Sa nomination a stupéfait tout le monde. Il ne fait pas partie de la caste (honnie) des politiques, et serait donc incapable de se défaire de ses oripeaux de terreur des prétoires pour devenir un honorable gardien des sceaux de la République. On n’est pas loin du paradoxe du comédien : l’avocat sait défendre toutes les causes, et se défaire de ses oripeaux quand c’est nécessaire. Faisons-lui confiance, accordons-lui la présomption d’innocence et le bénéfice du doute, on verra bien. Disons comme Daniel Cohn-Bendit que c’est « gonflé » de la part du Président, mais exactement ce qu’il faut pour secouer une institution qui en a bien besoin, même si ça ne plaît pas à tout le monde, et notamment pas aux magistrats professionnels. Après plusieurs mois à ne parler que des hôpitaux et de la santé, la Justice mérite bien elle aussi de passer sous les projecteurs.
Le nouveau Garde des Sceaux ne va certes pas avoir la tâche facile. Il s’est déjà rendu compte que les qualités oratoires demandées à un député ne sont pas celles d’un avocat. Il va mesurer combien être médiatique ne signifie pas être populaire, surtout quand le surnom d’ « acquittator » vous aliène la sympathie de ceux qui pratiqueraient volontiers le lynchage de ceux que vous défendez. Il va aussi devoir se comporter en chef de ceux qu’il a quasiment insulté grâce à l’impunité accordée à la profession d’avocat. Encore une fois, on verra bien, et posons-nous d’abord la question de savoir quels sont, à notre sens, les travaux auxquels cet Hercule des prétoires devra s’atteler, et tenter de mener à bien dans les seulement 600 jours qu’il a devant lui.
– Le budget de la Justice, nerf de la guerre.
– Le volet pénitentiaire.
– L’aide juridictionnelle
– L’indépendance de la justice et la réforme de la magistrature.
Mettre enfin à niveau le budget de la Justice, honteusement bas.
La France tient un rang indigne dans les sommes consacrées à la Justice. La CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice) élabore périodiquement un rapport sur la place de la Justice dans 47 pays. La France consacre 72 euros par habitant quand par exemple, sans parler des 179 euros du Luxembourg, le Royaume-Uni y consacre 155 euros et l’Allemagne 146 euros. Cela se passe de commentaire et explique évidemment les difficultés d’une institution représentant le troisième pilier, et la fonction régalienne par excellence, de toute démocratie. En chiffres absolus, il s’agit de 7,5 milliards, soit le même montant que l’Etat vient d’accorder aux hôpitaux au seul titre de supplément, ou le huitième du budget de l’Education (52,7 milliards, hors pensions), ou encore le centième du coût de la protection sociale.
Le budget 2020 devait se signaler par un effort particulier de 5%, on s’est contenté de 4%, et c’est un rattrapage minime compte tenu du niveau très bas d’où l’on part. L’Education a de son côté obtenu une hausse de 1 milliard…Jamais la Justice ne s’est vu accorder un statut prioritaire dans les dépenses de la République, et aucun des prédécesseurs du nouveau ministre n’est jamais parvenu à changer la donne à ce propos. L a lumière brusquement braquée sur la Justice pourrait le faire, et le fait que le premier acte que le Premier ministre et le Garde des Sceaux ont accompli ensemble est la visite à une prison pour en constater le délabrement, devrait être un bon signal. Espérons-le.
Quels sont les postes de dépense prioritaires ?
Les prisons
Les prisons françaises sont les écuries d ’Augias de notre moderne Hercule, et leur nettoyage un travail prioritaire. Les rats pullulent dans des cellules surchargées, l’indignité des conditions a provoqué nombre de condamnations par les instances européennes. Au point que notre Cour de cassation vient de renverser sa jurisprudence en décidant que la maltraitance des détenus ne serait plus sanctionnée par des dommages intérêts à leur profit, mais de façon radicale par …leur élargissement ! Sans commentaire.
Il manque au moins 15.000 places de prison. Le dernier budget de la présidence Sarkozy – 2012 -avait prévu d’affecter 3 milliards à la construction de prisons. Ils ont été annulés par la présidence Hollande, et depuis on ne cesse de retarder l’échéance – ce serait maintenant 2027. Pour le moment, on a recours à des expédients : peines mineures (jusqu’à 2 ans quand même) non exécutées, élargissement des détenus…Faudrait-il en arriver à ce que fait la Belgique, faire exécuter les peines dans les prisons hollandaises ?
La modernisation des tribunaux et la numérisation de la Justice.
Il ne manque pas de magistrats en France. Rappelons quand même que les magistrats professionnels sont minoritaires en France, et les seuls à être rémunérés. Ils sont environ 15.000 magistrats du siège, plus environ 1.100 procureurs, contre 21.000 magistrats bénévoles (tribunaux de commerce, prud’hommes etc.), ce qu’il faut souligner pour les en remercier.
En revanche, la pénurie de greffiers est notable dans beaucoup de juridictions, d’où des délais considérables pour obtenir la copie exécutoire d’une décision (le tribunal de Bobigny est champion à ce propos). Certes, le Palais de Justice de Paris a déménagé et fait l’objet d’investissements importants, mais ce n’est pas le cas dans les autres circonscriptions judiciaires, où la grande vétusté règne.
L’aide juridictionnelle.
Elle a toujours été en France le parent pauvre de la Justice. La comparaison avec le Royaume -Uni est édifiante.
Il existe en France une véritable discrimination à l’encontre des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, à laquelle le caractère pitoyable de la rémunération des avocats n’est pas étranger.
L’indépendance de la Justice et la réforme de la magistrature.
Il y a là un ensemble de problèmes qui constituent le cœur de l’action évoquée par Eric Dupond-Moretti, qui lui sont dictés par son expérience d’avocat pénaliste. Certes on pourra peut-être lui reprocher de ne voir les problèmes qu’à travers les lunettes grossissantes de la procédure pénale, qui est loin de représenter le principal de la Justice. Cela dit ne le condamnons pas d’avance. Il reste aussi à savoir quelle est la mission que lui ont donné le Président et le Premier ministre.
L’indépendance de la Justice, le nouveau ministre en a une conception bien ancrée. Il s’agit de la séparation entre la magistrature du siège et celle du Parquet. « La Cour d’assises, c’est quand même le seul endroit au monde où l’arbitre et le président portent le même maillot! Ils sont au même niveau, ils sont collègues », disait-il dès 2014. Pas faux ! Il y a là du pain sur la planche pour le ministre, mais quelle mission a-t-il reçue ?
Les rapports entre magistrats et avocats sont exécrables, et c’est un problème pour le barreau dans son entier et que notre ministre n’a pas inventé ni créé, même si des déclarations comme celle-ci n’ont pas aidé : « Je ne vais pas faire semblant de chanter les louanges de la magistrature : je me méfie de son corporatisme, de sa frilosité, de la détestation qu’elle voue au barreau » (en 2017). Incontestablement, il y a un abcès à crever, même si l’opération risque d’être douloureuse.
Lorsque le ministre plaide pour la suppression de l’ENM (école nationale de la magistrature), il met à juste titre les pieds dans le plat. L’institution est le creuset du corporatisme de la magistrature évoqué dans la déclaration ci-dessus. Rappelons-nous le « mur des cons » dans les locaux du Syndicat de la magistrature…Soulignons aussi qu’au Royaume-Uni la situation est inverse puisque une certaine durée de pratique rend automatiquement les avocats éligibles à la profession de juge devant les cours supérieures, et que la Cour suprême est composée depuis 2017 en partie d’avocats ayant exercé dans des cabinets privés. Notre ministre propose à juste titre en France de remplacer l’ENM par un institut de formation commun aux avocats et aux magistrats.
Il faudra aussi procéder à des réformes de procédure pénale, comme celle permettant d’assurer le secret de l’instruction, très largement méconnu malgré la loi. Le ministre en fait un point essentiel de son action, encore à juste titre.
Mentionnons enfin la question de la responsabilité des juges. Mais là , la tâche paraît insurmontable, sauf à modifier profondément le statut des juges. La question avait fait l’objet de débats nourris à l’occasion de l’affaire Outreau où les décisions injustifiées du (jeune) juge d’instruction avaient fait scandale, et où Eric Dupond-Moretti s’était illustré. Mais jamais les députés n’avaient pu trouver une formulation législative correcte, et leur texte avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Il faut dire que l’Ordonnance de 1958 écarte la responsabilité des juges devant les citoyens assez radicalement : « Les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de leurs fautes personnelles. La responsabilité des magistrats qui ont commis une faute personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’Etat. Cette action récursoire est exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation ».
Notre ministre a cependant indiqué vouloir réformer l’Ordonnance de 1958. Projet très ambitieux…
Les travaux de notre ministre ne sont peut-être pas douze pour 600 jours d’action. Ils sont néanmoins de nature à bousculer très sérieusement l’institution. Nous voici probablement avec un Garde des Sceaux non consensuel, pour la première fois depuis longtemps. Tant mieux !
2 commentaires
Insuffisant
Il manque la modification des textes et jurisprudence sur le mode d administration des preuves avec la sauvegarde des victimes en ligne de mire ,pas l inverse .cela suppose aussi une coordination avec la police et l emploi de nouveaux moyens technologiques à apporter aux forces de l’ordre caméras,encre indélébile .drones pour que la justice ne soit pas tentée de continuer à dire conformément à la loi vous ne apportez pas la preuve que ce monsieur est un casseur .Et pour terminer appliquer systématiquement des peines de travaux d intérêt général à tous les délinquants même et surtout mineurs Car c est sentiment d impunité qui encourage la violence .a un moment donné il faut cesser d’invoquer les grands principes il faut juste agir
50% de juges élus !
Sans passer par l’École "Supérieurement déformante" de la Magistrature* . . . Dans le vivier des avocats attestant d'au moins 5 années de la pratique des prétoires
* marxisante ?