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Les illusions dangereuses, de Jean-Philippe Trottier

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On connaît le mot de Chesterton, « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles ». C’est en quelque sorte le propos de Jean-Philippe Trottier, journaliste québécois, qui, avec son nouvel ouvrage, prétend que les idéologies nouvelles qui asservissent l’homme – en vrac, la culture du bannissement (cancel culture), la repentance systématique, l’hystérie woke, l’écriture inclusive, l’antiracisme et le féminisme dévoyés, etc. – ne sont que des idolâtries.

Comme on le sait, l’idolâtrie est un culte rendu à l’idole d’un dieu au même titre que si elle était Dieu lui-même. Quel est alors l’idole devant laquelle nos contemporains se prosternent ? La victime, bien sûr. Réelle ou imaginaire, autoproclamée ou fantasmée, la victime est partout. Elle est femme, elle est noire, elle est végan, elle est homosexuelle, elle est antispéciste, elle est jeune, elle est écologiste, elle est footballeur (Zidane estimé bafoué par Noël Le Graët), elle est… Ce dont on est sûr, c’est qu’elle n’est jamais un homme blanc occidental hétérosexuel marié et omnivore. « Quand Dieu est congédié, écrit Trottier, il revient de façon dégradée sous les traits de l’idole. Aujourd’hui, celle-ci s’appelle victime ».

Communisme et féminisme, ou le christianisme dévoyé

Pour Trottier, le coupable est tout trouvé : la modernité. La « victimisation est un symptôme d’une modernité qui s’est emballée », affirme-t-il. Il décortique, à l’appui de sa thèse, deux exemples : le communisme et le féminisme qui ont tous deux tenté de dévoyer la religion chrétienne.

Le communisme, en effet, « incarnait une dégénérescence du christianisme dans la mesure où [il] récupérait, en les dégradant, des images et des méthodes propres au judéo-christianisme. Concrètement, le péché originel est désormais l’exploitation de l’homme par les possesseurs des moyens de production. La figure christique est le prolétaire, le paradis est la société sans classe, l’Église infaillible est le parti communiste, l’anathème et l’excommunication sont les exclusions du parti ». Même le goulag soviétique, écrit Jean-Philippe Trottier, « où croupit un animal humain abruti est un instrument de rédemption qui accueille généreusement le fautif pour racheter ses péchés et le remettre sur le droit chemin ».

Si le communisme a voulu faire du prolétaire un nouveau Christ, le féminisme essentialiste – c’est-à-dire celui qui fait de toute femme « un être aliéné par essence » – tente, lui, de récupérer la Vierge Marie, en en faisant une sublimation de la femme victime « dont il faudra absolument réparer les outrages subis ». Avec le féminisme, « le péché originel est le patriarcat qui institue l’inégalité hommes-femmes systémique. L’agneau immolé est l’être-femme, le paradis la société égalitaire, l’Église le nouveau clergé féministe, installé dans de nombreux milieux médiatiques, universitaires et étatiques face au méchant clergé masculin. L’anathème religieux se pare ici d’un florilège baroque de mots tels que violent, misogyne, phallocrate, hétéropatriarcal, lesquels sont autant de disqualifications morales du vis-à-vis masculin qui interroge ».

L’auteur montre comment « le féminisme essentialiste victimaire jongle avec la toute-puissance de la virginité de Marie, désormais étrangère à toute transcendance et réduite en bout de parcours à une privation de tout commerce charnel ».

Désormais, tous ceux qui se prétendent opprimés ont adopté la mécanique de la dégradation d’images chrétiennes en mobilisant « l’innocence de l’agneau pascal sacrificiel » dans le champ politique et social. Ils cherchent, nous dit Trottier, à « reproduire ici-bas des histoires saintes, des théodicées, des rituels et des liturgies ».

Le retour à la tradition ?

Comment sortir de cette idolâtrie ? Si elle a pour cause la modernité, comme le prétend l’auteur, qui, en libérant l’homme de ses chaînes en a fait littéralement un être « déchaîné » qui s’adore lui-même, la solution est alors de sortir de la modernité, ou à tout le moins de l’infléchir. Trottier suggère ainsi de retrouver l’esprit de tradition.

Revenir à la tradition ne signifie pas adopter les « idéologies de retour à la pureté des origines », celles « du retour du bon sauvage, à la nature inviolée, à l’harmonie symbiotique de Gaïa ». Non, ce serait plutôt le retour à un monde « où l’homme secondait Dieu », dans lequel il avait reçu de Dieu « l’ordre de parfaire une création qui lui avait été confiée et dont il assurait l’intendance, sans nécessairement chercher à la réduire à une rationalité technicienne ni à l’exploiter outre mesure ». Un retour aux temps d’avant la Renaissance en quelque sorte.

Il nous semble que ce qu’espère Jean-Philippe Trottier est en réalité un retour à la chrétienté, c’est-à-dire à une civilisation assise sur le christianisme. Une solution bien peu réaliste à vrai dire. La chrétienté est définitivement éteinte comme l’a montré Chantal Delsol et l’on ne voit pas comment elle pourrait renaître de sitôt. Trottier non plus d’ailleurs qui se garde bien d’indiquer le chemin qui rendrait cette redécouverte possible.

Plus réaliste est l’autre solution préconisée par Trottier. C’est celle de l’humour. Comme le dit Rémi Brague dans sa préface, « les idéologies victimaires ont en commun qu’elles sont pesantes, tristes et réfractaires à tout ce qui fait rire ».

C’est vrai, les idéologues idolâtres d’aujourd’hui se prennent tous un peu trop au sérieux. A l’Iref nous avons pris le parti d’en rire depuis longtemps.

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