Depuis une loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2, le procureur de la République peut proposer de conclure une convention judiciaire d’intérêt public – CJIP – aux personnes morales mises en cause pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe.
Après validation par le juge lors d’une audience publique, elle a pour effet d’éteindre l’action publique si la personne morale respecte les obligations mises à sa charge à titre d’amende (dont le montant ne peut excéder 30% du chiffre d’affaires moyen annuel), de mise en œuvre d’un programme de prévention et/ou de réparation du dommage de la victime.
Le parquet national financier l’a pratiquée à une quinzaine d’occasions avec de grands groupes HSBC , Société Générale, Google, Airbus…). Il a appliqué des amendes de 1,7 milliard d’euros au profit des caisses de l’Etat en 2022, dont 1,25 milliard de McDonald’s pour solder son contentieux fiscal.
Interrogé par le journal Les Echos, Jean-François Bohnert, chef du parquet national financier, a exposé l’intérêt de cette justice rapide et efficace mise en œuvre avec l’accord, l’adhésion, de la personne morale inculpée.
Cette justice négociée n’est pas forcément avantageuse financièrement pour les coupables, mais elle est beaucoup plus rapide, moins stressante et mieux acceptée dans la coopération qu’elle suppose au titre de la fourniture d’informations et documents. Les dirigeants sont parfois associés à cette procédure dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC.
Déjà existait la composition pénale pour traiter des contraventions et délits sans passer par un procès. Depuis 2004, la CRPC – ou plaider-coupable- permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction passible de moins de cinq ans de prison qui reconnaît les faits reprochés. Le procureur propose une peine. Si la peine est acceptée par l’auteur des faits, l’affaire est transmise au juge pour homologation. La victime est informée de cette procédure.
La difficulté est que parfois, et alors que l’inculpé a avoué des faits dans le cadre de la négociation, le juge refuse de valider la sentence transactionnelle. C’est arrivé à M. Bolloré ainsi qu’à un dirigeant d’UBS. Certes, les éléments recueillis par le parquet dans le cadre de la négociation transactionnelle restent en principe confidentiels si l’accord échoue. Mais ils peuvent fuiter. Il faudrait sans doute que, comme aux Etats-Unis, la transaction s’impose au juge du siège pour éviter ces mauvais pièges.
Vers une justice privée
Le développement d’une justice négociée doit permettre d’accélérer le traitement des dossiers. Elle sera sans doute développée à bon escient dans l’esprit de la réforme que veut engager le garde des Sceaux pour simplifier les procédures et désengorger les tribunaux en instituant deux autres modes alternatifs de règlement : la médiation et la conciliation dans le domaine civil plutôt que pénal. Avec un système de césure des affaires selon lequel le juge tranchera les différends en droit en laissant les parties et leurs avocats en régler les conséquences, notamment en termes pécuniaires. Le rôle de conciliation du juge permettrait ainsi de régler 72% des dossiers au Canada où des dispositions comparables sont en vigueur.
La justice négociée peut donc apaiser les tribunaux, non seulement parce qu’elle en réduira l’encombrement permanent, mais surtout parce qu’elle en modifiera peut-être la philosophie. Le droit sera ainsi en partie restitué aux sujets de droit eux-mêmes en les laissant définir ensemble leur juste conduite. La justice publique sera là pour rappeler les règles que ne voulaient pas reconnaître les parties en présence et pour faire exécuter, le cas échéant, les décisions, mais les protagonistes devront faire l’effort de rechercher par eux-mêmes, autant que possible, le juste équilibre capable de rendre à chacun ses droits. Ils seront responsabilisés plus qu’infantilisés, appelés à discerner avant de revendiquer. Comme, autrement, le sont les personnes mise en cause et qui acceptent de participer à leur propre amendement dans une CJIP, CRPC ou autre procédure négociée. C’est un retour aux sources d’un droit naturel, de règles spontanées qui font partie de nos traditions mais que chacun peut aussi trouver au fond de sa conscience. Il y a assurément plus de liberté et de justice dans ce droit que dans l’empilement tentaculaire, tatillon et soupçonneux des innombrables lois que recèlent nos codes. Espérons que les justiciables comme les tribunaux sauront tirer parti de ces opportunités que peut-être la réforme de la justice leur offrira.
2 commentaires
Et la corruption des politiques on en fait quoi ?
Il est vrai que dans ce cas on appelle cela du lobbying
La nouveau Justice dealatoire, que vous appelez négociée désencombrera prodigieusement les tribunaux puisque que cela reviendra à une justice privée. Sur des très gros délits financiers par des très grosses entreprises, cette démarche pourrait se comprendre. En ce qui concerne les atteintes aux personnes (Viol, crime, inceste) la Justice négociée que vous pronez va aussi s’appliquer au détriment du simple justiciable qui se fera grugé.