Le capitalisme de connivence (« crony capitalism » en anglais) désigne une situation où le succès en affaires dépend des relations étroites que les entreprises (généralement des grosses) entretiennent avec les représentants du gouvernement et de l’administration. En voici un bon exemple.
Dans un article récent du Wall Street Journal, intitulé « Ce qui est bon pour les politiciens est bon pour General Motors » (« What’s Good for Politicians Is Good for General Motors ») l’éditorialiste Allysia Finley illustre parfaitement ce que recouvre la notion de « capitalisme de connivence » en s’appuyant sur l’exemple de General Motors (GM).
La célèbre firme automobile américaine est dirigée depuis 2013 par Mary Barra, un pur « produit maison » si l’on peut s’exprimer ainsi, puisqu’elle est la fille d’un ouvrier de GM, qu’elle a été formée au General Motors Institute de Flint (Michigan) et qu’elle a fait toute sa carrière dans l’entreprise jusqu’à en devenir directrice générale.
General Motors doit beaucoup à l’État américain
C’est en en 2018 que Mary Barra connut son « baptême du feu » politique. Cette année-là , GM annonça la fermeture de quatre usines produisant des berlines qui n’arrivaient pas à trouver suffisamment de clients. La directrice générale reçut alors un coup de fil du président des Etats-Unis Donald Trump qui lui dit : « Vous savez, ce pays a beaucoup fait pour General Motors ».
Ce qui est vrai. En 2009, au moment de sa faillite retentissante, l’État fédéral y avait investi quelque 51 milliards de dollars (Md$). Trump rappela également à Barra qu’il avait défendu GM et les autres constructeurs automobile américains en annulant les normes contraignantes de consommation de carburant de son prédécesseur et en révoquant une dérogation qui permettait à la Californie d’imposer de coûteux quotas de véhicules électriques.
Mary Barra comprit rapidement qu’il lui fallait donner des gages à Trump qui aime particulièrement croire que tout le monde, et surtout les grands patrons, lui obéit au doigt et à l’œil. Le Président avait bien fait comprendre à Mary Barra que la fermeture de l’usine de Lordstown était une grande erreur, alors que cet État fédéré – l’Ohio – était capital pour sa réélection (c’est un des fameux swing States).
Marry Barra n’annula pas sa décision de fermer l’usine, mais elle annonça son intention de créer 450 nouveaux emplois dans l’Ohio, et d’investir 2,3 Md€ dans une coentreprise avec LG Chem pour la construction d’une usine de batteries pour véhicules électriques. Une usine qui serait située près de Lordstown !
Quelques mois après cette annonce, Trump signait l’accord Canada-États-Unis-Mexique- (ACEUM), bien plus favorable pour les constructeurs automobile américains que l’accord ALENA de 1992, car il instaurait de nouvelles contraintes pour les importations en franchise de droits. Mme Barra assista, bien placée, à la cérémonie.
Les moteurs de GM tournent… dans le sens du vent politique
Après la défaite de Trump, GM fit rapidement volte-face au sujet de la réglementation sur les véhicules électriques affirmant, dès novembre 2020, que ses objectifs étaient alignés sur ceux de Joe Biden quant à la lutte contre le changement climatique. En janvier 2021, GM annonça son intention de passer au tout électrique à l’horizon 2035. En août de la même année, Barra salua le projet de Biden de renforcer les normes de consommation de carburant. Quelques mois plus tard, elle soutint le projet de loi démocrate « Reconstruire en mieux », doté de 5 000 milliards de dollars, malgré ses nouvelles mesures coûteuses financées en partie par des hausses d’impôts sur les sociétés. Mary Barra avait pourtant été désignée présidente de la Business Roundtable – un lobby conservateur des dirigeants de grandes entreprises américaines chargé de faire pression sur le gouvernement fédéral – avec l’objectif de s’opposer à ce projet de loi. Mme Barra ne s’est aucunement sentie engagée à défendre le point de vue de la Business Roundtable et n’a vu qu’une chose : le crédit d’impôt de 12 500 dollars prévu dans le projet de loi pour les véhicules électriques construits avec une main-d’Å“uvre syndiquée (ce qui aurait désavantagé ses concurrents non syndiqués comme Tesla).
Après l’échec de ce projet de loi, Mme Barra se mit à militer en faveur de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) qui prévoyait de généreuses subventions pour les véhicules électriques et la production de batteries. L’administration Biden accorda d’ailleurs à GM un prêt à faible taux d’intérêt de 2,5 Md€ pour sa coentreprise de batteries avec LG.
Nouveau changement de cap il y a quelques semaines : GM a fait pression sur le Congrès pour annuler la dérogation fédérale à l’obligation californienne sur les véhicules électriques. La semaine dernière, le groupe a abandonné son projet de fabrication de moteurs électriques dans une usine du nord de l’État de New York. À la place, l’entreprise fabriquera des moteurs V8 de haute technologie pour ses gros camions et SUV.
Mary Barra a également salué la politique des droits de douane que veut imposer Trump : « Je pense que les droits de douane sont un outil que l’administration peut utiliser pour uniformiser les règles du jeu », a-t-elle déclaré. Elle a toutefois omis de souligner que ces règles du jeu sont depuis des décennies biaisées en faveur de GM par un droit de douane de 25% sur les pick-up, qui confère aux constructeurs automobile nationaux un monopole de fait. Les nouveaux droits de douane de 25% sur toutes les voitures et pièces détachées non fabriquées aux États-Unis porteront préjudice à GM (ses bénéfices pourraient être réduits de 5 Md$ cette année), mais Mary Barra les accepte car ils frapperont encore plus durement ses concurrents étrangers.
Seuls comptent les gains
Bref, comme nous avons pu le constater, Mme Barra a l’échine souple. Et cela réussit à GM qui a vendu plus de voitures aux États-Unis que toute autre entreprise l’an dernier, et qui a vu ses bénéfices doubler depuis que Mme Barra en a pris les rênes. C’est sans doute pour cela qu’elle a gagné 29,5 millions de dollars l’année dernière.
Allysia Finley se demande dans son éditorial si l’on peut blâmer Mary Barra. Pour elle, la réponse est « non ». En effet, argumente-t-elle, « lorsque le gouvernement a un pouvoir considérable pour désigner les gagnants et les perdants, la responsabilité d’un directeur général revient à le satisfaire afin que son entreprise en sorte toujours gagnante ».
En France, nous avons aussi de tels patrons et un État omnipotent qui s’occupe de tout, et pas assez de ses missions régaliennes. Heureusement, nous avons aussi des patrons qui prennent conscience que trop d’État finit immanquablement par nuire à leur entreprise.
En attendant que l’État américain – et l’État français, bien évidemment – se recentre sur ses missions essentielles, Mme Barra se réjouit de voir qu’Elon Musk est en train de se brouiller avec Donald Trump. Cela ne peut être que bon pour General Motors !
3 commentaires
L’État qui se mêle de tout et veut tout réglementer et diriger, c’est du communisme plus ou moins repeint en rose pâle. Et le communisme, c’est comme un virus, cela infecte beaucoup de monde et se propage insidieusement jusqu’aux symptômes évidents. Malheureusement, il n’y a que des remèdes simplets pour le contenir, surtout en France, le vaccin efficace reste à découvrir.
Bizarre cet article. En fait, “trop d’État ” selon les patrons, c’est quand le gouvernement (qui n’est pas l’État ), ayant une fois de plus transféré des milliards de nos impôts vers les portefeuilles des actionnaires, fait semblant de réclamer des garanties par exemple sur l’emploi. Ce qui serait bien, pour le patronat, ce serait, indubitablement, un accès direct aux caisses du trésor public ou, aussi, qu’ils perçoivent l’impôt directement ( sans avoir en plus à gérer des services pleins de fonctionnaires du dit Trésor ), genre la taille et la gabelle.
De l’intelligence de cette dirigeante…..