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Une oasis de médecins dans un désert médical

Dr Nicolas Villenet

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Il existe des auteurs, et des éditeurs, qui ont le sens du « timing ». Publier un livre intitulé « Une oasis de médecins dans un désert médical » au moment où les parlementaires discutent d’un texte visant à encadrer l’installation des médecins libéraux et salariés, c’est assurément faire preuve d’à-propos.

Nicolas Villenet, l’auteur, est médecin. Il est surtout celui qui a créé dans les Ardennes l’oasis médicale dont l’histoire nous est racontée dans l’ouvrage.

Tout est parti d’un constat : il manque des professionnels de santé dans l’intercommunalité « Ardenne Rives de Meuse ». Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de les attirer sur ce petit territoire aux confins de la Belgique. Des primes pouvant aller jusqu’à 50 000 €, des avantages en logement ou en voiture, l’appui d’un cabinet de recrutement…, rien n’y a fait. Après dix ans d’une telle politique, un seul nouveau médecin s’est installé.

Une visite dans le département de Saône-et-Loire, qui a décidé de salarier des médecins dans des centres de santé, convainc le président de l’intercommunalité ardennaise, Bernard Dekens, de changer de méthode. Il recrute le docteur Villenet pour appliquer la recette bourguignonne.

Plus de médecins… mais moins de temps médical

Avant d’expliquer comment il a procédé, Nicolas Villenet délivre quelques chiffres qu’il est utile de connaître :

  • le nombre de médecins n’a jamais été aussi élevé : 317 544 inscrits à l’Ordre en 2023, contre 62 400 en 1970, mais seuls 63,5% d’entre eux sont en activité régulière ;
  • les médecins ont diminué le temps médical disponible pour l’activité de pure consultation : les jeunes généralistes réalisent en moyenne 600 actes en moins par an que les médecins installés depuis longtemps ;
  • de plus, le temps médical n’est pas entièrement consacré à la consultation : les généralistes libéraux déclarent travailler 54 heures par semaine, mais ne passer que 44,5 heures auprès des patients ;
  • en 50 ans, la demande de soins a explosé : la population a augmenté et vieilli, les maladies chroniques ont augmenté.

Bref, « avec, d’année en année, une réduction du temps médical soignant et une augmentation des besoins de la population, l’écart se creuse et conduit à un effet désastreux à la fois sur la santé de la population française et sur les conditions de travail des médecins dans leur ensemble ».

Face à cela, soit on se résigne, soit, comme l’a fait l’intercommunalité « Ardenne Rives de Seine », on prend les choses en main, même si l’on ne dispose pas « de la compétence santé » comme le souligne le Dr Villenet.

Prendre la mesure de la situation

Avant de proposer une méthode et un plan d’actions, Nicolas Villenet s’est demandé ce que veulent les médecins et quelles sont les évolutions attendues de la profession médicale. C’est ainsi qu’il prend acte du fait que l’installation d’un médecin en zone rurale est déterminée, notamment, par le fait qu’il y a grandi ou y a des attaches familiales ou amicales, par le fait qu’il ait effectué une partie de ses études en zone rurale, et par la possibilité de maîtriser sa charge de travail et ne pas être isolé professionnellement.

De fait, note l’auteur, « nous sommes passés d’un modèle majoritairement libéral, solitaire, en cabinet, compétitif, masculin, sans limite d’horaire, à un modèle de plus en plus en coopération, pluriprofessionnel, féminisé, avec une coexistence entre exercices en libéral et en salariat, et une aspiration à un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle ».

En tenant compte de ces éléments, et après avoir rencontré les élus et les professionnels de santé, collecté toutes les informations nécessaires sur le territoire, le Dr Villenet a pu bâtir un plan d’actions en sept points :

  • création d’un centre de santé (salariant les médecins) ;
  • création d’une maison de santé (où les professionnels de santé exercent en libéral) ;
  • création d’une communauté territoriale de professionnels de santé ;
  • création d’une journée d’accueil des internes en médecine se formant dans les Ardennes ;
  • création d’une journée de découvertes pour les internes de la faculté de médecine de Reims ;
  • coordination de l’accueil des internes des Ardennes entre les différentes intercommunalités du département ;
  • organisation d’une journée de formation des médecins des Ardennes pour devenir maîtres de stage universitaire.

Affronter la machine administrative

L’ouvrage décrit la mise en œuvre de ce projet, la méthode employée et les déboires qui n’ont pas manqué de survenir, les formalités administratives n’étant pas les moindres. Il a fallu, en effet, se frotter à l’agence régionale de santé (ARS), au conseil départemental de l’Ordre des médecins (pas le plus arrangeant), au comité social territorial (CST), etc. L’auteur ne craint pas de dénoncer « la suradministration de la santé », avec des exemples éloquents, qui fait que « le respect de la procédure prime le résultat voulu ».

Au final, un an après son recrutement pour mener à bien ce projet, le Dr Villenet a signé six premiers contrats (cinq généralistes dont trois à temps partiel, et un pédiatre à temps partiel). Puis une consultation d’orthoptie a été créée (suffisante pour 90% des patients) en lien avec un ophtalmologue de Charleville-Mézières disponible pour accueillir les patients qui le nécessitent. Un protocole de coopération a été signé entre les médecins et les pharmaciens pour faciliter, dans un premier temps, la prise en charge de l’infection urinaire chez la femme. Au moment du bouclage de l’ouvrage, la formalisation des rapprochements entre le centre de santé et les hôpitaux et cliniques du territoire est en cours ; une consultation hebdomadaire d’un cardiologue est en discussion ; et les infirmiers et pharmaciens travaillent ensemble pour mettre en place des consultations de prévention (vaccination, dépistage des cancers, et des troubles psychiques).

A la fin de son livre, Nicolas Villenet fait trois propositions pour améliorer le système de santé : déconcentrer la formation universitaire théorique et pratique à l’échelle locale ; permettre aux collectivités de se doter de la compétence santé ; réguler l’installation des médecins.

La première nous semble de bon sens. La deuxième revient à demander davantage de subsidiarité et de décentralisation. C’est sans doute pertinent, encore faut-il trouver le bon échelon local et éviter les chevauchements. La troisième, en revanche, nous apparaît potentiellement très dangereuse dans le sens où elle achèverait l’étatisation de la médecine.

L’exemple de l’intercommunalité « Ardenne Rives de Meuse » montre que les déserts médicaux ne sont pas une fatalité. Pour le Dr Villenet, beaucoup de raisons expliquent le succès du projet, les principales étant le partage d’une vision et l’association de tous les acteurs.

Deux regrets cependant. Premièrement, même s’il contient beaucoup de chiffres, l’ouvrage parle peu d’argent. Combien coûte le projet ? Combien gagnent les médecins salariés ? Les remboursements de l’assurance-maladie suffisent-ils à couvrir tous les frais ? Si non, quel est le montant de la différence ?

Deuxièmement, il nous semble que l’auteur évite soigneusement de penser hors du cadre. N’est-ce pas la Sécurité sociale la première responsable des déserts médicaux ? Les ARS ne doivent-elles pas être supprimées ? Pourquoi le centre de santé n’est pas privé ? Ne faudrait-il privatiser l’assurance maladie ?

Mais sans doute est-ce trop demander à quelqu’un qui a été conseiller médical puis délégué territorial à l’agence régionale de santé (ARS) du Grand-Est !

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Villenet Nicolas 23 juin 2025 - 5:49 am

Bonjour,
J’ai lu avec attention votre critique du livre que j’ai écrit. Au-delà du résumé fait, je dois dire que votre analyse m’interpelle de manière très positive. Vos regrets tout d’abord : ils sont légitimes. J’ai en effet choisi de ne pas parler du volet financier. Ce point doit à mon sens faire l’objet d’une restitution mais après 3 à 5 ans de fonctionnement. Comme toute activité qui souhaite s’équilibrer, il faut parfois du temps. Pour ce qui concerne la pensée hors du cadre, c’est juste. Ce dernier point gagnerait à être développé au cours d’un débat contradictoire avec pour objectif de définir des orientations concrètes et réalistes.
Merci à nouveau pour votre analyse et au plaisir de vous lire !

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