Livreurs à vélo, chauffeurs VTC, professeurs ou psychologues… Dans l’Union européenne, environ 28 millions de personnes travailleraient sous le statut d’indépendant pour des plateformes comme Deliveroo, Bolt ou Uber. Elles pourraient être 43 millions en 2025. Fonctionnaires et élus européens, surprotégés, ne peuvent pas imaginer que des travailleurs préfèrent leur indépendance au risque de leur inquiétude, être le loup plutôt que le chien de la fable.
La technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation
Les eurodéputés ont validé en février dernier une proposition de directive, publiée par la Commission le 9 décembre 2021, puis retravaillée et présentée par le Conseil européen début juin à l’effet d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes. Alors qu’aujourd’hui, ceux-ci doivent démontrer qu’ils sont, le cas échéant, salariés, si cette directive aboutit, les travailleurs seront légalement présumés être des salariés si dans leur relation avec une plateforme numérique celle-ci remplit au moins trois des sept critères énoncés dans la directive, à savoir que la plateforme :
a) détermine les plafonds du niveau de rémunération ;
b) exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu’elle respecte des règles spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail ;
c) supervise l’exécution du travail, y compris par des moyens électroniques ;
d) restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de choisir ses horaires ou ses périodes d’absence ;
d bis) restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude d’accepter ou de refuser des tâches ;
d ter) restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants ;
e) restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.
Cette directive veut donc imposer de nombreuses obligations aux plateformes pour garantir les nouveaux droits des « travailleurs ». Peu à peu, la technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation et préserver son vieux monde. Elle rend plus chers les services qui venaient augmenter le pouvoir d’achat de tous. Mais surtout elle viole les droits élémentaires de chacun à travailler selon ses choix.
L’Europe ne comprend pas que certains salariés préfèrent être « indépendants »
Et elle refuse de comprendre que le meilleur accomplissement humain est dans la liberté et la responsabilité individuelles. Elle devrait se ressourcer dans la lecture de Hyacinthe Dubreuil. Il y a déjà plus d’un siècle, cet ouvrier syndicaliste CGT d’origine, mais chrétien, prônait la transformation du travail salarié en travail indépendant. Il voulait individualiser la situation de chacun en fonction de ses qualités propres. « Notre désordre actuel, ajoutait-il, provient de toute évidence, du fait que l’on veut soumettre l’individu aux lois du groupe en ignorant les siennes ». Il proposait donc que les entreprises soient organisées en petits ateliers autonomes pour réaliser des tâches successives de fabrication avec des équipes dont les membres seraient rémunérés en fonction de l’efficacité de leur organisation. Les individus seraient ainsi maîtres et responsables de leur travail autant que de leur rémunération[1]. Il voulait en fait que les salariés puissent disposer des moyens d’accomplir leur existence « sur les trois plans économique, intellectuel et moral ». Ce qui supposait pour lui qu’on leur rende leur autonomie et la responsabilité de leur travail. C’est précisément ce que peuvent trouver les individus dans le travail indépendant.
L’Europe aime les fonctionnaires et les salariés. Elle ne comprend pas que certains préfèrent être « indépendants », travailler pour leur compte. Parce qu’elle aime ceux qui ont besoin de sa protection, pas ceux qui aimeraient s’en passer. Elle voudrait donc que tous soient salariés, ou le plus grand nombre. Dans l’esprit collectiviste ambiant qui l’anime désormais, elle n’a de cesse de vouloir remettre tous les travailleurs sous le statut du salariat, soumis à des règles uniformes et publiques. Au motif de les protéger tous, il s’agit de les assujettir tous à un même moule ; de les obliger à s’assurer auprès d’une sécurité sociale très onéreuse et peu efficace ; de les empêcher de souscrire des retraites par capitalisation pourtant plus protectrices ; de les soumettre à des conventions collectives plutôt qu’à des contrats qu’ils pourraient librement négocier.
Il est prévu que la directive entre en vigueur en 2025. Mais la négociation n’est pas encore achevée. Souhaitons que l’Europe retrouve ses esprits d’ici là .
[1] Cf. Hyacinthe Dubreuil, Le travail et la civilisation, Plon, 1953
3 commentaires
Que ça soit Bruxelles ou Paris cela illustre toujours la même lacune : il manque des syndicats libres et indépendants pour protéger les travailleurs indépendants ! Il faut d’urgence en finir avec le droit irréfragable de représentativité des syndicats français et autoriser la libre création de nouveaux syndicats qui représenteront les indépendants tout en leur apportant des services
Les dirigeants européens sont nommés et non élus…et s’ils étaient tirés au sort ?
La liberté et l’indépendance des travailleurs gagneraient probablement un peu de terrain…
le Parlement européen est élu et les dirigeants sont nommés par des gouvernements élus. Il n’y a rien d’anormal.