit de l’entreprise qui l’emploie).

Ces corrélations entre libéralisation économique et croissance des émissions de GES disent quelque chose d’important : la réduction de l’empreinte étatique, la modernisation du droit, la déréglementation des entreprises et des marchés participent fondamentalement d’un accroissement de la liberté d’entreprendre. Or, bien qu’à des degrés divers, ces quatre dimensions de la libéralisation économique tendent à favoriser les émissions de GES. A contrario, l’ouverture internationale et la déréglementation de la finance et des marchés participent de la liberté d’investir et d’embaucher. Celles-ci font moins écho à la création qu’au développement des entreprises, via une mobilité accrue des facteurs de production. Ces trois dimensions de la libéralisation sont nettement moins associées à la croissance des émissions. On aura l’occasion de revenir sur cette particularité dans la seconde partie de l’article. 

1.3.4. Liberté, libéralisation sobriété et efficience carbone

Outre que les corrélations entre liberté/libéralisation et croissance des émissions sont relativement faibles, c’est moins en soi qu’en rapport à la richesse produite que les émissions de GES doivent être envisagées. C’est ce que permet d’évaluer le ratio de sobriété carbone ainsi que son évolution entre 1990 et 2022 (efficience carbone).

La corrélation de rangs entre stock de liberté et sobriété carbone en 2022 est positive et relativement élevée (0,64) ; elle est supérieure à cette même corrélation calculée pour l’année 1990. Cela confirme que les pays les plus libres tendent à être les plus sobres, c’est-à-dire ceux dont l’arbitrage croissance-émissions est le plus efficient. Presque tous les index constitutifs de la liberté générale sont bien corrélés à la sobriété : celui de l’ouverture internationale est celui dont le coefficient est le plus élevé. A contrario, celui de l’empreinte étatique dépare par sa faiblesse. On a déjà eu l’occasion de remarquer la singularité de cette composante de la liberté économique (sous-partie 1-2-1). En l’occurrence, la faiblesse de son association à la sobriété vient de ce que les variables constituant cet index fonctionnent elles-mêmes de manière symétrique. Ainsi, le coefficient de corrélation entre pays les moins dispendieux en « transferts et subventions » et pays les plus sobres est négatif et proche de 0,5 ; cet item de l’index de liberté générale est le seul, parmi tous ceux que nous avons testés, à témoigner d’une association négative avec la sobriété. Cela indique que la transition énergétique, particulièrement gourmande en transferts et subventions, contribue dans l’ensemble à la sobriété carbone.

Une autre corrélation relative à l’empreinte étatique est remarquable, car positive et élevée : les pays les moins dotés en actifs publics – ceux dont l’économie est plus privatisée que les autres – tendent nettement à être les plus sobres. Cet enseignement fait naturellement écho à l’extraordinaire dépense carbone des pays communistes, déjà évoquée. Il confirme a contrario l’avantage comparatif considérable dont jouit une économie privée en matière d’incitation à l’efficience. Si l’on ajoute que la corrélation entre l’index « réglementation des marchés » et la sobriété carbone est elle-même particulièrement élevée, on en vient à conclure que la conjonction d’une économie privatisée, d’un haut degré d’ouverture internationale et d’une contestabilité importante des marchés est favorable à la sobriété carbone, ce qui renvoie à une notion clé de la théorie économique libérale : la concurrence. Celle-ci s’est plutôt accrue entre 1990 et 2022, bien qu’au prix d’une réglementation elle-même croissante des entreprises, comme on l’a vu précédemment[7].

Enfin, les corrélations entre libéralisation économique et efficience carbone sont insignifiantes sauf, à la rigueur, pour ce qui concerne la déréglementation du travail (voir partie 1-3-3). En somme, le stock de liberté d’un pays est prédictif d’une sobriété carbone élevée. Mais la libéralisation d’un pays n’est pas prédictive d’une amélioration considérable de cette sobriété carbone parce que, comme on l’a vu dans la sous-partie précédente, elle induit une croissance relativement élevée des émissions (pour des raisons que la seconde partie de l’article contribuera à mettre au jour).

 1.3.5. Liberté économique et sobriété carbone: une synthèse 

Depuis une trentaine d’années, la liberté économique a progressé dans la plupart des pays de la planète ; la sobriété carbone, c’est-à-dire, la quantité d’émissions de GES induite par la création de richesses, aussi. Sur les 53 pays grands émetteurs de GES en 2022, seuls 13 ont vu leur index de liberté générale baisser et 6 ont vu leur sobriété carbone se dégrader ; cela revient à dire que dans leur grande majorité, les pays grands émetteurs ont « découplé » leur croissance économique et leurs émissions de GES. Ce découplage correspond en l’occurrence à notre définition de la efficience carbone (amélioration du ratio émissions de GES / PIB) : il est le plus souvent « faible » – les émissions de GES ont moins augmenté que le PIB – mais il est parfois « fort », quand les émissions de GES diminuent alors que le PIB augmente.

L’association entre liberté et sobriété est importante, au point de suggérer l’existence d’un lien de causalité : si l’on considère que les émissions de GES sont un symptôme d’inefficience économique – un rejet indésirable du processus productif – les pays libres sont plus enclins que les autres à les contenir. En l’occurrence, cette causalité ne vient pas principalement de ce que les pays libres sont les plus sensibles à la cause environnementale, donc les plus prompts à accélérer la « transition écologique » par des moyens politiques. Cela vient plus essentiellement de ce que, bien qu’ayant « consommé » une partie de leur stock de liberté ces dernières années (notamment pour promouvoir les politiques environnementales), ces pays conservent un avantage institutionnel considérable grâce à trois qualités discriminantes de leur système économique, toutes très favorables à la sobriété carbone : un haut degré d’ouverture internationale, un tissu productif fait d’entreprises privées et une contestabilité relativement importante de leurs marchés.

On a donc d’un côté, des pays libres – mais de moins en moins – riches, vieux (faible croissance démographique) et paresseux (faible croissance économique), dont l’économie est efficace et la sobriété carbone, élevée. De l’autre, des pays moins libres – mais de plus en plus – émergents ou pauvres, jeunes et dynamiques, qui s’enrichissent au prix d’une sobriété carbone moindre quoique, dans l’ensemble, en progrès. Leur trajectoire est conforme à la « courbe environnementale de Kuznets[8] » : de nombreux pays pauvres comblent progressivement le fossé qui les sépare de la liberté et de l’opulence des pays riches ; forts d’une population jeune et avide d’épanouissement, ils produisent, s’enrichissent et constituent progressivement l’épargne qui leur permettra d’améliorer encore leur appareil productif, donc d’améliorer leur sobriété carbone.

C’est pourquoi il est intéressant de porter un regard plus précis sur l’évolution structurelle et institutionnelle des pays riches et pauvres de notre échantillon, ces dernières décennies, en se concentrant sur leur aptitude à enrichir leur population sans trop émettre de GES. C’est l’objet de notre seconde partie. 

2. Sobriété carbone et liberté économique des pays grands émetteurs : une typologie  

La première partie de l’article porte un regard général sur la relation entre liberté et libéralisation économique d’une part, sobriété et efficience carbone d’autre part. Ces deux derniers indicateurs sont mesurés au moyen du ratio entre émissions de CO2eq et PIB ; ils ont donc l’inconvénient de ne pas directement prendre en compte le facteur-clé expliquant à la fois la croissance du PIB et celle des émissions : la démographie. Le PIB par habitant (PIB/h) rectifie cette anomalie : il permet d’apprécier dans quelle mesure le dynamisme économique d’un pays (croissance du PIB) est proportionné à son dynamisme démographique (croissance de la population). Ce faisant, le PIB/h est un indicateur de richesse mais aussi de productivité d’une population.

Cette seconde partie apprécie donc la sobriété carbone des pays grands émetteurs au travers de leur « enrichissement sobre », c’est-à-dire, leur capacité à enrichir leur population en émettant aussi peu de GES que possible. C’est pourquoi l’on ordonne les 53 pays de notre échantillon en fonction de la croissance de leur « PIB/h sobre », égal à la différence entre le TCAM de leur PIB par habitant et le TCAM de leurs émissions de CO2eq entre 1990 et 2022.

Le calcul des 53 PIB/h sobres de l’échantillon a conduit à l’identification de 10 groupes relativement homogènes : deux groupes hors normes  – les pays surperformants et les pays sinistrés – correspondent aux deux extrêmes de la distribution. Entre ces extrêmes, se trouvent deux quatuors de pays répartis en deux catégories : les pays riches (voire émergents) et les pays pauvres (voire émergents). On a considéré qu’un pays riche figurait dans la première moitié du classement des 53 pays grands émetteurs sur l’indicateur PIB/h 2022. Les pays pauvres figurent dans la seconde moitié de ce classement ; les pays émergents, enfin, sont associés à l’une et l’autre catégorie (ils comprennent des pays proches de la médiane, c’est-à-dire le 27ème rang).

Cette dichotomie riche/pauvre procède de l’enseignement suivant, issu de la première partie de l’article : en règle générale, les pays riches sont moins dynamiques donc moins émetteurs que les pays pauvres, ce dont la structure mais aussi l’importance de leur PIB/h sobre se ressent. Au sein de chacune de ces deux catégories structurantes, se dégagent quatre groupes distincts dont les intitulés sont inspirés d’une matrice stratégique célèbre : la matrice du BCG[9]. Cette matrice classe les entreprises ou activités d’un secteur économique en fonction de la croissance de leur chiffre d’affaires (dynamisme économique) et de l’importance de leur part de marché (censée approximer leur rentabilité, donc leur efficacité économique). Notre propre typologie classant 53 pays en fonction de leur dynamisme (croissance du PIB/h) et de leur efficience carbone (croissance des émissions), on a par analogie considéré que, dans leur catégorie de référence (riches ou pauvres/émergents) :

  • Les pays « vedettes » étaient à la fois relativement dynamiques et efficients.
  • Les pays « vaches à lait » étaient moins dynamiques mais efficients.
  • Les « dilemmes » étaient relativement dynamiques sans être efficients.
  • Les « poids morts » n’étaient ni dynamiques ni efficients.

L’Annexe 2 présente chacun de ces groupes en mentionnant la valeur du TCAM du PIB/h sobre (et de ses composantes) de chacun des pays les constituant ; figure également le rang de chaque pays de notre échantillon en matière de PIB par habitant (1990 et 2022), de croissance de ce PIB/h et de croissance des émissions de GES sur la période 1990-2022. Chacun de ces indicateurs donne lieu au calcul d’une moyenne – de valeurs ou de rangs – représentative de la performance du groupe (ligne « moyenne »).

L’Annexe 3 mentionne le rang des pays de chaque groupe sur deux indicateurs structurels (efficience carbone et croissance démographique) et, surtout, six indicateurs institutionnels dont l’un est de stock (rang de liberté économique en 2022) et les cinq autres, de flux : libéralisation économique générale (évolution de l’index de liberté générale de chaque pays entre 1990 et 2022), réduction de l’empreinte étatique, modernisation du droit, ouverture internationale et déréglementation. L’accent ici mis sur les indicateurs de flux de préférence aux indicateurs de stock s’explique aisément : le TCAM du PIB/h sobre, qui constitue la variable structurante de l’étude, est aussi un indicateur de flux. Il est donc intéressant de savoir dans quelle mesure les pays ayant le plus (ou moins) augmenté leur PIB/h sobre sont aussi ceux qui ont le plus (ou moins) libéralisé leur économie, ces 32 dernières années[10]. L’analyse ne négligera cependant pas les indicateurs de stock – le niveau de liberté de tel pays sur tel ou tel item – dans la mesure où la première partie de cette étude a mis au jour leur importance.

L’analyse des corrélations entre indicateurs de libéralisation économique et composantes de la croissance du PIB/h sobre va dans le sens d’un enseignement important issu de la première partie de l’étude (voir 1-3-3) : les deux items « réduction de l’empreinte étatique » et « modernisation juridique » sont mieux corrélés à la croissance des émissions qu’à celle du PIB/h ; et sans surprise, cette corrélation est négative. Cela signifie que, toutes choses égales d’ailleurs, privatiser l’économie (réduction de l’empreinte étatique) et sécuriser les transactions (modernisation du droit) tend à augmenter les émissions, donc joue en défaveur de l’enrichissement sobre. Ces deux items participent en effet de la liberté d’entreprendre laquelle se manifeste, dans un premier temps en tout cas, par une croissance du PIB relativement dispendieuse en carbone, a fortiori dans les pays pauvres faiblement dotés en capital économique. A contrario, les items « ouverture internationale » et « dérègle-mentation » sont mieux corrélés à la croissance du PIB/h qu’à celle des émissions et sans surprise encore, cette corrélation est positive. Cela signifie que, toutes choses égales d’ailleurs, internationaliser et déréglementer l’économie impacte plus le PIB/h que les émissions. Ces deux items favorisent en effet la libre allocation des facteurs de production – investissements directs, transferts de technologie, sous-traitance, expatriation, etc. – ce qui, en retour, contribue à l’enrichissement sobre en améliorant l’efficience des chaînes de valeur. Les effets de la déréglementation sont cependant plus différenciés que ceux que l’ouverture internationale, selon qu’elle porte sur les facteurs de production (finance et travail) ou les entreprises et les marchés. Conformément à ce que l’on observe dans la première partie de l’article, la dérèglementation des facteurs de production est bien mieux corrélée à la croissance du PIB/h (corrélation positive) qu’à celle des émissions, ce qui va dans le sens d’une association positive entre liberté d’investir/embaucher et enrichissement sobre. A contrario, dérèglementer les entreprises et les marchés participe de la liberté d’entreprendre, laquelle a plutôt tendance à augmenter les émissions.

Si ces enseignements généraux doivent être consommés avec modération – ils supportent beaucoup d’exceptions et ne valent que toutes choses égales d’ailleurs –, ils indiquent que la liberté d’entreprendre permet de produire plus – donc d’émettre plus – tandis que la liberté d’investir et d’embaucher permet de produire mieux[11]. Cet enseignement général servira de toile de fond à l’analyse de nos dix groupes de pays. Celle-ci s’appesantit d’abord sur le cas des pays « aberrants » de l’échantillon, qu’ils soient « surperformants » ou, tout à l’inverse, « sinistrés » (2-1). On aborde ensuite le cas des pays riches (ou riches émergents) (2-2) et celui des pays pauvres (ou pauvres émergents) (2-3). 

2.1. Deux groupes de pays « aberrants » : les pays surperformants et les pays sinistrés 

Ces deux groupes témoignent d’une évolution aberrante de leur PIB sobre entre 1990 et 2022 : les pays surperformants parce qu’ils ont considérablement enrichi leur population au prix d’une dépense nettement plus faible en carbone ; les pays sinistrés parce que, tout à l’inverse, ils ont appauvri leur population sans toujours parvenir à baisser leurs émissions.

 2.1.1. Les pays surperformants: Roumanie, Pologne, Chine, Taïwan, Myanmar, Tchéquie, Kazakhstan

 On tient ici les champions toutes catégories de l’enrichissement sobre, c’est-à-dire, les pays ayant considérablement enrichi leur population au prix d’une dépense en carbone relativement modérée : six des sept pays de ce groupe font état d’une croissance de leur PIB/h sobre supérieure à celle de n’importe quel autre pays grand émetteur, ces 32 dernières années. Seul le Kazakhstan fait ici office de cas-limite : bien que relativement élevée, la croissance de son PIB/h sobre est inférieure à celle de certains pays « vedettes riches » (voir 2-2-1). Mais le profil général du Kazakhstan est identique à celui de la Roumanie, de la Pologne et de la Tchéquie, soit quatre pays ayant fortement découplé croissance économique et émissions carbone à partir de leur sortie du monde communiste, en 1990. On qualifie ce sous-ensemble surperformant « d’Européen premium », non en référence à sa géographie mais parce que la conjonction d’une progression du PIB par habitant et d’une décroissance des émissions est typique de la trajectoire des pays européens, ces dernières décennies.

L’autre sous-ensemble de ce groupe surperformant correspond à un profil différent, typique du continent asiatique. La Chine, Taïwan et le Myanmar occupent les trois premiers rangs de notre classement en termes de croissance du PIB/h, au prix d’une dépense en carbone certes en augmentation, mais nettement en-deçà de cette trajectoire d’enrichissement.

En somme, les pays « européens premium » excellent en émissions de GES tandis que les pays asiatiques du groupe excellent en croissance du PIB/h. L’un dans l’autre, ce groupe est le premier de notre classement en matière d’efficience carbone et le second en matière d’enrichissement de sa population, ce qui vaut à chacun de ses membres – sauf le Kazakhstan – de progresser dans le classement de la richesse par habitant, entre 1990 et 2022 (de manière spectaculaire pour ce qui concerne Taïwan, en particulier ; voir annexe 2).

Ces sept pays ont une caractéristique structurelle en commun : une population relativement âgée et manifestement très productive. Tous figurent en effet dans la deuxième moitié du classement de la croissance démographique au point que dans l’ensemble, il s’agit du deuxième groupe le moins dynamique de l’échantillon, sur ce critère. C’est un peu moins vrai des pays asiatiques que des pays « européens premium » mais dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une tendance lourde : l’est de l’Europe et le sous-continent russe sont déjà en dépression démographique ; l’Asie extrême-orientale emprunte la même voie. Or, une faible croissance de la population est généralement favorable à la sobriété carbone. Un autre enseignement ressort de ce focus démographique : il est fréquent qu’une « stagnation séculaire » soit promise aux pays dont la population vieillit, ce qui est généralement le cas des pays développés. Les pays surperformants tendent à déjouer ce pronostic : certes, en 1990, leur richesse par habitant est relativement faible tandis que leurs émissions de GES sont élevées ; la progression spectaculaire de leur sobriété carbone, ces trente dernières années, doit prendre en compte cette base favorable. Il n’en demeure pas moins que, plus que l’âge d’une population, c’est sa productivité qui dicte la performance économique d’un pays. L’exemple de la Pologne est ici édifiant : son PIB et son PIB/h progressent respectivement de 3,72% et 3,74% l’an en moyenne entre 1990 et 2022 (cette quasi identité impliquant que la population polonaise n’a presque pas bougé entre 1990 et 2022). Ce pays vieillissant est donc l’un des plus dynamiques du Monde (22ème rang de notre échantillon en termes de croissance du PIB ; 9ème rang en termes de croissance du PIB/h). Il le doit manifestement à une main d’oeuvre qualifiée, efficace et valorisée.

On remarque également que les pays surperformants ont non seulement libéralisé leur économie mais l’ont fait comme nul autre groupe entre 1990 et 2022. L’index de chacun des pays du groupe a augmenté sur toutes les dimensions de la libéralisation que l’on prend ici en compte : réduction de l’empreinte étatique, modernisation du droit, ouverture internationale, déréglementation[12]. À l’exception (décidément récurrente) du Kazakhstan, les membres du groupe progressent dans la hiérarchie des pays les plus libres du monde entre 1990 et 2022 même si la Chine et surtout le Myanmar demeurent en queue de classement.

Certains pays ont manifestement libéralisé leur économie « en grappe », c’est-à-dire, sans négliger la moindre condition de leur prospérité : c’est particulièrement vrai de la Roumanie. Dans l’ensemble, toutefois, le groupe surperformant excelle en matière d’amaigrissement de l’État et de déréglementation – il occupe la première place des 10 groupes de l’échantillon, sur ces items – tandis qu’il est en retrait sur la modernisation juridique. C’est donc la privatisation et la mobilité des facteurs de production – c’est-à-dire la dynamique allocative de l’économie de marché – qui est à l’origine de l’enrichissement sobre des pays surperformants d’autant que le groupe excelle aussi en ouverture internationale (deuxième rang). Il semble moins aisé à ces pays de transformer leur infrastructure juridique dans un sens libéral, en dépit de réels progrès en la matière ; c’est particulièrement vrai de la Chine, de la Tchéquie et de la Pologne comme si la mue civilisationnelle des pays communistes (ou ex communistes) avait plus de mal à opérer dans le domaine du droit que dans celui de l’économie. Il est vrai que le premier reflète l’essence individualiste de l’ordre libéral quand la seconde s’accommode mieux de réformes ciblées.

Dans l’ensemble, le cas des pays surperformants donne à voir des économies dont la privatisation fait levier sur la productivité du travail, au profit de la sobriété carbone. Cette performance repose sur d’importantes réformes structurelles, ayant d’autant plus favorisé l’investissement dans le capital humain et économique que ces pays sont généralement dans une situation économique et politique peu enviable, à l’orée des années 1990. Leur politique de formation mériterait, en particulier, d’être auscultée : les progrès que réalisent ces pays semblent avant toute chose s’appuyer sur une main d’oeuvre dont le niveau élevé de qualification paraît bien articulé à un tissu économique lui-même dynamique. 

2.1.2. Les pays sinistrés: Ukraine, Lybie, Soudan, Venezuela 

Ce groupe est d’assez loin le moins performant de notre échantillon. Il comporte trois pays dont le PIB/h sobre décroît à un rythme inégalé – entre -2% et -4% l’an en moyenne sur la période d’examen – et surtout, quatre des cinq pays de notre échantillon dont le PIB par habitant est plus petit en 2022 qu’en 1990. L’un d’eux, pourtant, voit son PIB/h sobre croître à un rythme important : l’Ukraine, dont les émissions diminuent encore plus vite que la richesse par habitant. Ce pays constitue donc l’archétype du paradis décroissant rêvé par l’écologisme radical. Il le doit naturellement à l’aimable concours de la Russie, dont la politique étrangère contribue à la décarbonation du monde de façon injustement sous-estimée.

Fi d’ironie, les quatre pays sinistrés de l’échantillon sont évidemment hors normes et le sont à cause d’une économie détruite par la guerre et/ou le socialisme. Ainsi, alors qu’ils sont émergents en 1990, l’Ukraine, la Libye et le Venezuela font partie des pays pauvres 32 ans plus tard. Et en dépit de la décroissance de leur richesse par habitant, la Libye, le Soudan et le Venezuela parviennent tout de même à augmenter leurs émissions de GES sur la période (faiblement, il est vrai).

L’Ukraine et la Libye ont pourtant libéralisé leur économie, pour des raisons historiques qui se comprennent aisément : fin de la tutelle soviétique dans le premier cas, chute de la dictature du colonel Kadhafi dans le second. C’est donc moins de libéralisation que de respiration dont il s’agit, au prix de tourments politiques peu propices au progrès – guerres d’invasion dans le cas de l’Ukraine, révolution dans le cas de Libye – et à partir d’un stock de liberté initialement très faible. De leur côté, le Soudan et le Venezuela ont, au contraire, considérablement diminué leur index de liberté générale entre 1990 et 2022, à cause d’un régime politique que l’on peut qualifier d’islamo-socialisme dans le premier cas et de socialisme bolivarien dans le second ; soit deux régimes dont on ne saurait inférer autre chose qu’une tragédie socio-économique.

Ce groupe est donc le moins libre de notre échantillon. Il occupe la dernière place du classement quel que soit l’item de liberté considéré, à l’exception de l’empreinte étatique (il n’occupe que le 8ème rang de l’échantillon en la matière, vraisemblablement parce qu’un État socialiste est finalement moins socialiste qu’il n’est pauvre, à force de dilapider les ressources que le travail de sa population met à sa « disposition »). Son bilan en la matière contraste de façon saisissante avec celui des pays surperformants. 

2.2. Les pays riches: vedettes, vaches à lait, dilemmes, poids morts

La catégorie des pays riches comprend 17 pays dont 11 sont très avancés – les pays développés – et 5 tirent leur richesse de la ressource pétrolière. Un seul – la Russie – est en toute rigueur un pays émergent (24ème PIB/h 2022 de l’échantillon). Son profil étant cependant typique de celui des vaches à lait riches, nous avons fait le choix de l’inclure dans ce groupe. Les quatre groupes entre lesquels sont répartis ces 17 pays sont ceux dont le PIB par habitant 2022 est le plus élevé, sur l’ensemble de l’échantillon. 

2.2.1. Les vedettes riches: Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Etats-Unis, Allemagne

Ces cinq pays forment le groupe affichant la plus forte croissance moyenne du PIB/h dans la catégorie des pays riches, et la plus forte décroissance des émissions toutes catégories confondues ; en matière d’efficience carbone, seuls les pays surperformants font mieux. Ce groupe est aussi le plus riche de l’échantillon et le deuxième en matière de liberté économique. Enfin, à l’instar des pays développés en général, sa croissance démographique est faible (8ème rang).

S’il fait peu de doute que la grande liberté de ce groupe explique sa non moins grande richesse, la croissance élevée de son PIB/h sobre ne doit en revanche rien à la libéralisation de son économie. Les cinq pays du groupe font même partie des rares dont l’index de liberté générale est plus petit en 2022 qu’en 1990, la tendance étant globalement la même sur chaque item de cette liberté générale, à quelques exceptions près (on relève notamment de timides progrès en matière de déréglementation). Ce groupe occupe la dernière place de notre classement tant en matière de libéralisation générale que d’empreinte étatique et de modernisation juridique.

La décarbonation des économies de ce groupe, sans équivalent dans notre typologie, semble donc indissociable de politiques publiques qui n’ont pas entravé – ou pas manifestement – la progression du PIB/h, ces dernières décennies. D’instigation européenne et/ou nationale, ces politiques ont notamment contribué à décarboner la production d’énergie ; ce faisant, elles ont amélioré l’efficience carbone des vieux pays charbonniers ou gaziers que sont les quatre pays européens du groupe. La trajectoire des États-Unis a beau être un peu différente – le pays a récemment investi dans l’extraction et l’exploitation d’énergies fossiles – son cas relève d’une trame comparable sur l’ensemble de la période. Les vedettes riches ont donc fortement découplé croissance économique et émissions de GES en 32 ans, ce qui explique leur progression considérable dans le classement des économies sobres en carbone, comme l’exemplifie le cas britannique : le Royaume-Uni n’a que le 15ème ratio de sobriété carbone (émissions de GES / PIB) des pays grand émetteurs, en 1990. Trente-deux ans plus tard, il occupe la première place de ce classement.

Les vedettes riches donnent donc l’exemple d’une « croissance verte » assise sur des politiques volontaristes mais également, une liberté économique parmi les plus élevées du monde. Il reste naturellement à savoir dans quelle mesure le sacrifice d’une partie de cette liberté au profit de la verdisation de leur économie n’a pas obéré leur productivité. Les États-Unis et l’Allemagne peuvent illustrer cette interrogation. La croissance du PIB des États-Unis entre 1990 et 2022 est notablement supérieure à celle de son PIB/h (respectivement 2,4% et 1,5% l’an en moyenne) ; cela signale une économie plus dynamique que productive. L’Allemagne soulève une interrogation différente : alors que les pays européens affranchis du joug communiste en ont conçu une croissance remarquable de leur économie, tel ne semble pas être le cas – ou pas dans des proportions comparables – de l’ex république démocratique allemande, réintégrée à l’Allemagne fédérale en 1990. Cela soulève la question du « mode d’emploi » de la réunification allemande, hors de propos de cet article sinon qu’elle semble avoir obéi à des motivations plus politiques qu’économiques.

Si, en vertu de la théorie économique libérale, la politique publique inhibe plutôt qu’elle ne favorise le développement économique, nos données ne permettent pas de l’étayer pour ce qui concerne la politique de décarbonation des vedettes riches. Il est possible que le coût de ces politiques se donne à voir progressivement ; il est également possible qu’il ne soit encore, pour l’heure en tout cas, qu’un aspect mineur du processus d’érosion de la liberté économique à l’oeuvre dans les pays développés (à rebours de ce « néolibéralisme » que fantasment nombre de ses contempteurs). Quoi qu’il en soit, les politiques de décarbonation illustrent la grande résilience du capitalisme libéral, c’est-à-dire, son aptitude à « encaisser » un haut niveau d’interventionnisme public. On doit évidemment rappeler que cette résilience s’appelle en réalité « richesse » et que celle-ci a été cultivée dans le terreau culturel d’une grande liberté. 

2.2.2. Les vaches à lait riches: France, Italie, Russie, Japon 

Les vaches à lait riches brillent par la décarbonation plutôt que le dynamisme de leur économie : c’est même un euphémisme dans la mesure où en matière de croissance du PIB/h, seul le groupe des pays sinistrés fait pire tandis qu’en matière de croissance des émissions, seul le groupe des vedettes riches fait mieux. Les vaches à lait riches sont aussi le groupe le plus « vieux » de l’échantillon c’est-à-dire, celui dont la démographie est la moins dynamique (la France étant, pour l’heure, moins déprimée que l’Italie, le Japon ou la Russie sur ce plan).

Le profil des vaches à lait riches ressemble donc à celui des vedettes de la même catégorie mais en moins performant : dans l’ensemble, France, Italie, Russie et Japon s’enrichissent moins et décarbonent moins que les cinq pays du groupe des vedettes riches, ce qui se traduit par une efficience carbone médiocre (6ème rang). Les raisons de cette médiocrité sont a priori étonnantes : en effet, partant d’un niveau de PIB/h 1990 notablement plus bas que celui des vedettes riches, il eût été pensable que ce groupe des vaches à lait rattrapât son retard, ces 32 dernières années. Or, au contraire, le retard en question s’est accru : les vaches à lait se sont moins enrichies que les pays déjà plus riches qu’elles en 1990 et de fait, régressent dans le classement mondial de la richesse par habitant, entre 1990 et 2022 (notons que cette régression est moindre pour la France que pour les trois autres pays du groupe). Il s’agit d’un signe tangible de déclin économique.

En revanche, Russie exceptée, ces pays sont, en 1990, les champions mondiaux de la sobriété carbone. La France est évidemment emblématique de cette position car sa transition énergétique décarbonée est l’une des plus précoces du monde. Elle se traduit, à partir des années 1970, par la construction de plusieurs dizaines de réacteurs nucléaires valant à la France d’afficher deuxième plus grande sobriété carbone de notre échantillon, en 1990. À partir d’une base aussi élevée – en sus de la France, l’Italie et le Japon affichent respectivement la deuxième et la quatrième sobriété carbone de notre échantillon, en 1990 – fallait-il continuer de décarboner davantage plutôt que de mettre l’accent sur la croissance économique ? C’est en tout cas ce qui s’est passé. La France, en particulier, semble avoir été entraînée dans une course à la décarbonation induite par des politiques européennes qui n’auraient pas dû la concerner, tant celles-ci semblent avoir été conçues pour l’Allemagne ou le Royaume Uni. Les politiques en question n’expliquent pas le déclin économique de notre pays, que l’on sait dû à des facteurs autrement structurels : elles n’auraient cependant pas dû – et aujourd’hui moins que jamais – parasiter l’agenda des réformes à mener pour tenter d’inverser le cours de ce déclin.

Schématiquement et à l’instar des vedettes de leur catégorie, les vaches à lait doivent leur décarbonation à un mix de politique publique et d’efficience économique typique des pays riches. L’analyse de leur liberté économique obéit à la loi générale d’opposition entre stock et flux identifiée dans la première partie de cette étude : le pays le plus libre de l’échantillon est le seul dont l’index de liberté régresse entre 1990 et 2022 (Japon) ; inversement, le pays le moins libre est celui dont l’index progresse le plus (Russie). À rebours des vedettes riches, la France et l’Italie voient leur index de liberté générale progresser légèrement entre 1990 et 2022, presque exclusivement du fait de leurs progrès significatifs en matière d’ouverture internationale, liés à l’achèvement du marché unique européen. Cette ouverture internationale ne compense cependant pas les handicaps structurels des économies française et italienne, lesquelles souffrent d’une empreinte étatique comparable à celle des vedettes riches sans bénéficier de la même qualité institutionnelle, à cause d’un droit encombré et d’un zèle réglementaire dont le débat public se fait fréquemment l’écho.

Dans l’ensemble, donc, les vaches à lait riches n’ont pas libéré leur économie à la hauteur de ce qu’aurait réclamé leur atonie démographique : pour retrouver du dynamisme, ces pays auraient besoin d’un choc de productivité, donc de rationalité économique. Ce n’est pas – ou pas assez – le chemin qu’ils ont emprunté ces dernières décennies. Si le cas de la Russie semble ici se distinguer de ceux de la France, de l’Italie et du Japon – dont les situations sont assez comparables – c’est vraisemblablement en trompe l’œil : certes, la Russie occupe le sixième rang de notre échantillon en matière de libéralisation économique, une situation qui contraste avec celle des pays occidentaux et qu’explique évidemment la chute de l’Union soviétique, entraînant la fin de la mainmise intégrale de l’État sur l’économie. Pour autant, outre qu’elle ne s’est pas occidentalisée – notamment dans le sens de l’ouverture internationale – l’économie russe continue d’évoluer avec des boulets institutionnels au pied qui, toutes proportions gardées, ne sont pas sans rappeler les archaïsmes français et, surtout, italien. Ces archaïsmes sont, entre tous, ce qui entrave la progression de la richesse par habitant dans les pays de ce groupe. 

2.2.3. Les dilemmes riches: Espagne, Australie, Canada

Ce petit groupe affiche une progression du PIB/h comparable à celle des vedettes riches – environ 1,3% l’an en moyenne entre 1990 et 2022 – mais au prix d’une croissance des émissions de GES qui constitue une anomalie à l’échelle des pays développés de l’échantillon. C’est pourquoi le PIB/h sobre de ce groupe est significativement en retrait de celui des vedettes et des vaches à lait riches.

L’Espagne, l’Australie et le Canada correspondent donc bien aux « dilemmes » de la matrice du BCG : ils sont relativement dynamiques – sans plus au demeurant – mais au prix d’une dépense en carbone témoignant d’une certaine inefficience de leur appareil de production. La teneur de leur croissance économique peut en partie l’expliquer : l’Espagne a par exemple misé une grande part de son rattrapage économique sur la construction immobilière et le génie civil ; l’Australie et le Canada sont, quant à eux, de grands pays miniers. Toutes ces activités sont fortement émettrices.

Dans l’ensemble, les dilemmes riches ont donc choisi la croissance plutôt que la décarbonation de leur économie, faute d’une structure économique leur permettant de concilier les deux. Deux facteurs étroitement imbriqués peuvent l’expliquer. D’abord, la démographie des dilemmes riches est plus vigoureuse que celle de leurs alter egos vedettes ou vaches à lait, ceci suffisant presque à expliquer cela : en effet, plus un pays est jeune, plus sa consommation tend à être élevée – les jeunes adultes ont, en particulier, besoin de se loger – et, en conséquence, plus il tend à préférer la croissance à la décarbonation. Dans le cas d’espèce, cette préférence est d’autant plus manifeste que les dilemmes riches forment, en 1990, le groupe le moins riche des pays riches (quatrième PIB par habitant de notre échantillon) ; ce n’est plus le cas en 2022, la croissance de leur richesse par habitant leur permettant de passer devant le groupe des vaches à lait sur cet indicateur.

Ces paramètres structurels – démographie vigoureuse et PIB par habitant initialement en retrait – expliquent mieux le PIB/h sobre des dilemmes riches que ne le fait l’examen de leur liberté économique. En effet, les dilemmes riches sont à la fois le groupe le plus libre de notre échantillon et le moins sobre de leur catégorie alors qu’en général, liberté et sobriété sont couplées. Conformément à une loi générale déjà rencontrée, ce groupe très libre est aussi l’un de ceux ayant le moins bien évolué en la matière, seules les vedettes riches faisant pire que lui en termes de libéralisation économique. Il est possible que les dilemmes riches n’aient pas assez libéralisé leur économie au regard d’un niveau de richesse initialement en retrait de celui des autres pays développés – notamment pour ce qui concerne l’Espagne – et que cela ait pesé sur l’efficience de leur production ; cette conjecture doit cependant être envisagée avec précaution.

À ce stade de notre examen, il apparaît que les pays développés dont le stock de liberté est le plus important sont ceux dont le PIB/h progresse le plus (vedettes et dilemmes) ; leur sobriété carbone est, en revanche, inégale.

2.2.4. Les poids morts riches : Koweït, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Oman, Qatar

Ce club des cinq de la péninsule arabique affiche une performance peu enviable : en matière de croissance du PIB/h, un seul groupe fait pire que lui en valeur (les pays sinistrés)[13]. En contrepartie, il détient le record toutes catégories de la croissance des émissions. La décroissance du PIB/h sobre qui en résulte coïncide avec une caractéristique structurelle majeure de ce groupe : il est celui dont la croissance démographique est la plus vigoureuse de notre échantillon, ce qu’une immigration massive explique largement quoique non exclusivement. Or, ce surcroît de population s’avère faiblement productif, ce qui se traduit par la pire efficience carbone de notre échantillon.

En l’espèce, cet effet démographie surpasse l’effet richesse : car du fait de leur rente pétrolière, les poids morts riches ont le deuxième PIB/h le plus élevé de notre échantillon (derrière les vedettes riches). Les pays de la péninsule arabique font donc exception à la corrélation de rangs entre richesse par habitant et sobriété carbone : leurs activités extractives et l’importance de leur construction immobilière l’expliquent largement. Mais cette structure de leur appareil productif illustre surtout le déficit d’efficience d’une économie de rente par rapport à l’économie d’innovation.

L’analyse de la liberté économique des poids morts riches délivre des enseignements intéressants : sans surprise, il s’agit non seulement du groupe le moins libre dans la catégorie des pays riches mais il n’occupe même que le sixième rang de l’échantillon sur ce critère (derrière les « vedettes pauvres/émergentes », voir plus loin). Cet enseignement confirme qu’une liberté insuffisante ne permet pas de constituer un capital – notamment humain – de bonne qualité, gage d’efficience économique. Si les pays du groupe ont amélioré leur index de liberté générale entre 1990 et 2022 (à l’exception de l’Oman), ils l’ont fait moins que d’autres groupes de l’échantillon ; ils régressent donc dans la hiérarchie de la liberté mondiale. Ce constat d’ensemble masque cependant la forte hétérogénéité de leur évolution institutionnelle : ainsi, les poids morts riches réduisent leur empreinte étatique et surtout, améliorent leur efficacité juridique (l’index du groupe progresse sur ces deux dimensions de la liberté). En revanche, ces pays régressent en matière d’ouverture internationale et de déréglementation (leur index diminue sur ces deux dimensions).

Les poids morts ont donc progressé sur des aspects de la liberté associées à une croissance économique peu sobre tandis qu’ils ont régressé sur les dimensions favorables à la rationalisation de l’appareil de production (voir sous-partie 1-3-3). De manière plutôt paradoxale, les pays de la péninsule arabique ont donc eu tendance à favoriser la liberté d’entreprendre tout en entravant l’allocation des facteurs de production, ce que confirme également l’examen de leur évolution réglementaire (ce groupe alourdit la réglementation du capital et du travail tout en déréglementant les entreprises et les marchés). Mais au-delà de ces remarques de flux, la sobriété carbone de ce groupe souffre d’un handicap institutionnel majeur : bien qu’en légère diminution, l’empreinte étatique des poids morts riches est la deuxième plus élevée de notre échantillon, à cause de l’importance de leurs actifs publics (pour l’essentiel, des sociétés nationales d’infrastructure et d’exploitation pétrolière). Les poids morts riches contribuent donc largement à la corrélation négative entre propriété publique des actifs économiques et sobriété carbone (voir sous-partie 1-3-4).

2.3. Les pays pauvres et émergents : vedettes, vaches à lait, dilemmes, poids morts

Cette catégorie comprend 25 pays dont 20 sont pauvres – soit un PIB/h 2022 situé entre la 28ème et la 53ème place du classement – et 4 sont émergents (Turquie, Malaisie, Chili, Argentine dont le PIB/h 2022 se situe entre le 21ème et le 27ème rangs). Un dernier pays fait office de cas-limite dans la mesure où son PIB/h est celui d’un pays riche : la Corée du sud (14ème PIB/h en 2022). Sa trajectoire d’enrichissement sobre ressemble cependant plus à celle des pays pauvres/émergents qu’à celle des pays développés.

Deux caractéristiques structurelles distinguent la catégorie des pays pauvres/émergents de celle des pays riches : un PIB/h 2022 bien sûr moins élevé mais aussi une croissance démographique plus vigoureuse (à l’exception notable des poids morts riches ). 

2.3.1. Les vedettes pauvres/émergentes : Bangladesh, Inde, Thaïlande, Corée du Sud

Ce groupe comprend deux pays pauvres (Bangladesh et Inde), un émergent riche (Corée du sud) et un émergent pauvre (Thaïlande). Le PIB/h sobre de chacun de ces pays progresse entre 1% et 2% l’an en moyenne sur la période 1990-2022, soit une performance quasi identique à celle des vaches à lait riches. Le fait que les vedettes de cette catégorie ne fassent pas mieux que les vaches à lait de la précédente illustre le décalage entre riches et pauvres : les premiers sont nettement moins dynamiques que les seconds mais autrement plus efficients de sorte que l’un dans l’autre, leur PIB/h sobre est globalement supérieur.

Les vedettes pauvres/émergentes ont le premier taux de croissance du PIB/h de l’échantillon : nul autre groupe – pas même celui des pays super formants – n’a montré plus de motivation à enrichir sa population, ces 32 dernières années. Bien qu’il l’ait fait en contrepartie d’une croissance non négligeable des émissions (7ème rang sur cet indicateur), sa performance en la matière n’en reste pas moins honorable : ce groupe part en effet du niveau de pauvreté le plus élevé de l’échantillon (10ème PIB/h 1990) pour se hisser au 6ème rang 32 ans plus tard. Et bien qu’une économie pauvre ne progresse généralement qu’au prix d’une forte dépense en carbone, ce n’est pas le cas ici et ce, quel que soit le pays que l’on considère : sur la période, les émissions du Bangladesh – pays le plus pauvre de ce groupe en 1990 – progressent par exemple moins que celles de la Corée du sud, pourtant plus riche et donc mieux dotée en capital.

L’efficience carbone des vedettes pauvres/émergentes est donc élevée (3ème rang de l’échantillon). Comme toujours, une démographie relativement peu vigoureuse permet de l’expliquer : ce groupe ne comportant que des pays d’Asie – continent en voie de dépopulation – il n’est pas étonnant de le voir au dernier rang de sa catégorie, en la matière. Un PIB/h relativement important conjugué à une croissance démographique modérée constitue l’indice d’une population productive.

Il n’est donc pas étonnant que ce groupe performant soit le plus libre de sa catégorie – il est même plus libre que le groupe des poids morts riches – ni qu’il ait considérablement libéralisé son économie entre 1990 et 2022, du fait de progrès substantiels en ouverture internationale (1er rang de libéralisation sur cet item) et en dérèglementation (3ème rang de libéralisation). On tient là un profil classique de pays pauvre/émergent : un stock de liberté systématiquement en retrait de celui des pays riches avancés mais un flux nettement plus porteur. L’effort d’internationalisation et de déréglementation des économies de ce groupe est conforme à leur profil de croissance, relativement sobre au regard de sa catégorie. Bien sûr, il reste beaucoup à faire en la matière : la déréglementation des vedettes pauvres/émergentes a essentiellement porté sur la finance et les marchés. Mais le travail et les entreprises y restent trop corsetés. 

2.3.2. Les vaches à lait pauvres/émergentes : Colombie, Vietnam, Chili, Ethiopie, Argentine, Nigeria, Pérou

Ce groupe très hétérogène – quand bien même y discerne-t-on une prépondérance sud-américaine – affiche un PIB/sobre croissant entre 0% et 1% l’an en moyenne. Dans l’ensemble et à l’image de ce que l’on a remarqué pour son homologue « riche », ce groupe des vaches à lait se comporte comme celui des vedettes de sa catégorie mais en moins performant : il s’enrichit moins et émet plus, sans doute parce que sa croissance démographique est supérieure. C’est également l’un des groupes les moins libres de l’échantillon (8ème rang) en dépit de progrès qui se voient mieux dans la valeur de ses index (en augmentation sur tous les items) que dans son classement dans la hiérarchie des pays libres (il ne progresse guère qu’en matière de déréglementation).

Il reste que ce groupe agrège des pays dont les niveaux de richesse, de dynamisme – économique comme démographique – ou encore d’efficience carbone sont très disparates. Quoi de commun entre deux pays émergents tels que le Chili ou l’Argentine (respectivement 25ème et 27ème PIB/h 2022 de l’échantillon) et l’Éthiopie (52ème PIB/h) ? Entre deux des pays les plus démographiquement dynamiques de l’échantillon (Nigeria et Éthiopie) et d’autres dont la population croît bien moins rapidement (Chili, Colombie, Argentine, Vietnam) ? Entre un pays jeune et pauvre étonnamment économe en émissions (Nigeria) et un pays vieillissant et pauvre ayant la main lourde en la matière (Vietnam) ? Entre deux pays relativement libres (Chili, Pérou) et un autre qui, jusqu’à très récemment, l’était fort peu (Argentine) ? Et enfin – pour ne prendre qu’un exemple parmi de nombreux autres – entre l’un des champions du monde de la dérèglementation (Nigeria) et l’un des pires cancres sur ce critère (Chili) ?

Plus que n’importe quel autre groupe, celui-ci mériterait un zoom d’autant plus individualisé que certains de ses membres dérogent manifestement à la tendance générale. Pour n’aborder superficiellement que deux cas remarquables, le Nigeria fait partie des 10 pays les plus démographiquement dynamiques de l’échantillon et il est le seul parmi ceux-ci à apparaître dans la première moitié du classement de la modération des émissions (21ème rang sur ce critère, soit une excellente performance pour un pays aussi vigoureux) ; il est aussi l’un des champions de la libéralisation économique (5ème rang) mais, curieusement, moins en matière d’ouverture internationale – pourtant généralement couplée à une forte sobriété carbone – que de réduction de l’empreinte étatique, de modernisation juridique et de déréglementation. Le Pérou est un autre champion de la libéralisation économique (4ème rang) au point d’être le pays de notre échantillon ayant le plus progressé dans la hiérarchie de la liberté générale (entre 1990 et 2022, il gagne 30 rangs). Or, les dividendes qu’il tire de ce progrès sont peu tangibles : la croissance de son PIB/h est certes significative (16ème rang) mais celle de son PIB/h sobre est la plus faible de son groupe de référence. Cela signifie qu’en dépit d’impressionnants progrès en matière d’internationalisation et de déréglementation, l’appareil de production du Pérou témoigne d’une efficience relativement faible, typique des pays pauvres (le PIB/h du Pérou n’est que le 37ème de notre échantillon en 2022).

De façon plus générale, on peut scinder les vaches à lait pauvres/émergentes en deux sous-groupes : le Chili, l’Éthiopie et le Vietnam affichent une croissance moyenne de leur PIB/h située entre 3% et 6% l’an, soit une performance élevée. Les quatre autres pays du groupe affichent une croissance convenable (entre 2% et 3% l’an : Pérou, Colombie) ou décevante (entre 1% et 2% : Argentine, Nigeria). Le groupe comprend donc un sous-ensemble dynamique (au prix d’émissions élevées) et un autre plus en retrait (au prix de moindres émissions) sans que la démographie n’explique cette différence (les deux sous-ensembles ayant la même moyenne de rangs sur ce critère). L’examen de leur libéralisation économique l’éclaire sans doute mieux : les trois pays relativement dynamiques du groupe réduisent leur empreinte étatique et – surtout – modernisent leur droit plus résolument que ne le font les quatre pays moins dynamiques, soit deux aspects de la liberté économique plus favorables à la croissance du PIB qu’à la modération des émissions. En revanche, ils internationalisent et déréglementent moins leur économie, soit deux aspects de la liberté économique jouant plus sur l’efficience que le dynamisme de l’appareil productif.

 2.3.3. Les dilemmes pauvres/émergents : Egypte, Philippines, Maroc, Indonésie, Malaisie, Turquie

 On tient là un groupe de pays qui a enrichi sa population « quoi qu’il en coûte » (en émissions carbone). En effet, les dilemmes pauvres/émergents affichent la troisième croissance du PIB/h de l’échantillon en contrepartie du neuvième rang de performance en matière de croissance des émissions. Cas relativement rare, chaque pays de ce groupe affiche donc une décroissance annuelle moyenne de son PIB/h sobre (entre 0 et – 1% l’an).

Les dilemmes pauvres/émergents ont donc sacrifié l’efficience de leur économie à son dynamisme, ce qui constitue l’indice d’une croissance plutôt extractive, typique de pays relativement pauvres mais ambitieux (le PIB/h du groupe passe du 8ème au 7ème rang de l’échantillon entre 1990 et 2022), jeunes (3ème taux de croissance démographique), peu libres (7ème rang en 2022)[14] mais résolus à réduire leur empreinte étatique et moderniser leur droit plus nettement qu’à internationaliser et déréglementer leur économie. C’est globalement ce que l’on observe à propos de ce groupe (quand bien même, rappelons-le, les pays pauvres et émergents progressent en général sur tous les items de la liberté économique).

Ces pays exemplifient la « courbe de Kuznets » de la sobriété carbone. Leur trajectoire de développement passe par une efficience énergétique relativement faible – du fait d’une production d’électricité et de modes de transport gourmands en énergies fossiles – mais leur dynamique de développement devrait à l’avenir améliorer l’efficacité de leur appareil de production, donc leur sobriété carbone. 

2.3.4. Les poids morts pauvres/émergents : Brésil, Pakistan, Kenya, Algérie, Iran, Mexique, Afrique du sud, Irak

 À l’instar des vaches à lait, ce groupe est vaste et sa diversité est évidemment facteur d’hétérogénéité. Mais ses membres se distinguent par une croissance particulièrement faible de leur PIB/h – au point d’évoquer le profil « paresseux » des pays riches – en contrepartie d’émissions relativement élevées (de l’ordre de celles des vedettes et vaches à lait pauvres/émergentes). C’est pourquoi le PIB/h sobre des pays de ce groupe décroît généralement de 1% à 2% l’an en moyenne sur la période 1990-2022 – le Brésil et l’Afrique du sud faisant cependant moins mal[15] – soit une performance particulièrement faible.

À cet égard, les poids morts pauvres/émergents ressemblent à leurs homologues riches, en plus dynamiques et moins dispendieux. Il est remarquable que ces deux groupes, qui diffèrent principalement par le niveau de leur PIB/h (2ème rang de l’échantillon pour les poids morts riches, 9ème rang pour les poids morts pauvres/émergents) soient précisément ceux dont la démographie est la plus vigoureuse, confirmant à quel point celle-ci est décidément l’ennemie jurée de la sobriété carbone.

On a également affaire à un groupe qui paie le prix fort d’un stock de liberté particulièrement bas. En 1990 comme en 2022, seul le petit groupe des pays sinistrés est moins libre que lui. Pourtant, les poids morts pauvres/émergents ont considérablement progressé dans l’intervalle : à l’exception de l’Iran, non seulement les pays du groupe augmentent leur index de liberté générale mais ils le font dans des proportions que seuls les pays surperformants de notre échantillon surpassent. La comparaison est ici édifiante : en dépit de la libéralisation de leur économie, les poids morts pauvres/émergents souffrent de handicaps institutionnels si considérables qu’ils entravent toute dynamique de rattrapage. La qualité de leur droit est notamment en cause : elle ne progresse quasiment pas entre 1990 et 2022, notamment du fait de la régression enregistrée en la matière par les deux géants latino-américains du groupe, Brésil et Mexique. Or, un droit libéral constitue la condition sine qua non d’un développement économique durable (seule l’Afrique du sud réalise ici des progrès significatifs, vraisemblablement liés à la fin de l’apartheid).

Ce handicap fait corps avec le statut de puissance régionale qu’occupent la plupart des poids morts pauvres/émergents. Tous les membres de ce groupe sont de grands pays, généralement très peuplés, qui entendent jouer un rôle politique dans leur zone d’influence. S’ils n’ont pas le monopole de cette ambition, il est vraisemblable qu’elle surplombe en l’espèce toute aspiration à l’émancipation de la société civile, dont le développement économique est le fils aîné. Cela ne les empêche pas de réduire leur empreinte étatique – parfois significativement, comme le Pakistan ou le Kenya – mais sans que ce progrès « ruisselle » dans le corps social, vraisemblablement faute de la sécurité juridique dont les entreprises ont besoin pour éclore et prospérer. 

Conclusion: décarboner au rythme de l’économie de marché plutôt que de la technocratie publique

 À condition de l’entendre en termes relatifs plutôt qu’absolus, c’est-à-dire, d’envisager la baisse des émissions par rapport à la richesse produite et non selon des impératifs de réduction dignes de feu le Gosplan soviétique, la décarbonation obéit à une tendance lourde de l’économie mondiale. Notre étude montre que non seulement la liberté économique s’en accommode très bien mais qu’au-delà, elle la favorise au nom d’une quête d’efficience économique qui est inscrite dans son patrimoine génétique : des véhicules peu émetteurs économisent du carburant, ce qui plaît aux consommateurs ; des bâtiments mieux isolés économisent du chauffage, ce qui augmente le pouvoir d’achat des ménages ; des process industriels plus « propres » économisent de l’énergie, ce qui améliore la rentabilité opérationnelle des entreprises ; enfin, les sources de production électrique les moins émettrices sont aussi celles dont on tire le meilleur rendement (nucléaire et gaz, en particulier).

Au-delà de cet enseignement général, trois conclusions majeures se dégagent de ce travail. D’abord, les émissions de GES sont filles de la démographie, loin devant tout autre facteur explicatif : plus un pays fait d’enfants (appelés à grandir), plus il émet du carbone. Un enseignement aussi implacable est lourd d’implications philosophiques : tandis que les jeunes des pays riches renoncent à la parentalité par peur, entre autres, du réchauffement climatique – une éco-anxiété qui, en l’espèce, cache vraisemblablement des motivations moins altruistes – les jeunes des pays pauvres se chargent de les remplacer, quitte à amplifier le dit réchauffement. Les émissions de CO2eq sont donc inhérentes à l’humanité même ; et c’est parce qu’elles sont effectivement anthropocentriques que les combattre avec les armes de l’écologisme radical revient in fine à combattre l’homme. Il faut être un vieux continent – l’Europe – particulièrement imbu de sa rationalité technocratique pour prétendre juguler un phénomène qui se joue ailleurs, là où se produit l’humanité de demain. Si la question climatique n’avait pas été tôt détournée de la raison par l’hubris climato-alarmiste, cette évidence démographique aurait suffi à balayer d’un revers de main l’idée même des politiques d’atténuation. La science aurait alors produit le travail d’utilité publique sur lequel est fondé son crédit social : elle nous aurait averti des dangers d’un réchauffement global susceptible de s’accélérer et nous aurait invité à l’anticiper. Las, les politiques publiques ont préféré l’atténuation à l’adaptation, c’est-à-dire, la déraison au réalisme.

Ensuite, la liberté a besoin de temps avant de produire pleinement ses effets. De nombreux pays pauvres ou émergents ont découvert ou renforcé la liberté d’entreprendre, ces dernières décennies ; leur population en a conçu un enrichissement qu’aucune politique d’aide au développement n’aurait pu concevoir. Mais ce rattrapage économique réclame son lot d’émissions carbone, en vertu d’une courbe de Kuznets en U inversé témoignant d’une montée initiale des émissions par unité de richesse produite avant que, se modernisant, l’appareil de production ne gagne en efficience, notamment grâce à l’internationalisation des chaînes de valeur. Cette cyclicité suffit-elle à découpler fortement richesse et émissions c’est-à-dire à faire en sorte que, par le seul truchement de l’économie de marché, les populations s’enrichissent tout en diminuant leurs rejets carbone ? Il est ici impossible d’être affirmatif : il est vraisemblable que les progrès réalisés par les pays riches en matière d’efficience énergétique procèdent de gains de productivité inhérents à la dynamique de l’économie de marché, au point de conduire à une baisse nette des émissions. Mais les progrès réalisés en matière d’efficience carbone reposent grandement sur une production d’énergie non fossile et en la matière, les pouvoirs publics disposent d’importantes prérogatives : quand bien même n’ont-elles pas toujours eu la décarbonation en ligne de mire – le parc nucléaire français obéit à une ambition d’indépendance énergétique, non d’atténuation du réchauffement global – les politiques publiques des pays occidentaux ont contribué à la baisse nette des émissions de sorte que sans elles, rien ne dit que le découplage fort aurait eu lieu. L’exemple des pays d’Europe de l’est tend cependant à montrer qu’il est possible de diminuer spontanément ses émissions précisément quand on sort d’un régime économique gouverné par le tout politique ; mais cette diminution a eu lieu à partir d’un volume de rejets hors normes, indissociable de l’extraordinaire gabegie des économies communistes. Quoi qu’il en soit, une chose reste sûre : seuls les pays riches ont les moyens de s’offrir de coûteuses politiques publiques, précisément parce qu’ils sont riches. Et ils sont riches parce qu’ils sont libres.

Enfin, la sobriété carbone semble plus tributaire du stock que du flux de liberté d’un pays. La liberté, en effet, est un actif non seulement institutionnel mais culturel, mûri dans le fût d’une longue histoire. C’est parce que les États des pays occidentaux se sont inclinés « devant la puissance de la liberté humaine dont la conscience occidentale germait depuis plus de deux mille ans dans le creuset de Jérusalem, Athènes et Rome[16] », que ceux-ci sont aujourd’hui les pays les plus riches, les plus libres, les plus efficients donc les plus sobres du monde. Si d’autres civilisations disposent possiblement d’un capital culturel comparable – on pense à l’Extrême Orient – l’éveil d’une grande partie du monde à la liberté économique n’est pour l’heure pas de nature à menacer la position dominante de l’Occident en la matière. Celui-ci, on ne le déplorera jamais assez, tend hélas à se payer sur la bête qu’il a pourtant mis tant de temps à élever de sorte que partout en Occident ou presque, la liberté recule. Mais ailleurs, en Afrique, en Amérique latine, au Moyen Orient, tant de pays partent de si loin que leurs progrès, pour peu qu’ils s’avèrent durables, mettront du temps à porter pleinement leurs fruits. La sobriété carbone n’est donc pas une fonction linéaire de la liberté. Ce n’est pas parce qu’un pays progresse sur tel ou tel index de l’Institut Fraser qu’il a bataille gagnée en la matière ; à cet égard, notre évaluation de la liberté – et de la libéralisation – des pays grands émetteurs s’enrichirait d’une analyse plus holistique (quelles sont les dimensions de la liberté qui entraînent les autres ?) et peut-être moins formelle (la liberté se limite-t-elle aux textes qui prétendent lui donner naissance ?).

En tout état de cause, les effets socio-économiques que la liberté produit semblent dépendre d’effets de seuil. Notre étude délivre des enseignements édifiants lorsque l’on considère les groupes de pays qu’elle sépare nettement : les pays surperformants sont, en l’espèce, l’antithèse des pays sinistrés ; et les pays riches ont une avance considérable sur les pays pauvres en matière de liberté. À l’intérieur de chaque catégorie, en revanche, plus ou moins de liberté ou de libéralisation n’a pas toujours d’impact très net sur le PIB/h sobre des groupes qui les composent.

Dans l’ensemble, toutefois, la liberté est bonne pour la planète. De sorte que pour préserver celle-ci, le mieux est encore de conserver celle-là : tel devrait être le mot d’ordre de toute politique verte, histoire de se rappeler qu’avant d’être celle d’un écologisme confinant trop souvent au fanatisme, le vert est fondamentalement la couleur de l’espoir.

 Annexe 1

Classement des 53 pays les plus émetteurs de GES sur trois indicateurs: PIB par habitant, sobriété carbone, liberté économique générale (année 2022) 

Annexe 2 

Les 10 groupes de pays grands émetteurs de GES, répertoriés en fonction de leur PIB/h sobre

 Le tableau suivant expose les 10 regroupements de pays grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) que l’on a opérés au sein d’une catégorie générale (première colonne) et d’un groupe (deuxième colonne) comprenant les pays inclus (troisième colonne). Les quatrième et cinquième colonnes du tableau donnent le taux annuel moyen de croissance du PIB/h et des émissions des pays de chaque groupe entre 1990 et 2022, le PIB/h sobre correspondant à la différence entre ces deux chiffres (sixième colonne). Les groupes sont principalement déterminés en fonction de l’importance de ce PIB/h sobre, les pays inclus dans chaque groupe étant mentionnés dans les lignes du tableau. Les quatre dernières colonnes donnent le rang de performance de chacun des 53 pays de l’échantillon sur les quatre indicateurs suivants : rang de PIB/h 1990, rang de PIB/h 2022, rang de taux de croissance du PIB/h entre 1990 et 2022 et enfin, rang de taux de croissance des émissions de GES entre 1990 et 2022. La dernière ligne de chaque groupe donne enfin la moyenne des valeurs ou des rangs du groupe, sur chaque indicateur.

Annexe 3 

Les 10 groupes de pays répertoriés en finction de leur efficience carbone, leur croissance démographique, leur rang de liberté et de libéralisation

Le tableau ci-dessous répertorie les rangs de croissance démographique et d’efficience carbone (évolution de la sobriété carbone) entre 1990 et 2022. Ces six dernières colonnes donnent le rang de performance des 53 pays de notre échantillon, d’abord en matière de stock de liberté (2022), puis d’évolution de ce stock (libéralisation), de réduction de l’empreinte étatique, de modernisation du droit, d’ouverture internationale et de déréglementation entre 1990 et 2022.

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[1] Voir Friedrich Von Hayek (1990), The Fatal Conceit : the Errors of Socialism, University of Chicago Press et du même auteur (1974), “The Pretense of Knowledge”, discours de reception  du Prix Nobel  (https://www.nobelprize.org/prizes/economic-sciences/1974/hayek/lecture/).

[2] Voir, entre autres références, mes deux articles sur le sujet dans le Journal des libertés, n°17 et n°18, 2022 (https://rebrand.ly/a1yqntt et https://rebrand.ly/o6kdhh1) ainsi que ceux de Vincent Bénard dans ce même Journal des libertés, n°24 et n°26, 2024 (https://rebrand.ly/d2580ae et https://rebrand.ly/fuhju7t).

[3] Voir par exemple :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Identit%C3%A9_de_Kaya.

[4] Le géographe canadien Pierre Desrochers a mis au jour la tendance naturelle des économies de marché à réduire et/ou valoriser leurs déchets. Voir Erwan Queinnec et Pierre Desrochers (2013) : « Peut-on être écologiquement vertueux sans être socialement responsable ? L’exemple du recyclage des déchets industriels au dix-neuvième siècle », Vie & Sciences de l’Entreprise, 195-196, p. 99-116.

[5] Ce découplage est absolu (ou fort) quand la croissance du PIB est concomitante d’une baisse des émissions. Il est relatif (ou faible) quand la croissance du PIB est supérieure à la croissance des émissions. Pour les lecteurs qu’intéresse la recherche sur le « découplage », voir D. Wiedenhofer et al. (2020), « A systematic review of the evidence on decoupling of GDP, resource use and GHG emissions, part 1 : bibliometric and conceptual mapping,” Environmental Research Letters, 15, 063002 (https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ab8429/pdf).

[7] Toute réglementation consiste en un droit de décision – donc d’appropriation – de l’État sur les actifs privés. Il se pourrait donc que l’alourdissement de la réglementation des entreprises corresponde à une sorte d’ersatz de nationalisation consolant la puissance publique de sa perte de contrôle direct sur leurs décisions.

[8] C. Bjørnskov (2024), “Economic freedom and the greenhouse gas Kuznets curve”, European Journal of Political Economy, 82, 102530.

[9] Voir https://asana.com/fr/resources/bcg-matrix.

[10] L’un des 5 items constitutifs de cette liberté générale est ici négligé : il s’agit de la rigueur monétaire.

[11] Il ne s’agit pas d’opposer les deux libertés (d’entreprendre et d’investir/embaucher) tant elles sont complémentaires sur la durée. Toutefois, une liberté d’entreprendre corsetée par d’importantes barrières à l’entrée peut se traduire, en cas de dérèglementation subite, par un afflux d’acteurs relativement peu efficaces sur les marchés autrefois fermés à la concurrence. Celle-ci ne joue alors son rôle de rationalisation qu’après un temps d’adaptation nécessaire à l’élimination des nouveaux entrants inefficaces.

[12] Il n’y a qu’une exception à cette règle : l’État du Kazakhstan est plus interventionniste en 2022 qu’en 1990. C’est pour le moins surprenant si l’on veut bien se rappeler que le Kazakhstan est, en 1990, une république soviétique.

[13] Cela vient cependant de la performance aberrante des Émirats Arabes Unis, seul pays « non sinistré » de notre échantillon à connaître une décroissance de son PIB/h entre 1990 et 2022 (malgré une liberté relativement importante). Si l’on apprécie notre classement non plus en fonction de la valeur mais du rang de la croissance du PIB/h, les poids morts riches occupent la huitième place de notre échantillon, le groupe des vaches à lait riches faisant alors pire que lui.

[14]  Relevons cependant le bon classement de la Malaisie sur l’index de liberté générale (10ème en 2022).

[15] Au vu de leur PIB/h sobre, ces deux pays auraient pu être intégrés au groupe des dilemmes. Mais la croissance de leur PIB/h est significativement inférieure aux pays de cette catégorie.

[16] Jean-Philippe Delsol (2024), Libéral ou Conservateur : Pourquoi pas les deux?, Manitoba/Les Belles Lettres, Paris, p. 41

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1 commenter

Virgile 30 avril 2025 - 11:05 am

Vous allez nous lacher ave la sobriété carbone? Il est eseentiel à la vie sur Terre, laquelle ne peut s’en passer. De plus il est en dose infinitésimale dans l’atmosphère. Révisez vos connaissances scientifiques!

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