La personnalité du pape François, qui n’a laissé personne indifférent, fait l’objet d’analyses plus ou moins laudatives, plus ou moins critiques, dans tous les médias. L’Iref a souvent regretté certaines de ses prises de positions, notamment en matière de relations internationales, par exemple avec la Chine et l’Ukraine, et ne l’a pas épargné. Nous souhaitons cependant aujourd’hui nous concentrer sur la doctrine sociale de l’Eglise (DSE)
François, un pape qui a pleinement rempli ses deux rôles, chef religieux et chef politique
La popularité de François, quoique déclinante, n’en restait pas moins fort élevée. Un sondage lui donnait 87 % d’opinions favorables en 2015, un autre trois années plus tard 78 % encore, 87 % même chez les catholiques pratiquants et 90 % chez les catholiques non pratiquants (Le Figaro, 12 mars 2018). Un sondage en ligne sur « la question du jour » dans Le Figaro, juste après le décès de François, révélait que 61 % des 134.000 répondants considéraient qu’il avait été un « bon pape ».
Ce fut en tout cas un pape très actif, qui a beaucoup travaillé et s’est fermement prononcé sur les questions sociales dans l’optique de cette DSE, laquelle rend compte des positions adoptées par l’Église au sujet des questions économiques et sociales. Au sens strict, elle naît avec la très importante encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891, mais en réalité certains textes antérieurs avaient en partie traité de ce type de questions. Les papes successifs y ont imprimé leur marque, la modifiant, l’enrichissant d’époque en époque.
N’oublions pas qu’un pape présente la qualité très particulière d’être à la fois un chef politique et un chef religieux.
Rappelons que l’infaillibilité pontificale ne s’applique qu’au dogme de la foi. Ainsi, une encyclique ne saurait être considérée comme un ordre donné par le souverain pontife à ses fidèles. Il s’agit seulement d’opinions, émises par une personnalité éminente dans un document officiel, qui constituent autant d’invitations à réfléchir sur des « choses nouvelles ». A fortiori lorsqu’il s’agit de documents de moindre niveau et plus encore de simples déclarations à la presse.
Un début de pontificat en fanfare antilibérale
Élu le 13 mars 2013, François prononçait dès le 16 mai suivant un discours dans lequel il prétendait que la pauvreté devenait plus criante, une allégation pour le moins étonnante. Il accusait l’argent en général et la finance en particulier. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une mauvaise information, un peu inquiétante toutefois pour un homme déjà âgé de 76 ans. Ou peut-être de paroles malheureuses qui avaient dépassé sa pensée ? Mais ce n’était pas le cas puisque, dès le 22 septembre, il faisait du chômage « la conséquence d’un choix mondial », celui d’un système économique commandé par le Veau d’or. L’année 2013 allait se terminer sur un rythme accru, puisque l’exhortation apostolique Evangelii gaudium du 24 novembre comportait entre autres la phrase selon laquelle « nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché ». Une phrase qui se passait de commentaires, si ce n’est que le « plus » était sans doute de trop dans la pensée de François…
La confirmation antilibérale avec Laudato si’
Le 24 mai 2015 est dévoilée l’encyclique Laudato si’, autrement dit « Loué sois-tu », appelée à un grand retentissement (voir notre article sur « L’antilibéralisme radical du pape François », Contrepoints, 19 juin 2015).
François y reprend les termes négatifs de la « finance », du consumérisme, de la spéculation, de l’individualisme et du marché, d’une part, et les idées positives de l’interventionnisme économique, de la mise en place d’une « autorité publique mondiale » et d’une « certaine décroissance dans quelques parties du monde », d’autre part. Etaient égrenés les « mythes » de la modernité, « individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles », on croyait lire le Syllabus du XXIe siècle, du nom du texte rétrograde dévoilé par le très conservateur Pie IX en 1864… Il ne faut pas oublier que ce qui a pu rendre populaire le pape François c’est, entre autres, ce mélange, a priori détonnant, de « progressisme », par définition antilibéral, et de passéisme, par définition antimoderne.
Laudato si’ adoptait un ton pessimiste et catastrophiste qui en lui-même a participé à son succès. Fondé sur un écologisme politique dénonciateur d’un capitalisme pathogène pour Gaïa, l’analyse de style passablement néo-paganiste ne manquait pas de sel s’agissant du Vatican…
Dans un discours du 9 juillet 2015, François avait entériné l’expression de « fumier du diable » pour qualifier l’argent, avant de parler d’une « dictature subtile » : « Cette économie tue. Cette économie exclut. Cette économie détruit la Mère Terre ». Le pape rejetait aussi le libre-échange en stigmatisant « certains traités dits de  “libre commerce » qui masquaient un « nouveau colonialisme » et des mesures d’austérité préjudiciables aux « travailleurs » et aux pauvres.
Les sources de l’antilibéralisme de François
Manifestement, la description que faisait François de la vie économique et sociale se trouvait déformée par le prisme argentin – avant l’arrivée au pouvoir de l’anarcho-capitaliste Milei bien entendu – et sud-américain. Loin d’être un processus de découverte, de coordination et de paix, le marché devenait avec lui un monde d’affrontement, une guerre économique menée par les riches nations du Nord contre les pauvres nations du Sud et, au sein même des nations du Nord, par les possédants contre les nouveaux prolétaires. La dévalorisation de l’économie se trouvait compensée par une survalorisation du politique, paré de toutes les vertus d’une manière typiquement constructiviste. Explicitement « allergique à l’économie », comme il l’avait déclaré avec humour et lucidité le 13 juillet 2015, François en réalité n’avait aucune formation économique et il n’avait jamais comblé cette lacune.
Une rupture avec la doctrine sociale de l’Église ?
Soumis à des reproches virulents au début de son pontificat, François s’était défendu le 22 septembre 2015 en prétendant que sa critique du « capitalisme débridé ou libéral » faisait partie de la doctrine sociale de l’Église. Fin de la polémique ? Certainement pas. La DSE est un corps de doctrine cohérent, mais qui a pu être infléchi suivant la sensibilité des papes successifs. On peut trouver une anticipation de nombre de positions de François dans des encycliques, telles Quadragesimo anno, dans laquelle Pie XI brocardait en 1931, certes dans un contexte économique spécial, « l’anarchie des marchés », ou surtout celles de Paul VI dans les années 1960-1970 avec un ton autrement « progressiste ».
Il n’en demeure pas moins que les positions exprimées par François apparaissent clairement comme une inflexion de certains éléments fondamentaux de la DSE (voir l’article du grand spécialiste de la DSE, Jean-Yves Naudet, 21 avril 2025). Nous n’hésiterons pas à parler même d’une rupture à certains égards, double sur le plan temporel d’ailleurs. D’abord, au plus proche, s’agissant des dernières encycliques de Jean-Paul II et surtout de celles de Benoît XVI, remarquables au fond comme en la forme. On y trouve un rejet viscéral du protectionnisme et un éloge marquant de la propriété, puis, avec Benoît XVI, de la « mondialisation ». Ensuite, au plus éloigné, s’agissant de Rerum novarum, dans laquelle Léon XIII opère une critique dévastatrice du socialisme et prononce un vibrant éloge du droit de propriété (nous renvoyons nos lecteurs à l’analyse de la DSE faite dans notre ouvrage Exception française, Odile Jacob, 2020, pp. 308 et suivantes). A l’évidence, jamais François n’aurait pu écrire pareilles encycliques.
Le pape François était-il marxiste ?
La direction politique des premières sorties du pape François était tellement marquée que certains commentateurs en sont venus à se demander, surtout aux États-Unis, s’il n’était pas carrément marxiste. L’accusation était d’autant plus surprenante que la DSE s’est toujours opposée au communisme, dont le seul caractère violemment athée ne pouvait que l’en séparer.
D’aucuns ont révélé bien plus tard que François, adolescent, avait été communiste. Il n’en demeure pas moins qu’il s’en est éloigné rapidement, même si L’Humanité (22 avril 2025) a encore pu parler d’un « souverain ouvert au marxisme ». En réalité, il était adepte de la théologie du peuple, rameau de la peu recommandable théologie de la libération. La théologie du peuple a pour origine la Commission épiscopale mise en place en 1966 par les évêques argentins au retour de Vatican II. Rejetant la sociologie libérale comme la sociologie marxiste, ses membres ont cherché une « troisième voie ». Ils l’ont trouvé dans le concept de « peuple », tiré de la culture et de l’histoire argentine et latino-américaine. Un mouvement d’autant plus intéressant au regard du développement du populisme au XXIe siècle sur le plan politique…
Pour conclure, voici ce que nous écrivions en 2020 : « Holiste, nourri par la dialectique oppresseur-opprimé, “allergique à l’économie”, François ne dispose à l’évidence pas des armes pour voir dans le libéralisme autre chose qu’un “capitalisme débridé ». Nous ne changerons pas une virgule de cette analyse.
8 commentaires
Notre défunt souverain pontife sera-t-il enfin qualifié de ” 1er ” quand un pape à venir choisira le même prénom ?
Quelle légitimité politique pour une autorité religieuse, non élue par les peuples qu’elle voudrait influencer ?
Quelle légitimité sociale pour des religieux dont la vocation les conduit à vivre retranchés hors de la vie sociétale, sans foyer, sans travail, parfois reclus jusqu’au cloître, même doré au Vatican ?
Il était dans son rôle de Pape, prendre pitié de la veuve et de l’orphelin.Il était dans son rôle d’homme de gauche, la détestation de nôtre système économique,a suivit la mode en vigueur:les riches sont responsable de tout les maux de la terre!!
Excellente analyse il me semble, surtout pour quelqu’un qui n’est pas catholique mais protestant et suit d’assez loin la politique papale et son influence.
“Cette économie détruit la Mère Terre »
Ce retour de paganisme est assez piquant pour un Pape !
Oui, je l appelais le pape coco ce qui ne plaisait pas à mon curé, mais bon etant un bon curé il me laissait dire. Après , un pape coco fait moins de dégâts qu un coco qui n est pas pape.
Je ne crois pas être le seul à considérer que s’occupant d’Economie et par voies de conséquences de Politique , le Souverain Pontife sortait de son rôle de chef de l’Eglise. S’il a su exercer un pontificat riche bien que contesté sur de nombreux points , il a montré qu’il maîtrisait les enseignements de la Bible mieux que ceux de nos économistes et qu’il aurait dû conserver son rang de chef de l’Osservatore Romano et pas davantage sur le plan politique .
oui ; c’est lui ;
il faut que j’ajoute un nouveau commentaire pour voir s’afficher les précédents…
pardon