Durant la crise sanitaire, la pénurie de masques de protection, dont les stocks avaient été détruits sur ordre de Marisol Touraine, ministre de la Santé sous le mandat de François Hollande, avait mis en lumière le risque accru de pénurie de produits de santé en cas de crise majeure. La pandémie n’a, en réalité, fait que révéler au grand jour les déséquilibres structurels d’une économie surrégulée du médicament : selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le nombre de ruptures et de risques de ruptures a atteint 3 761 en 2022 contre 700 en 2018 et 200 en 2012.
En dix ans, la consommation de médicaments a augmenté de 36 % dans le monde, mettant le secteur en état de tension permanente, d’autant que la production de principes actifs les plus anciens a été délocalisée en Asie. Ceux-ci sont, en effet, bien moins rentables que les produits innovants et sont victimes de l’effet ciseau d’une importante fiscalité, combinée à un faible prix du médicament, imposé par le CEPS (Comité économique des produits de santé), bras armé de l’État en la matière.
Au mois de juillet, la commission d’enquête du Sénat, qui avait diligenté une enquête sur la question, a rendu un rapport très éclairant qui permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce qu’il faut bien appeler une économie administrée.
Dans le sillage du reste de l’industrie, des pans entiers de la production de médicaments ont été délocalisés en Asie
Jusqu’en 2018, le nombre de ruptures annuelles de médicaments enregistrées par l’ANSM, était demeuré stable, aux alentours de 400. Puis, ce chiffre a augmenté pour affleurer les 1 200 en 2019 et les 1 600 en 2022.
Face à cette situation, l’industrie pharmaceutique française est confrontée à un double problème : 80% des principes actifs des médicaments matures sont produits en Inde ou en Chine, et sont dans les mains de quelques grands groupes qui peuvent très bien choisir de prioriser leur propre pays en cas de crise ; la France ne produit que peu de médicaments innovants et son industrie est majoritairement tournée vers des produits vieillissants, peu rentables, et sensibles aux baisses de prix.
Il y a seulement quinze ans, la France disposait pourtant du plus beau secteur pharmaceutique d’Europe avec des champions nationaux comme Sanofi. Le pays de Pasteur est désormais relégué à une misérable cinquième place européenne en termes d’ampleur de la production pharmaceutique.
Le nombre d’entreprises du secteur a d’ailleurs baissé de 26 %, passant de 349 à 265 sous l’effet des fusions, des rachats, mais aussi des fermetures. Or, les principaux facteurs de pénuries invoqués par les sociétés elles-mêmes, des capacités de production insuffisantes, des variations immaîtrisées du volume des ventes et des problèmes d’approvisionnement en matières premières, sont liées à l’éloignement des chaines de valeurs.
Comme d’autre fleurons de notre industrie, le secteur a naturellement été soumis à une fiscalité galopante, des coûts du travail importants et une pression normative constante. Mais en la matière, l’État est allé plus loin en administrant plus intensément ce domaine de l’économie via la maîtrise du prix du médicament.
Un prix négocié du médicament qui incite les entreprises à délaisser les produits classiques pour les molécules les plus innovantes et augmente les risques de rupture
Si 50 % des médicaments consommés en France et autorisés avant les années 90 sont produits sur le sol national, ce chiffre tombe à 9 % pour ceux autorisés entre 2016 et 2021. Or, 70 % des ruptures concernent les produits anciens, âgés de plus de dix ans alors que les thérapies innovantes n’en font pratiquement jamais l’objet. À titre d’exemple, 30 % des génériques consommés dans notre pays y sont produits, contre seulement 3 % des anticorps monoclonaux. Nos entreprises produisent ce qui est ancien et peu rentable et laissent à leur confrères étrangers les produits innovants à forte marge.
Conséquence majeure : la rentabilité des entreprises françaises du secteur (8,5 %) est bien inférieure à celles de ses consœurs italiennes (16 %), espagnoles (17 %) ou britanniques (19 %).
Plutôt que de tenter de sortir efficacement le secteur de l’ornière, l’État, via le CEPS, a préféré, par facilité et sans tenir compte des intérêts économiques, faire pression sur le prix des médicaments matures. Chaque année, des campagnes de baisses de prix, dont les objectifs sont fixés en loi de financement de la sécurité sociale, sont chargés de s’y employer et y parviennent assez bien : 960 M€ ont été économisés en 2019, 750 en 2020 et 640 en 2021. Le CEPS négocie également des remises, c’est-à-dire des rabais sur certains produits qui ont atteint 4,5 Mds€ en 2022 contre seulement 460 M€ dix ans plus tôt, et applique systématiquement une clause de sauvegarde qui lui permet de prélever une part du chiffre d’affaires des acteurs de la filière, lorsque celui-ci dépasse un montant déterminé en loi de financement de la sécurité sociale. Conçue pour être extraordinaire, la clause est désormais appliquée systématiquement. D’une manière générale, les tarifs trop bas du médicament découragent les entreprises nationales d’en produire et les entreprises étrangères de venir en vendre en France.
Les dépenses hors taxes sur le médicament en ville et à l’hôpital, sous la pression des molécules innovantes, sont, en effet, en constante augmentation : 32,1 Mds€ en 2022 contre 24,5 en 2014, mettant en danger les comptes de l’Assurance maladie.
Ce modèle de surrégulation peut, toutefois, conduire à une perte de rentabilité pour les acteurs de la filière, voire à ce qu’un produit soit vendu à perte, les motivant assez peu pour continuer à intervenir sur le marché hexagonal. Selon l’Académie de médecine, 71 % seraient prêts ou ont déjà arrêté la commercialisation de certains produits, trop âgés et peu rentables. Sanofi, par exemple, confirme vouloir cesser la production de sept principes actifs en France sur les quarante-cinq qu’elle détient pour se concentrer notamment sur l’immuno-inflammation, l’hématologie, les vaccins et la cancérologie.
La combinaison de l’ensemble des contraintes publiques brisant la rationalité du marché a conduit la filière de production du médicament en France à se tourner majoritairement vers l’exportation et à délaisser l’innovation au détriment de sa propre compétitivité.
Contrainte de tous les côtés, l’industrie pharmaceutique française n’a eu d’autre choix que de délocaliser ou d’accepter de sombrer petit à petit, facilitant d’autant les pénuries que les médicaments ne sont plus produits sur le territoire national. Outre un choc de compétitivité salvateur que nous pouvons recommander pour l’ensemble de l’industrie, il est nécessaire de libéraliser progressivement le prix du médicament ce qui permettrait au fabricant de retrouver un minimum de rentabilité et, pour l’assurance maladie, de s’adosser au secteur privé pour prendre en charge l’inflation de ses coûts.
6 commentaires
« Nous protégeons les français »… en les asphyxiant !
Quand le monde des bisounours se réveillera, il explosera sans doute pour mettre à bas cet Étatisme incompétent (dans tous les domaines !), gaspilleur et décadent.
Comme toujours en France, nous devrons sans doute, malheureusement, connaître une période de violence pour réformer.
Tout est dit ! Malheureusement ce diagnostic est connu depuis plusieurs années mais l’état est sourd et aveugle de toutes ces analyses qui devraient guider la mise en œuvre des solutions adéquates. Sauf que dans ce domaine comme dans d’autres, il continue à nous diriger droit dans le mur… Les constats c’est bien, mais comment faire revenir nos dirigeants à un minimum de bon sens pour nous sauver ?
Sur le fond, l’industrie pharmaceutique « mondiale » s’attache plus à traiter les symptômes qu’à guérir réellement la maladie… question de rentabilité.
C’est sûrement pour ça que les maladies ne nous tuent plus à 40 ans et qu’on vit jusqu’à 90 ans…
Impossible notre classe politique évolue entre rouge. Sombre et rose foncée
Mais comment voulez-vous que notre système soit efficace, il est gangréné par un énorme cancer qui se nomme administration, faites l’inventaire des structures chargées de la santé et donc du médicament, chacune veut protéger son pré carré et donc faire de l’ombre à sa voisine, je pense qu’en réalité on ne sait pas qui fait quoi.
A titre amusant, j’ai remarqué que lorsque vous achetez un médicament, le pharmacien perçoit des « honoraires de dispensation » ! C’est un peu comme si votre épicier vous facturait un supplément en vous remettant votre boîte de petits pois…