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Le déclin de l’Occident ne doit pas occulter la décomposition de la Russie

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Après deux ans de guerre en Ukraine, nul ne saurait en prédire l’issue. Mais déjà ceux qui haïssent l’Occident en annoncent le déclin et se moquent de ses efforts incertains pour s’opposer à la Russie dont ils attendent la victoire.

Les statistiques morales

Tel est notamment le sens du livre d’Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident (Gallimard, 2024). Il vante la qualité du régime poutinien qui aurait réussi à réduire en 2017 le taux de décès par alcoolisme à 8,4 pour 100 000 habitants et le taux de suicide à 13,8, et en 2020 le taux d’homicide à 4,7. Il prend sans doute les chiffres de la propagande russe car les statistiques des grandes institutions internationales en délivrent de bien différents (cf. graphiques ci-dessous) qui montrent que les taux russes de mortalité, de suicide, d’homicide restent élevés et sensiblement supérieurs à ceux de la France et des Etats-Unis.

Il en est de même des taux de divorce, d’avortement ou de grossesse non désirée. Le taux de natalité et l’espérance de vie sont par ailleurs moins élevés en Russie qu’ailleurs. Ces statistiques, où l’Ukraine ne brille pas non plus même si elle est globalement plus proche de l’Occident que la Russie, souligne le désarroi dans lequel le communisme a laissé ces pays et le triste état de pauvreté morale où ils sont encore, particulièrement la Russie. La gestation pour autrui à titre onéreux a d’ailleurs été autorisée de longue date par ces deux Etats : 45.000 enfants seraient nés de mères porteuses russes puis emmenés à l’étranger jusqu’en 2022 quand la GPA y a été interdite aux étrangers (Source : Reuters, William Mallard, 27/11/2022) tandis que diverses estimations considèrent que 2000 à 3000 couples étrangers se tournaient vers la gestation pour autrui en Ukraine chaque année avant la guerre.

Certes, le taux de mortalité infantile semble plus faible en Russie qu’ailleurs. Emmanuel Todd en fait le marqueur éthique universel. Mais outre qu’un seul indicateur favorable n’a guère de signification, il est possible que le nombre moins important de décès infantiles soit la contrepartie du nombre très significativement plus élevé qu’ailleurs du nombre d’avortements. Au surplus, la Russie se fait du mal à elle-même dans cette guerre d’invasion qui lui aurait déjà coûté 315 000 morts et blessés et qui aurait incité 700 000 à 1 000 000 jeunes Russes à quitter son territoire alors que la baisse de sa natalité conduit à un dangereux déclin de sa population. De plus, la Russie est également un pays miné par le sida et par la drogue : le nombre de personnes traitées pour usage de drogues y est 3.4 fois plus élevé qu’en France. En France, 0,3 % de la population vit avec le sida/VIH ; en Russie, ce nombre est de 1,2 % ou quatre fois plus.

La dynamique économique

Pour démontrer que la Russie n’est pas seulement plus forte moralement mais aussi qu’elle assure mieux son avenir économique que les Etats-Unis, Emmanuel Todd met en avant que les Etats-Unis forment trop peu d’ingénieurs, (7, 2% de leurs étudiants), à l’inverse de la Russie  (23,4%). Mais qu’est-ce qu’un ingénieur ? L’Union soviétique était le pays des ingénieurs qu’elle chouchoutait et parmi lesquels elle recrutait la grande majorité des membres du bureau politique de son  parti communiste. Staline désignait les écrivains comme des « ingénieurs des âmes ». On a vu le résultat. Mais leur importance souligne d’abord que la Russie est restée dans l’économie d’avant et n’a pas encore rejoint l’économie des nouvelles technologies qui requièrent plus de sciences, de numérique et désormais d’IA. Les chiffres ci-après soulignent que les pays occidentaux ont à cet égard une avance certaine :

Enfin, Emmanuel Todd, pour achever de ruiner le destin américain, se gausse du fait que « la production industrielle américaine, qui représentait 45% de la production mondiale en 1945, n’en représente plus que 17% ». Mais c’est au contraire la force de l’Occident d’avoir permis que la production industrielle soit désormais mieux partagée. C’est ce qui a enrichi le monde de telle façon que la grande pauvreté y a baissé considérablement tandis que le communisme soviétique avait appauvri son monde.

L’ambivalence américaine

Si bien des chiffres et des dires de M. Todd sont inexacts, il reste vrai que l’Occident en général, et l’Amérique en particulier, s’affaiblit de la médiocrité de ses dirigeants, qui oscillent entre un populisme primaire et une social-démocratie inconsistante voire décadente, et de ses intellectuels qui se plient d’eux-mêmes à la nouvelle révolution culturelle décrétée par les gauches intersectionnelles. M. Todd situe la cause d’une décadence occidentale dans l’évanescence du protestantisme et, c’est sans doute vrai, de celle plus globalement du christianisme.

Mais les Etats-Unis, quoiqu’on en dise, restent puissants. Ils sont encore une terre d’innovation, d’entreprenariat et d’aventure. La croissance y est encore soutenue, l’inflation jugulée. Le PIB par habitant (en pouvoir d’achat) y reste supérieur de 40% à celui de l’UE et plus de deux fois celui de la Russie (même le PIB/hab en PPA de la Roumanie est plus élevé – de presque 5 000 dollars – que celui du pays de Poutine). La société américaine, loin d’être parfaite, est demeurée plus libre que l’Europe percluse de technocratie.

En définitive, les dérèglements sociaux de l’Occident sont le fruit de sa liberté qui permet de les combattre et dont a accouché le progrès du monde. Il faut peut-être supporter ses miasmes pour profiter de son miel. Il faut néanmoins veiller à ce que le bon l’emporte et il n’y parviendra que si le débat intellectuel et moral retrouve suffisamment de richesse pour irriguer la société. Car si, comme le poisson dit-on, les sociétés pourrissent par la tête, par l’esprit elles peuvent aussi revivre. Souhaitons d’ailleurs que la liberté puisse à nouveau féconder l’âme russe dont la littérature a livré la puissance. Mais pour ce faire il est sans doute nécessaire de mettre fin au poutinisme étroit et mortifère qui musèle la pensée et sème la dévastation.


[1] Rapport du nombre de divorces prononcés dans l’année à la population moyenne totale de l’année 

[2] Rapport du nombre de divorces au nombre de mariages la même année

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20 commentaires

Filouthai 5 février 2024 - 7:45

Utiliser le taux de natalité de la France (de Macron) pour le comparer à celui de la Russie ou d’autres pays soucieux de leurs frontières (je pense à la Thaïlande) est une erreur basique, déjà faite à de nombreuses reprises, par les énarques (dont Chirac), pour la bonne et simple raison que le chiffre français inclut la fertilité de populations étrangères venues de l’Afrique maghrébine et sub-saharienne, alors que la Russie a une population plus homogène et un taux de natalité pas du tout influencé par une immigration étrangère (qualifiée de française malgré une intégration inexistante à la France, sa culture, ses valeurs).

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 12:07

La Russie est un empire qui englobe des dizaines de populations avec des dizaines de langues différentes. Parmi ces peuples, il y en a plusieurs qui sont musulmans. Ils sont bien comptés dans le taux de natalité, ce qui rend encore plus inquiétante la situation démographique de la Russie.
NL

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Philippe Philippe COMPTE 5 février 2024 - 9:19

Bonjour,

Constater le déclin de « l’occident » (je n’aime pas ce terme trop global) n’est pas une question de « haine » (ce qui serait ridicule. Pourquoi devrait-on se haïr) mais de faits.
Certes, la Russie est loin de s’être relevé (mais après 74 ans de bolchevisme et une dizaine d’année d’hyper libéralisme, ce n’est pas étonnant) mais, sans être pour autant un « poutinophile » (ce que je ne suis pas, loin de là), on peut quand même reconnaître à Poutine, une situation améliorée dans son pays. Nos dirigeants ne peuvent pas en dire autant. Inutile donc d’être « poutinophobe » gratuitement. C’est stérile.
Les chiffres russes sont à prendre avec des pincettes? Exact! Mais il en est de même de ces organisations internationales (OMS, Banque mondiale, etc) ou même de l’INED.
Concernant la situation de l’Ukraine, je trouve déplorable que deux peuples frères se fassent la guerre. Sur ce sujet, « l’occident » à, hélas, une très grande part de responsabilité, n’en déplaise à certains. Quant à la finalité de cette guerre, soyons honnête. L’Ukraine n’a pas les moyens de la gagner. Sans l’aide de « l’occident » (dont, au passage, les peuples n’ont pas été consultés. Bonjour la « démocratie »), il y a bien longtemps que ce conflit serait terminé. Le résultat de ce jusqu’au boutisme est la souffrance des peuples ukrainiens et russes. Tout ça, pour les intérêts de certains!!! Et certainement pas les nôtres.
Encore une fois, autant je suis assez d’accord avec vos analyses économiques (jusqu’à un certain point) qui relève de vos compétences, autant, quand vous abordez d’autres secteurs, je n’adhère plus.
Après, à chacun son opinion. Je respecte la votre.

Cordialement.

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Picot 5 février 2024 - 10:55

Bizarre tout de même qu’un pays aussi mal loti, comme vous le prétendez Mr Delsol, ait une supériorité militaire incontestable dans beaucoup de domaines. Leurs ingénieurs ont mis au point, entre autres, la MHD qui permet aux militaires d’utiliser des missiles hypersoniques que personne ne peut intercepter, contrairement à ce qu’on nous raconte. Et quant au Poutinisme qui sème la dévastation, heu… Plus que l’OTAN depuis la 2e guerre mondiale? Vous avez fait le bilan? Les chiffres, vrai ou faux, sont une chose. En réalité les Russes, croyez le ou non, sont plus forts que les occidentaux pour des raisons essentielles, Poutine ou pas : chez eux c’est Patrie, famille, religion. Chez nous c’est wokisme, LGBT et démolition de tout ce qui représente le Christianisme. Vrai ou faux?

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 12:00

Les missiles soi-disant supersoniques ont été détruit par la défense anti-aériennes ukrainiennes avec des missiles Patriot. D’ailleurs, les scientifiques qui ont travaillé sur ce projet – Anatoli Maslov, Alexander Shipliouk et Valery Zvegintsev – ont été arrêtés par le FSB pour « haute trahison ».
NL

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breizh 5 février 2024 - 12:15

pas évident de détruire un missile hypersonique arrivant à mach 10 avec un missile patriot arrivant à mach 5…

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 4:06

80 % des sois-disant missiles hypersoniques ont été détruits…C’est qu’ils sont complètement bidons. Ce n’est pas la première fois que Moscou raconte n’importe quoi.

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Picot 5 février 2024 - 1:16

Faux! Les missiles Patriots ne peuvent atteindre des missiles hypersoniques qui se déplacent à une vitesse Mach 10 voire plus. Et, désolé de vous contredire, ces missiles existent bel et bien. Vous devriez écouter ce qu’on dit les Russes à ce sujet il y a plusieurs années ainsi que les exposés de Jean Pierre PETIT, un ingénieur Français qui a imaginé la MHD, technique adoptée par les Russes et, semble t il, les Chinois. De quelle trahison parlez vous en ce qui concerne ces deux scientifiques?

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 4:05

Plus de 80 % des missiles ont été détruits. les Russes racontent des bobards comme d’habitude. Et c’est pour cela que les scientifiques ont été punis. Ils n’ont même jamais réussi à avoir la maîtrise du ciel en Ukraine et ont perdu aussi celle de la mer Noire avec plus de 20 % de la flotte détruite. Une humiliation. Le reste de la flotte étant obligée de s’éloigner.

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henriB 5 février 2024 - 2:30

Hyper-soniques les missiles.

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 4:03

dans l’imaginaire poutiniste

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Photini 5 février 2024 - 11:58

Quelle est la causalité? Le fait que la Russie est en décomposition cela devrait-il être pour nous une source de consolation, de réconfort et d’espérance? Nous sommes en train de vivre en « live » la fin de l’empire romain et la fin de Byzance. Après Sainte-Sophie, Notre Dame sera transformée en mosquée. C’est inéluctable. Apprendre que la Russie est en décomposition, cela ne remonte pas le moral.

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 4:08

La Russie de Poutine, si. Ca remonte vraiment le moral.

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breizh 5 février 2024 - 12:09

par ailleurs, la Russie gagne la guerre (par KO), même si elle prend son temps.

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 4:07

La Russie ne peut gagner que si l’Occident abandonne l’Ukraine qui se défend avec héroïsme.

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Mennessier 5 février 2024 - 5:14

Bonjour,
Je suis en train de lire le livre d’Emmanuel TODD et je regrette moi aussi que les statistiques utilisées ne soient pas référencées ( il utilise celles de David Teurtrie « Russie, retour de la puissance » qui elles aussi manquent de références).
Ceci dit, les statistiques économiques de Mr. Delsol ne sont pas mieux référencées !
J’ai écrit aux deux éditeurs de TODD et TEURTRIE pour essayer d’y voir plus clair.

Malgré le déclenchement de la guerre entre les l’OTAN et l’Ukraine, je partage toujours l’avis de françois GERE exprimé dans un article d’octobre 2021 (« Pour les Européens, le temps est venu du non-alignement :
https://www.lopinion.fr/edition/international/francois-gere-europeens-temps-est-venu-non-alignement-255456 ).

Est-ce l’intérêt de l’Europe que la Russie soit vaincue dans cette guerre? Je ne le pense pas car dans cette hypothèse, l’Europe risquerait de se retrouver , « ad vitam,  » sous influence américaine.
Là aussi, est-ce souhaitable?
Quel gachis!

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Nicolas Lecaussin 5 février 2024 - 5:59

Les références de M. Delsol sont bien mentionnées et il existe aussi certains liens. De plus, ces statistiques sont assez faciles à trouver. Par ailleurs, en quoi « l’influence américaine » vous a-t-elle gêné ? C’est l’Amérique qui a libéré et protégé (avec l’OTAN) la France. D’autres peuples; comme les Ukrainiens parmi d’autres, n’ont pas eu cette chance…
NL

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Francis 11 février 2024 - 10:20

Heureusement que vous êtes là Messieurs Lecaussin et Delsol

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Nicolas Lecaussin 12 février 2024 - 11:42

Merci à vous !

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Chrysostome 11 février 2024 - 11:27

L’Occident n’est pas en décadence, c’est sa spécificité sociale qui ne s’adapte pas à la réalité et est apathique. Mais, les fondements de notre Civilisation sont toujours forts, c’est juste qu’il faut réécrire les préceptes de son utilisation, en redonnant à l’Ordre sa puissance policière et à sa Justice des juges impartiaux qui ne cessent d’interpréter la loi Républicaine écrite par les élus des Citoyens Français. Puis, l’Occident ne doit plus être représenté par les États-Unis d’Amérique qui ne sont plus fiables et qui ne font que se servir de nos faiblesses catatoniques. Une Europe Unie, l’Euro en monnaie d’échange pour nos partenaires, reprise du leadership de l’OTAN, développement de nos usines d’armement, l’ONU aussi avec des nouvelles règles. Les States veulent être isolationnistes, alors offrons leur leur isolement. Il est temps maintenant d’être sérieux et d’arrêter de faire joujou avec les faits divers, et de construire nos nouvelles bases. La notion de Nation n’existe plus depuis la fin de la conscription que je n’ai cessée de dénoncer de ma toute toute petite voix, inaudible malheureusement. Jusqu’à ce que je découvre Quora où j’ai pu pu avoir des débatteurs qui donnent la réplique. Maintenant, l’IREF est un autre espace où l’on échange pas, on s’instruit et c’est très bien. Merci de votre enseignement.

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