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Lula : quand l’altermondialisme devient négationnisme

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Il y a quelques jours, le président brésilien Lula était invité, en tant que président en exercice du G20, à prononcer un discours pour l’ouverture du 37ème sommet de l’Union africaine à Addis Abeba. Lors de son allocution, il a mis en avant les potentiels partenariats entre le Brésil et l’Afrique, avec pour but ultime la construction d’un nouvel ordre mondial multipolaire, rendu possible grâce au succès de sa politique économique et sociale.  Il concluait son discours par un vibrant et original « Il n’y a pas de Sud Global sans l’Afrique ! ».[1]

Si les Brésiliens ne savent pas grand-chose de la Shoah, c’est en raison de leur « éloignement » (sic !)

Lors de la conférence de presse qui s’ensuivit, Lula a déclaré : « Dans la bande de Gaza, ce n’est pas une guerre qui a lieu, mais un génocide. Ce qui se passe dans la bande de Gaza et contre le peuple palestinien n’existe à aucun autre moment historique. Ou plutôt a bien existé :  lorsque Hitler a décidé de tuer les juifs. »[2]

Bien sûr, cette déclaration a suscité un tollé en Israël, où l’ambassadeur du Brésil a été convoqué par le ministre des Affaires étrangères (au musée de l’Holocauste…) le 19 janvier, avant d’être rappelé à Brasilia par son gouvernement ; puis, le même jour, le gouvernement israélien a déclaré Lula « persona non-grata », une décision diplomatique rarissime[3].

Peut-être plus inattendue, la réprobation est tout aussi forte au Brésil, pourtant historiquement prompt à se regrouper autour de ses dirigeants contre les attaques et critiques venues de l’extérieur. Les traditionnels soutiens à Lula sont plutôt discrets, ils se réduisent à sa garde rapprochée (les leaders du PT,  les ministres qui en sont issus, et le vice-président). Leur position peut se résumer ainsi : « Il ne s’agit pas d’une attaque contre les juifs ou le peuple d’Israël, mais contre un gouvernement d’extrême-droite » et « Lula combat pour la paix entre les nations ». De son côté, l’opposition parlementaire s’est emparée de la crise pour entamer une procédure de destitution de Lula, accusé de fragiliser la sacro-sainte neutralité du pays et de mettre sa sécurité en péril ; les plus modérés, comme le président du Sénat, demandent à Lula de reconnaître son erreur et présenter des excuses[4]. Enfin, les médias, et en particulier les principales chaînes de télévision (généralement peu critiques du Président et de son Gouvernement et peu intéressées par les aspects diplomatiques ou internationaux de l’actualité)  se montrent plutôt déroutés  et pour une fois n’osent pas manifester un soutien explicite aux déclarations de Lula. Ce soutien est donc venu du mouvement propalestinien européen, à l’exemple du tandem Pascal Boniface – Christophe Ventura[5] dans la session intitulée « Lula et la guerre à Gaza » des mardis de l’IRIS du 20 janvier[6].

Cette « conversation » n’a été qu’un fourre-tout d’idées reçues et d’inepties sur le Brésil et l’Amérique du Sud, bien loin du sujet palestinien. M. Ventura, « spécialiste de l’Amérique latine » a cru bon de remonter dans le temps jusqu’au sommet de Bandung en 1955, auquel aucun pays du continent américain n’a participé. Il a associé l’Amérique du Sud aux sentiments hérités de la question coloniale, alors que tous les pays du sous-continent, sauf les Guyanes, sont indépendants depuis le XIXème siècle (ils l’étaient pour la plupart avant la constitution de l’Italie ou la colonisation de l’Algérie par exemple). Il a expliqué que si les Brésiliens ne savent pas grand-chose de la Shoah, c’est en raison de leur « éloignement » : merci pour eux, mais d’une part l’essentiel de l’émigration juive au Brésil, deuxième communauté d’Amérique latine après l’Argentine, est postérieure à la Seconde Guerre mondiale ; et d’autre part, la réaction de la société aux déclarations de Lula en montre l’absurdité – et puis en quoi le fait de n’être pas bien connaître l’Holocauste interdirait-il de soutenir l’Etat juif ? Il a dénoncé l’appui univoque des chrétiens évangéliques et néo-pentecôtistes, supposés être de fervents soutiens d’Israël et de la droite brésilienne et donc principaux opposants aux déclarations de Lula – mais comment a-t-il donc pu être élu à deux reprises avec plus de 60% des voix sans leur appui ?

Selon M. Ventura, Lula serait le porte-drapeau de l’Amérique latine progressiste. Or, quels sont ses appuis diplomatiques sur le continent aujourd’hui ? Le Venezuela et Cuba. Même les dirigeants les plus à gauche de la région, comme les présidents chilien ou colombien, refusent de reconnaître à Lula un quelconque leadership, justement en raison de ses positions diplomatiques.[7]

Il faut constater que Lula a choisi une politique anti-occidentale

En fait, me semble-t-il, cette déclaration de Lula[8] ne doit rien au hasard, à la fatigue du voyage ou à une excitation subite et momentanée. Elle ne peut être analysée que lorsqu’on l’intègre dans l’évolution de son discours diplomatique, traduit dans le corpus de la politique étrangère brésilienne depuis son retour au pouvoir le 1er janvier 2023.

De manière objective, il faut constater que Lula a choisi une politique anti-occidentale :

  • rapprochement avec l’Iran, qui s’est traduit par l’ouverture du port de Rio à deux vaisseaux de la marine de guerre iranienne dès le début de son mandat ;
  • appui sans faille au régime de Maduro au Venezuela, notamment au sein des différentes organisations régionales (le Brésil n’a par exemple jamais condamné les revendications territoriales du Venezuela contre le Guyana) ;
  • nouveau rapprochement avec Cuba, se traduisant en particulier par un soutien financier ;
  • appui indirect à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, qui s’est manifesté, par exemple, dans la déclaration selon laquelle « les responsabilités (de la guerre) sont partagées », et de façon caricaturale lors de la rencontre « manquée » avec V. Zelenski au sommet du G7 de 2023. D’ailleurs, Lula s’est toujours bien gardé d’aucune déclaration sur les morts civils en Ukraine aussi emphatique que celle d’Addis Abeba sur les morts de Gaza.

L’appui univoque aux revendications du Hamas et surtout la mise au banc des accusés d’Israël, niant l’Histoire et le plus grand crime collectif du XXème siècle, est une nouvelle pièce dans ce puzzle d’un monde nouveau que Lula souhaite construire avec ses récents amis, contre l’Occident et ses valeurs.

Les tentatives du président Macron pour faire de Lula un allié, avec force tutoiements et déclarations d’amitié, témoignent d’un bel optimisme… oublieux des vraies raisons qui avaient amené le futur vainqueur de Bolsonaro à Paris en 2022 :  soutenir Mélenchon avant le premier tour de la présidentielle.

La question qui se pose à nos gouvernants est donc de déterminer quelles relations nous souhaitons développer avec les dirigeants étrangers qui, comme Lula, proposent un modèle d’organisation des relations internationales en opposition frontale avec le nôtre et mettent en place des alliances économiques, politiques ou militaires vouées à se heurter directement aux nôtres. Et il ne s’agit pas ici, quoiqu’en disent certains intellectuels européens, d’un nouveau non-alignement ou de « the West vs. the rest » – le nouveau mantra des altermondialistes ; la diplomatie indienne, par exemple, montre bien que la promotion de la multipolarité et la défense des intérêts nationaux ne sont pas synonymes de conflit avec l’Occident.

Dans ce cadre, si l’Europe ne veut plus être un « nain géopolitique », ne doit-elle pas avoir une vision de ses intérêts qui inclut aussi les aspects idéologiques, au-delà des relations purement économiques et commerciales ? Concrètement, ne serait-il pas paradoxal de promouvoir un traité de libre-échange (en l’occurrence l’accord UE – Mercosur) dont le principal bénéficiaire serait un pays, le Brésil, qui depuis un an  s’oppose de plus en plus fortement aux choix et alliances de l’Union européenne et de la France ? Ou de le retirer uniquement en raison de certaines oppositions internes (mouvements agricoles, partis anti-libéraux, etc.) et non de ces contradictions stratégiques et politiques ?

Pour conclure, on peut s’étonner de l’attitude de Lula, qui jouissait plutôt d’une réputation de finesse tactique dans ses approches diplomatiques et dont on aurait pu penser que  l’âge (78 ans) favoriserait une plus grande modération. Quels événements ou personnes dans son entourage expliquent donc cette nouvelle brutalité ? Comment ses anciens conseillers, plus préoccupés de leur enrichissement personnel que de conflits internationaux, sont-ils devenus inaudibles, ou ont-ils été écartés au cours des derniers mois ? Qui a donc la possibilité de chuchoter chaque soir à l’oreille du vieil homme des positions dictées par la radicalité gauchiste ?

Peut-être la réponse tient-elle en quelques lettres (cinq), et dans la fameuse réplique d’Alexandre Dumas « Cherchez la femme »…


[1] La traduction officielle en anglais du discours est disponible sur le site de la présidence de la République (https://www.gov.br/planalto/en/follow-the-government/speeches/president-lulas-speech-at-the-opening-of-the-37th-african-union-summit) et le discours complet peut être visionné à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=QnszCKD_ioY.

[2] L’extrait de la conférence de presse montrant cette déclaration est disponible à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=JuXxz35y-GE. La translation est extraite de « Lula compara ação em Gaza a Holocausto e abre crise com Israel », V. Assis, D. Braun et A. Fernandes, Valor, 19 janvier 2023 (traduite par mes soins).

[3] L’ambassadeur d’Israël a également été convoqué par le ministre des Affaires étrangères le 19 janvier.

[4] Lula a déclaré qu’il ne s’excuserait pas et a même renouvelé ses attaques lors d’un discours devant ses supporters à Rio le 23 février, accusant à nouveau Israël de génocide à Gaza : https://www.youtube.com/watch?v=JMTgPLPkMaI&t=179s

[5] Dont la notice bibliographique permet de mieux comprendre l’objectivité de l’analyse : https://www.iris-france.org/chercheurs/christophe-ventura/

[6] Voir https://www.youtube.com/watch?v=UyxCgSZebA8

[7] Voir « Les choix étranges de l’idole des sociaux-démocrates européens, ou « Où va la Démocratie brésilienne », Stéphane Frappat, IREF Europe, 13 juillet 2023.

[8] A la différence du discours préparé par ses collaborateurs, beaucoup plus modéré : « Être un humaniste aujourd’hui signifie condamner les attaques perpétrées par le Hamas contre les civils, et demander que tous les otages soient immédiatement libérés. Être un humaniste c’est aussi rejeter la réponse disproportionnée d’Israël, qui a tué quasiment 30 000 Palestiniens à Gaza – la grande majorité d’entre eux étant des femmes et des enfants- et causé le déplacement forcé de plus de 80% de la population. La solution durable à cette crise sera possible uniquement si nous nous dirigeons rapidement vers la création d’un Etat palestinien qui soit aussi reconnu comme membre à part entière des Nations unies. »

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5 commentaires

Jacquiau 6 mars 2024 - 1:03

je ne vois pas en quoi la déclaration de Lula serait négationniste. il reconnait bien la Shoa, il dit simplement que l’intention d’Israel est un génocide des palestiniens. Depuis 5 mois « la communauté internationale  » s’entête à ignorer ce qui se passe mais à l’heure actuelle on peut sérieusement se poser la question étant donné le déplacement forcé de la quasi totalité des habitants de gaza, la destruction de toutes les infrastructures, le blocus de nourriture, eau potable, médicaments , produits d’hygiène … avec en plus les déclarations d’une partie des ministres qui disent avoir pour objectif de réduire drastiquement la population de Gaza ( par déportation ou autres méthodes…) et ouvrir le territoires aux colons. Comment faut-il appeler ce qu’il se passe ? une tragédie ? un meurtre de masse associé à un génocide culturel ? une juste vengeance ?

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JBrasseul 6 mars 2024 - 1:24

« Et il ne s’agit pas ici, quoiqu’en disent certains intellectuels européens… »

quoi qu’en disent, s’il-vous-plaît.
‘Quoique’ n’a rien à faire ici, ça signifie ‘bien que’.
Quoique = bien que
Quoi que = quel que soit le

Quoique cette confusion soit fréquente, restons zen, quoi qu’il arrive.
Bien que cette confusion soit fréquente, restons zen, quelles que soient les circonstances.

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Carfantan 6 mars 2024 - 2:08

Bonjour. Si les propos de Mr Ventura sur la méconnaissance par les Brésiliens de la Shoah sont avérés, cela témoigne d’une grave ignorance de l’histoire contemporaine du Brésil et de ce qui existe dans le pays pour promouvoir une connaissance de la Shoah qui n’est pas si faible que cela. Pour l’information de Mr Ventura, il existe un mémorial de la Shoah à Sao Paulo (qui reçoit des dizaines de visites de scolaires par mois), un musée juif (qui évoque largement cette histoire). Il existe un mémorial de la shoah à Curitiba et à Rio. L’intégration très forte de la communauté juive de Sao Paulo à la population de la ville fait que cette histoire est largement diffusée. Je trouve regrettable que des spécialistes de l’Amérique latine comme C. Ventura accumulent tant d’erreurs sur le Brésil où je vis. C’est sans doute le résultat d’une forme de rigidité idéologique. Cordialement

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Lombled 6 mars 2024 - 4:20

La création d’un état Palestinien ne résoudra pas la question de la paix dans cette région du moyen orient. Il n’y a qu’à voir ce que l’ONU à fait lors de l’envahissement de l’Ukraine par la Russie. Cet état s’armera avec tout le matériel moderne pour tenter de mettre Israël à la mer, comme au temps de la conquête Arabe, qui a raillé l’état Hébreu de la carte. Je sais très bien que beaucoup de politiciens ne connaissent pas l’histoire « ISRAËL ». Du temps de Jésus la dite Palestine était Juive, et occupée par les Romains. Aujourd’hui on nous dit que la Palestine est Arabe, et quelle est colonisée par les sionistes. Je crois qu’il faut remettre les choses à leur place, sinon pas de paix possible.

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Alberto Guidorzi 6 mars 2024 - 8:26 Répondre