Emmanuel Macron a l’art de provoquer les polémiques. Sa sortie médiatique pose au préalable une question constitutionnelle. A priori un membre du gouvernement n’a pas vocation à faire des déclarations que ses « supérieurs » doivent s’empresser de démentir. « Un ministre n’est pas libre de ses propos », a justement rappelé la ministre de la Fonction publique. Formule plus élégante que celle de Jean-Pierre Chevènement, passée au rang d’apophtegme : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».
Comme les polémiques se succèdent au fil des sorties du ministre de l’Economie, on peut supposer qu’elles sont savamment calculées. La question est alors de savoir quelle est l’intention de Monsieur Macron. S’agit-il d’étaler l’archaïsme d’une des gauches les plus arriérées qui soient ? Car enfin, de quoi s’agit-il ? Le ministre a affirmé -ce qui devrait être un lieu commun- que le fait d’avoir un emploi à vie garanti n’est pas défendable pour certains fonctionnaires. Pourtant le Président de la République et le Premier Ministre se sont immédiatement affichés comme des défenseurs inconditionnels du statut général des fonctionnaires. Selon François Hollande, un fonctionnaire a « des droits et des devoirs » ; selon Manuel Valls, le statut ne peut obéir aux lois du marché », car les fonctionnaires doivent servir l’« intérêt général ».
Pour comprendre ce bal des hypocrites, il faut en revenir aux origines du statut unique de la fonction publique.
Au XIXe siècle, les syndicats officieux des fonctionnaires ne voulaient, pour la plupart, pas entendre parler d’un statut, et ce pour deux raisons : il convenait de ne pas collaborer avec un Etat qui devait être aboli par la « classe ouvrière » dont faisait partie l’essentiel des fonctionnaires ; un statut signifiait l’interdiction du droit syndical et plus encore du droit de grève. C’est le gouvernement de Vichy qui a instauré en 1941 le premier statut et qui a, entre autres, effectivement interdit le droit de grève et mis en exergue le devoir de réserve des fonctionnaires.
Sous l’égide des marxistes, à commencer par le très soviétophile Maurice Thorez, chargé de la réforme administrative en tant que vice-président du gouvernement, le statut général des fonctionnaires a été voté en 1946 à l’unanimité. Alors que la CGT était traditionnellement opposée à un statut, elle s’y rallie après-guerre.
La fonction publique se trouvait alors régie par un statut dérogatoire au droit commun, applicable à l’ensemble des fonctionnaires et qui reconnaissait le droit syndical. Statut exorbitant puisque non seulement les fonctionnaires bénéficiaient des avantages du secteur privé, à commencer par le droit de grève, mais encore de privilèges inconnus des salariés du privé mais aussi de moult fonctionnaires de pays étrangers. Ainsi les fonctionnaires peuvent-ils se livrer sans restriction à des activités publiques ou encore obtenir un détachement de droit pour l’exercice d’une fonction élective ou d’un mandat syndical.
C’est sous l’égide des communistes une nouvelle fois lors de l’« expérience » de 1981, et notamment sous celle du ministre communiste de la Fonction publique soutenu par un Premier Ministre lui-même fonctionnaire et syndicaliste, que le statut général a été réformé entre 1983 et 1986 par le renforcement des droits et garanties accordés, et l’officialisation du pouvoir de négociation des syndicats.
En réalité, certaines dispositions des statuts successifs n’ont pas eu l’effectivité prévue du fait des pressions syndicales : les révocations par mesure disciplinaire et les licenciements pour insuffisance professionnelle constituent de rares exceptions ; les primes de rendement individuelles n’ont pas reçu l’application convenue ; le principe de la « continuité » du service public a cédé devant un droit de grève omniprésent. Quant au caractère général ou unique du statut, il n’a jamais correspondu à la réalité puisque le statut de 1946 ne concernait pas les agents des collectivités territoriales et qu’aujourd’hui encore la fonction publique, pourtant pléthorique, ne marche, rigidité du statut oblige, que du fait de la présence d’un million de contractuels !
La fonction publique française est un champ de ruine qui magnifie les droits des fonctionnaires, mais qui a tendance à oublier leurs droits et leurs devoirs. Sous couvert de progressisme, le conservatisme le plus éculé y règne en maître sur fond de syndicalisme frileux et de politisation éhontée.
Il ne faut cependant pas oublier que l’abolition du statut de la fonction publique n’est pas une panacée. Dire que les fonctionnaires devraient pour la plupart d’entre eux dépendre du droit commun, c’est oublier que le Code du travail est lui-même dérogatoire au droit commun. Une réforme ne saurait donc se concevoir de manière isolée : c’est tout le droit du travail qui doit être revu.
par Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit
Maître de conférences à sciencesPo
Avocat à la Cour de Paris
3 commentaires
pourquoi l'état patron des fonctionnaires ne paie pas les mêmes charges…
Pourquoi l'état ne paie pas les mêmes charges que les entreprises privées. C'est à dire que l'état paie des charges inférieurs qu'aux entreprises privées, il y aurait matière pour intenter un recours devant la cour internationale, car on peut dire qu'il y a discrimination.
En plus cela irait dans le sens de la réduction des charges des entreprises pour le bien être de la compétitivité. Bien sur en alignant les charges des entreprises privées sur les charges payées par l'état.
LE PLUS GRAVE EST AILLEURS…
Il y a des tas de choses à dire sur notre fonction publique: sa vocation quasi-universelle en France, ses effectifs extravagants, son coût exorbitant, son efficacité très relative, ses retraites abusivement financées par l'impôt etc. Mais le plus grave et de loin, c'est sa politisation, puisqu'en réalité le fonctionnaire est et doit demeurer un serviteur de la collectivité publique, alors qu'en réalité depuis quelques décennies la fonction publique, omni-présente tant dans les Gouvernements qu'au Parlement, a pris sournoisement le contrôle de l'Etat et d'un nombre important de collectivités territoriales, bien que le secteur public ne représente au mieux qu'un petit quart de la population active française.
L'ENA, en aiguisant et en concentrant les ambitions a joué un rôle capital dans cette dérive désastreuse qui a abouti très sûrement au déclassement progressif de notre pays dans la concurrence internationale. La France est devenue le seul, ou au moins l'un des très rares pays à être gouvernée par ses fonctionnaires, qui nagent en plein conflit d'intérêts, comme permettent de le vérifier des sujets tels que le jour de carence, les retraites publiques non cotisées, l'emploi à vie, le foisonnement des normes inapplicables, l'irresponsabilité de fait etc.
C'est à ce véritable scandale qu'il faut mettre fin par priorité en obligeant les fonctionnaires qui veulent accéder à un mandat politique à choisir immédiatement et de manière irrévocable entre leurs ambitions et leur qualité de fonctionnaire. Mais qui osera lancer le référendum nécessaire pour mettre fin aux abus d'une petite caste – car bien entendu toute la fonction publique qui s'investit dans sa seule mission de service public n'est pas concernée – qui détient tous les pouvoirs et préserve bec et ongles tous ses privilèges?
Statut obsolete
Mr Macron a, une fois n'est pas coutume, parfaitement raison. Pour moi, le statut de fonctionnaire ne devrait être réservé qu'à ceux qui exercent des fonctions régaliennes (police, justice, défense…). Pour les autres, mêmes droits et devoirs que les salariés du secteur privé.