Margaret Thatcher est devenue Premier ministre du Royaume-Uni le 4 mai 1979. Elle a prononcé à ce poste – qu’elle a occupé un peu plus de onze années – des centaines de discours sur tous les sujets et dans les occasions les plus diverses. Le site de la Margaret Thatcher Foundation donne accès à la plupart de ses déclarations publiques. On en retrouvera une petite partie dans le livre « Discours 1968-1992 » paru aux éditions des Belles Lettres en 2016.
L’ouvrage contient en particulier deux discours prononcés en 1982, il y a tout juste 40 ans. Nous vous proposons de les relire car ils sont pleins d’enseignements pour aujourd’hui.
Le déclin n’est pas irréversible
Le 2 avril 1982, l’Argentine envahissait les îles Malouines (Falklands), possessions britanniques perdues dans l’Atlantique sud. La réaction de Margaret Thatcher, qui connaissait alors la plus grave crise de sa carrière, fut immédiate et le 14 juin la souveraineté du Royaume-Uni fut restaurée sur l’ensemble de ces terres australes.
Le 3 juillet 1982, lors d’un rassemblement du parti conservateur à l’hippodrome de Cheltenham, dans le Gloucestershire, Margaret Thatcher revient sur le conflit. Si, bien sûr, elle se félicite de la victoire britannique, elle cherche avant tout à en tirer quelques leçons.
La première est que les Britanniques se sont battus « afin de montrer que l’agression ne paie pas et que le voleur ne peut être autorisé à s’échapper avec son butin ». Cette phrase prend, bien évidemment, un sens particulier alors que les Russes ont envahi l’Ukraine en février 2022. Jusqu’alors les Occidentaux ont su réagir à l’agression et ont soutenu sans faille le pays agressé tout en sanctionnant l’agresseur. Souhaitons, avec le temps, que la détermination occidentale ne faiblisse pas. On est à peu près certain que Margaret Thatcher, elle, aurait fait preuve d’une volonté sans faille contre l’agresseur russe.
Emmanuel Macron et ses ministres devraient aussi méditer cette phrase alors que l’insécurité progresse en France, que les obligations de quitter le territoire (OQTF) ne sont pas suivies d’effet, que les squatteurs sont laissés libres d’agir, que des islamistes agissent en toute impunité, etc.
La deuxième leçon du discours du 3 juillet 1982 est que le déclin n’est pas irréversible. Lorsque Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979, le pays était au plus mal. Les défaitistes, les pusillanimes, les pleutres étaient nombreux. Et ils l’étaient davantage encore après l’agression argentine. Mais les Britanniques ont su retrousser leurs manches. « La bataille de l’Atlantique sud n’a pas été gagnée en faisant semblant de ne pas voir les dangers ni en cherchant à nier les risques », assène Margaret Thatcher, et ceux qui sont allés au combat « ne se faisaient aucune illusion sur les difficultés qui les attendaient [ndlr : il y eu 255 morts du côté britannique]. C’est l’esprit qui doit s’imposer en Angleterre et celle-ci surmontera les difficultés si tout le monde y met du sien. « Réussir c’est l’affaire de tous – avec nos talents divers », affirme Thatcher.
Elle s’en prend alors à un syndicat minoritaire de cheminots, l’Aslef, qui avait organisé une grève des chemins de fer et du métro. Pour Maggie Thatcher, ce « groupuscule », sans se préoccuper « du public de voyageurs au service desquels il est censé travailler, ni des emplois ni de l’avenir de leurs propres collègues syndiqués » s’est mis en tête « d’user de son pouvoir certain à quelles fins – aux fins de retarder la reprise économique du pays, à laquelle aspire tous nos citoyens ».
Le Premier ministre britannique rappelle que des augmentations salariales ont déjà été octroyées aux cheminots, comme aux infirmières et aux auxiliaires de santé, et que celles-ci « atteignent le plafond de ce que le gouvernement peut se permettre de débourser ». Car ajoute Thatcher, « il faut bien exprimer cette vérité qui est incontestable. Le gouvernement n’a pas d’argent à lui. Tout ce qu’il a en termes de budget, il le récolte par le biais des impôts et l’emprunte avec des intérêts. C’est vous tous – chacun de vous ici – qui payez ». C’est pourquoi, la grève des cheminots est indécente et il faut arrêter de « mettre notre avenir en péril pour des questions d’effectifs dont les conventions ont été signées en 1919, à une époque où c’étaient des locomotives à vapeur qui circulaient sur les voies du Grand Central Railway et où l’automobile n’avait pas encore supplanté le cheval ».
Pourquoi n’avons-nous pas entendu, au début de l’été, un tel discours de la part d’Emmanuel Macron, d’Elisabeth Borne et de Clément Beaune, ministre des Transports ? Les agents de Paris Aéroports et de la SNCF, entreprises publiques, qui ont fait grève au moment des départs en vacances cet été, auraient mérité d’être ainsi mouchés. Tout comme les syndicats d’enseignants qui ont déposé un préavis pour ce mois de septembre. Il est vrai que nos dirigeants sont les premiers à dépenser l’argent qu’ils n’ont pas !
La menace russe et l’inflation
Le 8 octobre 1982, dans la charmante station balnéaire de Brighton, lors du congrès annuel du parti conservateur, Margaret Thatcher prononce un discours-bilan qui fera date – les élections législatives auront lieu en juin 1983, et elle les gagnera.
Son premier message, après être revenue sur la victoire des Malouines, a été de rappeler qu’il est du devoir de toutes les nations libres « de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre leur liberté et garantir la paix du monde ». Il est donc capital de se préparer à la guerre :
« Durant toutes ces années d’après-guerre, la principale menace à la sécurité de notre nation est venue du bloc soviétique. Voilà vingt-six ans, les Russes ont envahi la Hongrie. Il y a vingt et un ans, ils ont érigé le mur de Berlin. Il y a quatorze ans, ils ont reconquis la Tchécoslovaquie. Il y a trois ans, ils sont entrés en Afghanistan. Il y a deux ans, ils ont commencé à mater les premières manifestations de liberté en Pologne.
 Oh, ils étaient très conscients de la force de l’esprit humain. Ils savaient que si on laissait la liberté prendre racine en Pologne, elle gagnerait toute l’Europe de l’Est et peut-être même l’Union soviétique elle-même. Ils savaient que laisser vivre la liberté, cela signifiait l’arrêt de mort du communisme.
 Et pourtant, ces rappels réguliers du comportement impitoyable du Kremlin ont beau se répéter, il y a toujours ceux qui veulent croire que si nous désarmions les premiers, de notre propre initiative, les Russes seraient à ce point impressionnés que, de bonne grâce, ils imiteraient notre exemple.
 Mais la paix, la liberté et la justice ne se trouvent que chez ceux qui sont prêts à les défendre. Mon gouvernement promet de donner la priorité absolue aux questions de défense, selon les moyens conventionnels ou nucléaires ».
Comment ne pas relire cet extrait en pensant à l’actualité ? La Russie n’est plus soviétique, mais elle reste impérialiste et les gouvernements occidentaux – français compris – ont été très nombreux à baisser la garde et à considérer les dépenses militaires comme une variable d’ajustement. Souhaitons que le dessillement actuel perdure.
Deuxième sujet traité par Margaret Thatcher à Brighton, l’inflation qui, comme chacun sait, a refait son apparition chez nous. Extraits :
« Pendant plus d’une décennie, la croissance économique a été freinée. Pendant plus d’une décennie, les épargnants d’Amérique et d’Europe se sont vus systématiquement devenir des victimes de l’érosion régulière de leurs économies, et pendant plus d’une décennie, les rangs des chômeurs ont grossi dans le sillage de l’inflation. En 1979, nous avons été nombreux en Europe à nous atteler à la rude et longue tâche de purger le système de ses défauts inflationnistes. Comme vous le savez, les gouvernements avaient promis de le faire à maintes et maintes reprises. Mais quand ils se heurtaient à des difficultés, ils s’en remettaient à la planche à billets. Pas étonnant après cela que l’opinion publique sombra dans le cynisme.
 Le gouvernement de Margaret Thatcher a agi. Et « Avec l’inflation en retrait, les taux d’intérêt en baisse, et un monde financier correct, la confiance revient. […] Fini le temps où l’épargnant se retrouvait avec son argent dévalué. Fini le temps où nous étions deux nations, avec d’un côté ceux qui profitaient de l’inflation, et de l’autre, ceux qui en souffraient. Fini le temps où l’argent de la planche à billets fondait comme neige au soleil.
 […] le seul moyen de retrouver une ère de prospérité non viciée par l’inflation, c’est de nous mettre au travail. Il y a deux cents ans de cela, Edmund Burke avait reproché aux révolutionnaires français de vouloir partout ‘éviter et contourner les difficultés’. Il avait ajouté qu’ils avaient un ‘penchant pour les supercheries et la simplification des problèmes’.
 […] on compte ces temps-ci tout autant d’hommes politiques qui contournent les difficultés et simplifient à outrance les problèmes, au sein du Parti travailliste, du SDP comme du Parti libéral, pris tous ensemble ou séparément, à sa guise. Créons un peu d’inflation ici, un peu d’expansion là  ; rien de plus simple […], dans la vie réelle, ces manœuvres-là vous précipitent dans le mur.
 Dans les années 1960 et 1970, il était de bon ton de dire que le long terme n’avait pas trop d’importance parce que, comme Maynard Keynes l’avait observé, ‘au bout du compte, nous sommes tous morts’. Avec de telles idées, jamais personne ne prendrait sur lui de planter un arbre.
 Notre responsabilité à nous, c’est de planter des arbres, au profit de nos enfants et petits-enfants, sinon nous n’avons rien à faire dans la politique. Nous ne sommes pas un parti au service d’une seule génération. Nous n’avons pas l’intention de créer en Grande-Bretagne une société adaptée à une seule génération. Retenons bien les leçons de l’Histoire. Le long terme, c’est toujours aujourd’hui qu’il commence.
 [Mais] l’inflation n’est pas jugulée, même lorsque les prix ont cessé de grimper. Elle n’est maîtrisée qu’à partir du moment où l’accroissement des coûts s’interrompt. C’est ce qui rend vitale la question des coûts salariaux. La rémunération doit se calculer en fonction de la production, comme tout travailleur indépendant vous le dira. Au cours des cinq dernières années de la décennie passée, la somme totale que nous nous sommes versés pour paiement de ce que nous avions produit a été augmentée de près de 100 %. Cent pour cent. En Allemagne, le chiffre s’est limité à 15 %. Au Japon, il fut nul. Zéro. Certes, les travailleurs japonais ont vu leurs salaires augmenter, mais seulement en proportion du surcroît de la production.
 Tant et si bien que ce sont eux qui ont reçu les commandes, et nous qui avons perdu des emplois.
 […] Ceux qui nous gouvernaient ont détruit des emplois en favorisant l’inflation ; les syndicats ont détruit des emplois par leur recours à des pratiques corporatives ; les gauchistes ont détruit des emplois parce qu’ils effrayaient les clients. Mais tout cela, c’est du passé, et quel que soient les problèmes, il nous faut y faire face, non avec des mots, non par la rhétorique, mais au moyen de l’action.
 […] Si nous voulons avoir raison du chômage – et c’est pour nous une obligation – il faut y travailler tous ensemble. C’est la responsabilité du gouvernement de lutter contre l’inflation, faire baisser les taux d’intérêt, réformer la législation sur les syndicats, réduire l’arsenal des réglementations, et lever les contraintes. Le reste est à la charge du secteur industriel, la main-d’œuvre et le patronat travaillant de concert. La raison en étant qu’au bout du compte, ce sont les employeurs du privé qui créent la grande majorité des emplois ».
Margaret Thatcher rappelle que ce sont les gouvernements – et aujourd’hui aussi la Commission européenne – qui créent l’inflation par leur politique monétaire, par les taxes et la réglementation. Puis, avec leur mesures en faveur du pouvoir d’achat, ils la confortent, voire l’aggravent. La seule solution pour lutter contre ce fléau est donc d’arrêter de créer artificiellement de la monnaie, de baisser les taxes et de réduire la réglementation pour faire revenir la croissance. Mais il faut aussi que les citoyens se (re)mettent au travail, qu’ils ne réclament pas la semaine de quatre jours ni qu’ils cèdent à la tentation de la « grande démission ».
Dans la suite du discours, Margaret Thatcher affirme que « La concurrence vaut mieux pour le consommateur que le contrôle de l’État », c’est pourquoi elle a privatisé et privatisera encore. Elle évoque encore la vente des logements sociaux et assure que « Partout où c’est possible, nous allons favoriser l’accès à la propriété individuelle et le sentiment d’estime de soi qu’il génère ». Elle rappelle également que « C’est à nous, parents, qu’il revient d’exercer en premier lieu la responsabilité de fixer les règles et d’enseigner les valeurs qui guident l’éducation de nos enfants ». C’est pourquoi, elle promet de donner « aux parents une liberté plus grande dans le choix de l’école ».
Elle termine en affirmant que son gouvernement « ne fléchira pas dans ses engagements. Comment pourrait-il encourager les citoyens à épargner et à œuvrer pour l’avenir s’ils savaient que, pour sa part, il est prêt à tous les accommodements possibles dans le but unique de remporter tout de suite les élections ? ». Car, termine Margaret Thatcher, « il n’existe qu’une façon d’obtenir beaucoup de bienfaits en faveur de la Grande-Bretagne : c’est d’exiger de sa part beaucoup de généreux efforts ».
Quelle leçon !
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Le déclin n’est effectivement pas irréversible … En Grande Bretagne OK. Mais chez nous le problème est plus complexe. Tant que le sang ne coule pas à flots, le français ne lève pas un cil. En plus si tu lui envoies régulièrement « cent balles » il est content. Ma foi, comme disait mon père : « s’il est con tant mieux !!! ».