La cinquième édition de la chronologie des médias doit prochainement être signée au ministère de la Culture. Las, ce parangon de réglementation à la française ne convainc ni les plateformes de diffusion ni les producteurs et pourrait être préjudiciable aux programmations cinématographiques et télévisuelles.
Les producteurs et diffuseurs accusent Netflix, Amazon Prime et autres plateformes de diffusion de tuer le cinéma non-américain. Pour les contrer, le gouvernement et les chaînes de télévision tentent de leur imposer des réglementations byzantines. Si la chronologie des médias est supposée être un accord interprofessionnel, la réalité semble moins heureuse. Warner Bros Télévision France ne participe pas aux négociations, Disney comme la société des auteurs et compositeurs dramatiques ne comptent pas la signer, Netflix préfère un accord bilatéral avec les professionnels du cinéma. Loin d’aider les cinémas, cette réglementation pousse les producteurs à les déserter.
La France une nouvelle fois championne des réglementations
La chronologie des médias n’est pas une exception française. En 1989, la Convention européenne sur la télévision transfrontière, CETT, interdisait que toute œuvre cinématographique soit diffusée sur un service de radiodiffusion moins de deux ans après sa sortie en salle, même si elle était co-produite par l’un de ces services. Cette règle fut assouplie en 1997, laissant les Etats légiférer. L’Espagne et le Portugal ont mis en place des accords sectoriels, la Bulgarie un cadre général et l’Italie a inscrit dans la loi certaines règles déjà en œuvre. C’est la France qui obtient la palme du pays le plus contraignant. Non seulement elle maintient ce délai de deux ans, mais elle impose aussi quatre mois de battement entre la sortie du film en salle et sa sortie en DVD, contre quarante-cinq jours dans la plupart des autres pays.
Cette dernière interdiction est censée favoriser la fréquentation des cinémas, qui rapportent plus que la vente de DVD et la diffusion télévisuelle, en enjoignant les Européens à aller dans les salles obscures pour voir au plus tôt les films qu’ils attendent. Une décision qui méconnaît les aspirations des consommateurs qui n’achètent pas leur billet pour profiter plus tôt d’un film, mais pour bénéficier d’une expérience différente de celle du petit écran. C’est ce que l’on a observé dans les années 2010 avec le développement de la 3D, qui a augmenté le nombre d’entrées. Favoriser le cinéma passe donc par une libération de ses modes d’exploitation qui permettrait des innovations cinématographiques. Les gouvernements pourraient également baisser les taxes sur les billets qui, dans certains pays comme l’Espagne, peuvent être particulièrement élevées, donc dissuasives.
Quand la réglementation française profite au piratage plutôt qu’au cinéma
En France, les législateurs ont une grosse tendance à se baser sur les exceptions, au lieu d’établir une loi générale assez flexible pour s’adapter aux cas particuliers. Le délai de mise sur le marché des DVD pourrait par exemple être plus long pour les films restant plus d’un mois à l’affiche, ce qui est rare.. Conséquence de trop longs délais, le piratage fait ses choux gras d’une réglementation irréaliste : un bestseller comme Spiderman: No Way Home, sorti fin 2021, est déjà disponible sur certains sites de streaming illégaux. En effet, pendant les quatre mois qui séparent la sortie du film en salle et sa sortie en DVD, il n’existe aucune autre solution que le piratage pour le voir. Les plateformes légales de vidéo à la demande, comme Netflix ou Disney +, ne peuvent le diffuser qu’un an et demi après sa sortie en salle, contre trois mois aux Etats-Unis. Ces derniers semblent s’adapter plus aisément aux évolutions des modes de consommation : entre 2012 et 2018, le délai moyen entre l’exploitation en salles et l’exploitation en vidéo à la demande est passé de dix-sept à douze semaines.
Quant aux chaînes de télévision, elles ne peuvent diffuser les films que près de deux ans après leur sortie en salle, exception faite de Canal Plus, qui n’attend « que » six mois. Ce qui évidemment pénalise les chaînes de télévision gratuites. TF1 essaie obtenir pour elle l’exclusivité de diffusion de certains films, mais un film produit par Disney ne pourrait pas se retrouver sur Disney +, sa propre plateforme, avant deux ans ! Une condition inacceptable qui met en danger les salles de cinéma françaises, car Disney envisage, pour contourner l’interdiction, de leur proposer moins de films.
L’Europe est enserrée dans une réglementation trop étriquée, et la France plus particulièrement. Elle a oublié qu’elle est le pays des innovations et que ce sont ces dernières, bien mieux que des lois toujours plus contraignantes, qui permettent de faire jeu égal avec les plus grands. La fréquentation des cinémas dépend des films qu’on y passe, pas des délais après lesquels ils sont disponibles en DVD ou à la télévision. Elle dépend des sensations nouvelles qu’ils peuvent offrir, radicalement différentes de celles du petit écran. C’est par l’innovation qu’émergeront de nouveaux modes de consommation des films et séries. Il est temps de cesser de se plaindre de Netflix ou de chercher à le copier. Il est temps d’inventer de nouveaux modes technique et commerciaux d’exploitation comme les Européens savent le faire quand ils en ont la liberté.
3 commentaires
Réglementation ou qualité du produit rendu ? Ce n’est pas la règlementation qui fait que certaines productions ne sont pas regardées.
Nous détenons en France le record absolu de l’incompétence du fait de la règlementation imbécile qui concerne tous les secteurs. L’ état représente la plus grande des catastrophes !
Le domaine du cinéma n’est pas épargné par la connerie de nos gouvernants.
Qu’attendent les Français pour virer ce monstre étatique, privatiser le système, et ne conserver que les fonctions régaliennes (armée, police).
Mais il est plus facile de pondre des textes stupides que de s’occuper de la sécurité des Français !?? On tire à balles réelles dans les banlieues ??
Nos compatriotes ont l’avenir de notre Pays entre leurs mains.
Je ne suis pas sur qu’ils en soient conscients ??
J’ai dirigé une maison de production et distribution pendant plus de 10 ans. Déjà le cinéma est un milieu peu recommandable, mais lorsque vous mettez un peu de Macron là-dedans, vous foutez le peu qui reste de cohérent parterre. Les exploitants de salles obscures sont comme les paysans, ils vont être poussés au suicide. S’imagine-t-on les investissements qu’il faut réaliser pour créer un multiplex ? Imagine-t-on quelles sont les exigences des communes, des départements ou des régions, sans parler des avantages dispendieux alloués aux élus (si vous voyez ce que je veux dire) ? Si vous voyez un exploitant de salles réaliser un multiplex aujourd’hui, vous pouvez vous dire avec certitude que c’est un fou. Et s’il vous affirme qu’il n’est pas fou, posez-vous alors les bonnes questions. Cherchez à qui profite le crime ou si vous préférez : « qui est dépouillé », le contribuable bien sûr.