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Le marché parallèle du tabac va-t-il supplanter le marché légal ?

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marché du tabac

Le trafic de drogue menace notre société. Si ce n’est pas encore le cas du trafic de cigarettes, il est permis de s’inquiéter de son doublement en seulement quatre ans. Une étude récente émet l’hypothèse qu’il puisse même, à terme, supplanter le marché légal.

 Le sénateur Etienne Blanc a présenté, lors du colloque organisé par l’Iref le 2 avril 2025, le rapport qu’il a rédigé au nom de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France. Le tableau qu’il a dressé de la situation n’est guère réjouissant : « La France est submergée par le narcotrafic. Des zones rurales et des villes moyennes sont désormais touchées par le narcotrafic qui n’est pas le seul fait de mafias étrangères mais, aujourd’hui, de groupes français structurés et dangereux. […] Plus aucun territoire, plus aucune catégorie sociale ne sont épargnés et les outre-mer, en raison de leur situation géographique, sont particulièrement pénalisés. L’Europe est désormais un lieu de production de drogues de synthèse (pas moins de 897 ont été répertoriées), beaucoup plus faciles à produire discrètement car ne nécessitant pas de surfaces de culture ». Etienne Blanc s’est dit également très inquiet de « l’émergence de la corruption des agents publics et privés ». Le sénateur a rappelé les principales propositions du rapport, largement reprises dans la loi contre le narcotrafic adoptée par le Parlement fin avril 2025.

Un marché parallèle du tabac en expansion fulgurante

Nous pourrions, à peu de choses près, reprendre les propos du sénateur Blanc pour parler du marché parallèle des produits du tabac. Dans un rapport récent – réalisé notamment en collaboration avec la Confédération de commerçants de France (CDF), l’Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab) et l’Ifop – le cabinet EY-Parthénon étudie les trafics de produits du tabac en France.

L’étude fournit d’abord quelques chiffres édifiants sur ce marché parallèle constitué par les achats de produits du tabac hors du réseau des buralistes. EY-Parthénon estime qu’il représente 38% de la consommation annuelle de cigarettes en France. « Cela signifie que sur les 65 milliards d’équivalents cigarettes consommés en France, 25 milliards proviennent de ce marché parallèle. En termes de volume, c’est comme si chaque jour 1 200 Renault Clio entraient en France le coffre chargé de cartouches de cigarettes ».

Ce marché parallèle est en forte croissance depuis 2019 avec une augmentation moyenne de 13% par an, poussée notamment par l’essor des trafics. En effet, si les achats légaux à l’étranger (où les cigarettes sont moins chères qu’en France car moins taxées) représentent environ 15% du marché, cela signifie que la contrebande et la contrefaçon en représentent 23%. Et si les bureaux de tabac vendent encore pour près de 20 milliards d’euros (Md€) de tabac, le marché parallèle est estimé à 8 Md€, dont 2,3 Md€ proviennent des trafics. A titre de comparaison, le trafic de drogues est estimé en France à 3,5 Md€ (rapport d’Etienne Blanc).

L’expansion fulgurante du marché parallèle au cours des dernières années (il a doublé en 4 ans) a plusieurs explications. Il y a évidemment la lucrativité des trafics : EY-Parthénon estime qu’une grande ligne clandestine de production de cigarettes coûte environ 800 000 €, qu’elle va générer un chiffre d’affaires de 19 millions d’euros (M€) en seulement trois mois et que sa rentabilité est d’environ 80%. C’est-à-dire qu’il faut quelques jours à peine pour que l’investissement initial soit amorti et que l’usine devienne profitable.

Une autre explication tient à la multiplication des canaux alternatifs d’achat. Bien sûr les achats à l’étranger se sont multipliés depuis 2024 où la France a été contrainte de se mettre en conformité avec le droit européen et n’autoriser l’importation que de quatre cartouches par personne. Les ventes en ligne (Telegram, Snapchat…) se sont très largement répandues, y compris pour des produits de contrefaçon, tout comme les ventes à la sauvette. C’est ainsi qu’un tiers des fumeurs interrogés par l’Ifop affirment ne pas avoir acheté de produits du tabac chez un buraliste au cours des 12 derniers mois !

Ce qui est surprenant, et qui constitue une des révélations de l’étude, c’est qu’environ 40% des épiceries de proximité visités par les enquêteurs de l’IFOP vendent des produits du tabac malgré le monopole légal dont bénéficient les buralistes. Un chiffre qui peut monter jusqu’à 80% à Montpellier (où la marchandise vient facilement d’Espagne et d’Andorre). On comprend mieux pourquoi la préfecture de police de Marseille a exigé que les petites épiceries du centre-ville soient fermées entre 22 heures et 6 heures du matin : elles sont le lieu de tous les trafics possibles et créent des nuisances pour le voisinage.

La fiscalité a atteint ses limites

Car, bien évidemment, qui dit trafics et marchés parallèles dit augmentation de l’insécurité et de la criminalité… et dépenses publiques en hausse pour tenter de la contenir, tant de la part des collectivités locales (polices municipales) que de l’État.

Mais les moyens publics consacrés à la lutte contre les trafics représentent bien peu de chose (environ 100 M€ selon EY-Parthénon) comparativement aux coûts de ces trafics estimés à 4,8 Md€ : 3,8 Md€ de pertes fiscales pour l’État et les comptes sociaux (taxes qui ne sont pas perçues), et 1 Md€ de pertes économiques notamment pour les buralistes, les industriels et les logisticiens.

Pour EY-Parthénon, l’augmentation continue et très forte de la fiscalité ces dernières années (le paquet est passé de 7 € à 12,50 € entre 2017 et aujourd’hui, soit presque +80%), est un autre facteur explicatif de la montée des marchés parallèles.

Il faut dire que lorsqu’un paquet de cigarettes est vendu 12,50 € dans un bureau de tabac, il est tentant de se rendre chez un commerçant parallèle où il coûte environ 8 € s’il provient de la contrebande et autour de 5 ou 6 € s’il est issu de la contrefaçon.

L’étude d’EY-Parthénon dresse toute une liste de recommandations pour lutter contre les trafics. Il nous semble, quelle que soit la pertinence de ces propositions, que la plus efficace reste, comme nous l’avons montré à de nombreuses reprises, l’adoption d’une politique visant à promouvoir les alternatives – moins nocives – à la cigarette.

Or, le gouvernement de François Bayrou – à l’instar de ses prédécesseurs – n’a pas choisi cette voie. Au contraire, Catherine Vautrin, ministre Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, a demandé à Commission européenne la permission d’interdire la vente de sachets de nicotine sur tout le territoire français. N’est-ce pas le meilleur moyen de mettre ce produit – autorisé, voire promu, dans nombre de pays européens car jugé utile à la réduction du nombre de fumeurs – entre les mains des trafiquants ?

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6 commentaires

louis 4 juin 2025 - 7:56 am

pourquoi ? au laos un paquet de cigarettes américaine coute l’équivalent de 1 euros , pourquoi un tel ecart ?😆

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Jojo 4 juin 2025 - 8:27 am

Au bout de la ligne droite, l’association des pays du Tiers Monde, où les trafics et la corruption sont tolérés pour le grand profit de quelques uns. Est-ce le destin de la France ? Pour l’instant, il semble que seuls des éléments de la police et autres employés détenteurs d’un certain pouvoir soient concernés, mais quand la corruption touchera les juges, nous y seront !

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poivre 4 juin 2025 - 9:55 pm

A Marseille la corruption de la justice est en progrès, ce sont des juges qui ont averti, ce qui n’avait pas plu au ministre Dupont-Moretti.

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poivre 4 juin 2025 - 8:40 am

Par sa politique fiscale répressive sur le tabac, l’Etat promeut tous les trafics et met de plus en danger les consommateurs orientés vers des contrefaçons encore plus toxiques…. Les leçons de l’échec de la prohibition ne sont jamais tirées par nos législateurs….

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MIMOSAS 4 juin 2025 - 12:52 pm

Votre article démontre très bien la cause de l’explosion de ce trafic, et donc de tout ce qui va avec (délinquance d’une part, perte de C.A. et de cotisations d’autre part) : juste les taxes…
Ce n’est ni la multiplication des canaux alternatifs, ni la lucrativité du marché parallèle, ça ce sont des conséquences.
Il suffit de baisser les taxes, mais ça, c’est infaisable sans baisse de la distribution de nos sous à la Terre entière et surtout aux copains planqués partout, aux comités Théodule, aux associations de destruction de la France etc.
Non, on préfère interdire les sachets de nicotine puis à terme l’argent liquide. Il est flagrant que la difficulté d’acheter des armes et le fait qu’elles soient répertoriées a permis de diminuer le nombre de kalach dans les cités, c’est bien connu…
Toujours à côté de la plaque ces gouvernements successifs, et ce n’est pas par hasard.

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Henri 4 juin 2025 - 6:02 pm

Normal. L’État français, infoutu de réprimer le trafic de drogue, sera tout aussi infoutu de réprimer le trafic de cigarettes. Et plus le coût des clopes augmente, plus ce trafic est juteux. Je ne peux m’empêcher de penser à la fameuse loi de l’offre et de la demande. Tant que la demande restera forte, l’offre (illégale !) s’adaptera.

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