La question de la recherche des économies budgétaires a tendance à obombrer celle du « comment faire » pour réformer l’Etat. En fait, les deux sont liées. Dans cette deuxième partie de l’article : la méthode BBZ, la méthode Bayrou et la (très) nécessaire définition du périmètre de l’Etat.
 La méthode BBZ ?
La méthode Budget base zéro, dite BBZ, a été mise en œuvre dans le secteur privé aux Etats-Unis dans les années 1960 avant que son concepteur, Peter Pyhrr, ne lui consacre un article séminal en 1970 dans la Harvard Business Review. L’idée fondamentale est celle de base budgétaire : il ne s’agit plus paresseusement de reprendre le budget de l’année précédente pour construire celui de l’année suivante, mais de partir d’une page blanche pour construire le nouveau budget en reconsidérant l’ensemble des dépenses, et pas seulement les dépenses nouvelles.
Ce qui est intéressant, c’est l’application de cette méthode du secteur privé, prisée à un moment de certaines des plus grosses entreprises, au secteur public et plus précisément au budget de l’Etat. Le département de la Seine-Maritime, dirigé par le centriste de droite Bertrand Bellanger, l’utilise depuis 2022. M. Bellanger assure avoir réduit la dette et économisé 106 millions d’euros de fonctionnement jusqu’à l’année dernière sur un budget total de 1,5 milliard (Ouest France, 23 avril 2025). En revanche, l’expérience n’a guère été concluante en Wallonie entre 2020 et 2022, la méthode BBZ ayant permis que 200 millions d’euros d’économies au lieu du 1,5 milliard escompté (Le Figaro, 16 avril 2025). Notre ami Nicolas Marques de l’Institut Molinari soulignait que, pour que la méthode fonctionne, il fallait une forte implication du sommet à la base de l’État, et « une vraie fongibilité des moyens entre administrations pour réallouer les personnels et les budgets là où ils (étaient) les plus utiles ». Surtout, il rappelait qu’il convenait d’accepter « de poser la question du périmètre de l’action publique » (Valeurs actuelles, 17 mai 2025).
Quid de la méthode Bayrou ?
Nous avons décrit par le menu dans une chronique (17 mars 2025), sinon l’évolution de la méthode de François Bayrou pour réformer l’État, du moins son dévoilement progressif. Il semble qu’il ait eu des difficultés à la concevoir et peut-être à en mesurer la portée. Rappelons-en les grandes étapes.
- Le 14 janvier 2025, dans sa déclaration de politique générale, François Bayrou affirme : « Il nous faut repenser tous nos budgets, à partir non pas de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à reconduire. Ces budgets redéfinis, repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer au printemps ». L’ensemble est tellement flou que ces mots ne sont relevés par presque personne.
- Le 28 février, aux termes d’un entretien au Figaro, il déclare de manière plus précise : « Dans les trois mois qui viennent, pour préparer le prochain budget, nous allons partir des missions de l’État, les énoncer en termes compréhensibles par les Français et les évaluer. Nous allons nous demander si c’est bien à l’État de remplir ces missions et si l’allocation des moyens est bonne ». Le Premier ministre ajoute : « on ne peut guérir une plaie avec une tronçonneuse». Une pierre blanche dans le jardin de quelques réformateurs étrangers et de leurs admirateurs français.
- Le 16 mars, dans un entretien à France Inter, il se fait encore plus précis : « J’ai convoqué tous les ministres et tous les directeurs d’administration centrale il y a trois semaines en leur disant : ‘’Vous allez me faire la liste précise de toutes les missions que votre administration remplit et on va se poser deux questions : Est-ce que les résultats sont à la hauteur ? Est-ce bien à l’État de faire ce que vous faites ?’’ J’ai reçu la semaine dernière la totalité de ces missions. Je vais les partager avec les commissions parlementaires et je vais les mettre en ligne ». A vrai dire, les deux questions devraient être inversées… Quant à la mise en ligne des réponses (peut-être pas si complètes qu’il a bien voulu le signifier…), nous les attendons toujours.
- Fin avril, la ministre des Comptes publics allègue que « le courage, ce n’est pas d’imposer des sacrifices, ce n’est pas le rabot aveugle ». Il n’est pas sûr d’ailleurs qu’Amélie de Montchalin ait eu à l’esprit le rabot plutôt que la tronçonneuse…
La presse nous a appris que la demande de Matignon aux cabinets des ministères et aux administrations centrales n’avait suscité que peu de propositions, à l’exception de celles du ministère de l’Economie. Il est fort probable que les administrations ont été gênées par une sollicitation qui leur paraissait incongrue et qu’elles ont répondu  avec désinvolture ou en noyant le poisson. Au printemps, la directrice du Budget avait écrit que « chaque dépense publique [serait] réintégrée à l’aune de son utilité, de son efficacité, de son vecteur de distribution, de la pertinence de la mission qu’elle sert » (La Tribune, 7 juin 2025). La presse nous a également appris que l’équipe de François Bayrou supervisait directement le processus en coordination avec la ministre des Comptes publics. Lorsqu’on a prié le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités de définir ses missions, avec des mots simples, il a répondu par le truchement d’un document de 129 pages… Chaque organisme étant appelé à évaluer son rôle, un ministre s’est même demandé qui allait bien avouer que sa mission était inutile : au moins, le cabinet « McKinsey avait eu, lui,]le bon goût d’évaluer lui-même »… (L’Opinion, 12 mai 2025).
Définir le périmètre de l’État pour le réduire, une opération préalable et fondamentale
La méthode dite du rabot est sans doute la plus mauvaise car elle témoigne justement de la cécité du pouvoir, sans parler du caractère improvisé et hâtif des opérations. Elle ne règle rien, elle ne fait que reporter les problèmes, soit par manque de courage, soit par inconscience, soit pour les deux motifs cumulés.
Quant aux autres méthodes, si son concepteur n’a pas les idées claires, il n’aboutira à rien ou peu s’en faut. Une opération préalable et fondamentale doit être menée : la redéfinition des missions de l’État, leur mise à plat. La première question à se poser est celle de la pertinence : l’État doit-il intervenir ou doit-il laisser faire la société civile (individus, familles, secteurs marchand et non-marchand) ? Dans un second temps, à supposer que l’État ait une mission légitime à remplir, il s’agit de faire intervenir le ou les niveaux les plus proches de l’individu, la commune d’abord, les autres collectivités locales ensuite, l’État central après et, en dernier ressort seulement, l’Union européenne. Nous retrouvons ici ni plus ni moins le principe de subsidiarité qui nous est cher.
En définitive, ce qui est en jeu, ce sont les limites de l’État. Ce n’est pas un hasard si cette question a toujours été primordiale chez les libéraux et ce n’est pas un hasard non plus si l’un des grands penseurs du libéralisme français du milieu de XIXe siècle, Edouard de Laboulaye, a donné pour titre à l’un de ses plus importants ouvrages, L’État et ses limites.
Réduire les dépenses publiques, c’est bien, mais ne doit pas être un objectif en soi ; c’est un moyen ou une conséquence. L’objectif est la réforme de l’État, dans son acception la plus étendue, Etat central, collectivités locales et Sécurité sociale. Si nos gouvernants ne parviennent pas, année après année, à faire des économies, c’est parce qu’ils se focalisent sur un instrument, sur une méthode, en oubliant l’essentiel : définir les limites de l’Etat pour en réduire le périmètre.