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Quels seraient les pouvoirs constitutionnels d’Emmanuel Macron en cas de cohabitation ?

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Lorsque le président de la République ne dispose plus d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, a fortiori d’une majorité relative, la lecture des institutions change.

Un régime politique exceptionnel

Le régime de la Ve République est, on peut le dire, unique au monde : c’est le seul régime parlementaire à présidence (très) forte. Certes, il existe quelques pays européens dans lesquels le chef de l’État se trouve lui aussi élu au suffrage universel direct, mais, pour des raisons liées essentiellement au système des partis, il ne bénéficie pas pour autant de pouvoirs effectifs importants.

Le paradoxe, c’est que le Président français est tout puissant, mais que sa puissance présuppose de disposer d’une majorité stable à l’Assemblée nationale.

Un Président qui demeure puissant en cas de cohabitation

Même si le Président se trouve confronté à une majorité hostile de députés, il n’en est pas pour autant réduit à la portion congrue. En effet, les institutions ont été justement pensées par le général de Gaulle et ses proches pour faire face à ce type de cas, même si la « divine surprise » de 1962 a permis au chef de l’État de pouvoir compter, après la dissolution consécutive à la motion de censure du gouvernement Debré, sur une majorité parlementaire absolue.

Ce n’est pas un hasard si l’ordre des titres de la Constitution a été bouleversé. Sous la Ve République, après un titre I consacré à la souveraineté, le titre II ne traite pas du Parlement, mais du président de la République. Plus largement, la fonction exécutive passe devant la fonction législative.

En cas de cohabitation ou de coexistence, les pouvoirs du chef de l’État ne s’évanouissent pas. L’article 5 dispose qu’il « veille au respect de la Constitution », ce qu’Emmanuel Macron n’a pas manqué de rappeler à plusieurs reprises après le second tour des élections législatives. « Il assure, poursuit l’article, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». Des attributions assez générales, mais qui sont loin d’être anodines : elles témoignent du poids du Président tant dans les affaires intérieures qu’extérieures de l’État, et elles se présentent comme une réaction au président « pot de fleurs » des républiques précédentes.

Le chef de l’État dispose de pouvoirs propres en vertu de l’article 19, c’est-à-dire dénués de l’obligation de contreseing du Premier ministre ou d’un ministre, à commencer par le pouvoir de librement nommer un Premier ministre (n’en déplaise aux thuriféraires de La France Insoumise), de soumettre un projet de loi au referendum, de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale (comme Emmanuel Macron l’a fait au mois de juin, étant précisé qu’il ne peut en prononcer une nouvelle avant un délai de douze mois, leçon tirée de la fin de la monarchie de Juillet), exercer des pouvoirs de crise, communiquer avec le Parlement, saisir le Conseil constitutionnel d’un engagement international ou d’une loi, nommer trois de ses membres et son Président.

Des pouvoirs entremêlés

Le chef de l’État dispose également de pouvoirs partagés avec le Premier ministre et éventuellement les ministres responsables, mais surtout il est titulaire d’attributions qui s’entremêlent avec celles du Premier ministre ou du gouvernement, étant rappelé qu’il préside le conseil des ministres.

Il signe les ordonnances et on se souvient de la polémique ouverte par François Mitterrand au début de la première cohabitation avec Jacques Chirac en 1986 à cet égard.

Il est le chef des armées et il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale, mais c’est le gouvernement qui dispose de l’administration et de la force armée, et c’est le Premier ministre, dont les attributions sont peu développées par la Constitution, qui est « responsable de la défense nationale ». En théorie, il est bien délicat de démêler l’écheveau de ces responsabilités croisées. Notons que la Constitution ne parle pas de l’arme atomique, ce qui ne saurait surprendre puisque les premiers essais sont ultérieurs, et c’est un simple décret de 1964 qui, à l’origine, a donné le rôle de commandement des forces aériennes stratégiques, c’est-à-dire à l’époque de la force de frappe nucléaire, au chef de l’État. Il est donc faux de prétendre qu’il n’ait qu’un rôle « honorifique » en matière militaire, comme avait pu maladroitement le déclarer Marine Le Pen avant le premier tour.

Par ailleurs, le Président accrédite les ambassadeurs et les ambassadeurs étrangers sont accrédités auprès de lui. Ses pouvoirs en matière d’affaires étrangères lors d’une cohabitation ne sont pas réglés par la Constitution, d’autant plus que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation. Mais la pratique de la cohabitation a consacré la primauté présidentielle en la matière et on se souvient là encore de l’humiliation vécue par Jacques Chirac lors de la première cohabitation. En pratique toujours, le chef de l’État dispose d’un droit de regard (exercé en 1986 par Mitterrand, qui décidément a donné le pli aux cohabitations successives) sur les noms des ministres des Armées et des Affaires étrangères lors de la constitution du gouvernement de cohabitation puisqu’il est amené à traiter ensuite quotidiennement de ces domaines avec eux. Les relations ont d’ailleurs été assez fluides dans les faits.

En pratique toujours, le Président possède peu de pouvoirs réels en politique intérieure, sauf période de crise pour juguler le spectre du Président Lebrun en 1940. Ses pouvoirs sont surtout effectifs en matière internationale : défense, Europe et affaires étrangères. Ce partage du pouvoir convient en définitive à tout le monde : au Premier ministre qui dirige l’action du gouvernement et qui ainsi dispose des quasi-pleins pouvoirs, sous réserve de disposer d’une majorité parlementaire, pour mettre en application son programme en politique intérieure ; au Président de la République qui se situe au-dessus des partis et qui se préserve de l’impopularité attachée à la gestion quotidienne du pays ; à la population qui, du moins à court terme, a été par le passé plutôt satisfaite par ce bicéphalisme à la tête de l’État.

Mais n’oublions pas surtout que si, en pratique, les Présidents de la République ont préservé une partie non négligeable de leurs pouvoirs lors des cohabitations, c’est parce que les Premiers ministres successifs, par tactique ou du fait de leur caractère, n’ont pas voulu entrer avec lui dans une épreuve de force (on se souvient du débat Barre-Chirac avant les élections de 1986 à ce sujet). En effet, ils lorgnaient l’Elysée, même si la réussite n’a pas été au rendez-vous pour leurs ambitions, et il n’était donc pas de leur intérêt d’affaiblir outre mesure le chef de l’État…

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