Pour la nième fois depuis 1971, la formation professionnelle va donc être réformée. Muriel Pénicaud, ministre du travail, annonce un « big bang ». Est-ce vraiment le cas ? Derrière les grands mots ne se cache-t-il pas plutôt, une fois de plus, une politique des petits pas ?
I. Introduction
Muriel Pénicaud, ministre du travail, a annoncé un « big bang » de la formation professionnelle. Un projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres le 25 avril 2018. Précisons que le texte, long de 67 articles, s’attaque à d’autres sujets, tels l’apprentissage et l’assurance chômage. Nous ne nous intéresserons ici qu’au volet « formation professionnelle » de la réforme.
II. Petit rappel historique
La formation professionnelle existait bien avant – avec notamment le préambule de la Constitution de 1946 qui évoque le droit à la formation professionnelle –, mais c’est généralement la loi de 1971, dite loi Delors, qui est admise comme fondatrice en France. Elle résulte d’un accord national interprofessionnel (ANI) de 1970, lui même issu des accords de Grenelle de 1968 qui prévoyaient une négociation sur la formation professionnelle.
Cette loi de 1971 introduit notamment une obligation pour les entreprises de plus de dix salariés de dépenser l’équivalent de 0,8 % de leur masse salariale pour la formation continue de leurs salariés.
Depuis cette date, de nombreuses lois en 1984, 1990, 1991, 1993, 2000, 2004, 2009 et 2014 ont ajouté des obligations de toutes sortes. Notamment, la cotisation obligatoire des entreprises à la formation a été étendue à toutes les tailles d’entreprise et a été répartie entre plusieurs objectifs. Quant au taux de cette cotisation, il a subi de très nombreuses variations le plus souvent à la hausse, mais aussi à la baisse ces dernières années.
III. Une contribution obligatoire, pour quoi faire ?
Aujourd’hui, les entreprises de moins de 11 salariés sont assujetties à un taux de 0,55 % de la masse salariale. À partir de 11 salariés, le taux est de 1 %. Derrière ces taux se cachent plusieurs contributions dont les objectifs sont très différents les uns des autres.
+III.1. Le plan de formation+
La première contribution est celle consacrée au plan de formation des entreprises. Le plan de formation regroupe les actions de formation visant à adapter les salariés à leur poste de travail et à l’évolution de celui-ci, et celles visant à développer les compétences des salariés. Ce plan de formation est élaboré par l’employeur, après consultation des représentants du personnel.
A l’origine, les entreprises avaient une obligation de dépenser pour leur plan de formation. Si elles ne dépensaient pas les sommes imposées, elles devaient les verser à un organisme collecteur ou au Trésor public selon les situations. Cette obligation de dépenses a été définitivement supprimée par la loi de 2014.
Pourtant une part de la contribution obligatoire des entreprises reste aujourd’hui affectée au plan de formation : 0,40 % de la masse salariale pour les entreprises de moins de 11 salariés ; 0,20 % pour celles de 11 à 49 salariés ; 0,10 % pour celles de 50 à 299 salariés. Les entreprises de 300 salariés ou plus n’y sont plus assujetties.
Cette contribution – comme toutes les autres – est versée à un organisme paritaire collecteur (OPCA) qui la mutualise, et aide ensuite au financement de certaines actions estimées prioritaires par la branche professionnelle.
+III.2. Les actions de professionnalisation+
Sous cette dénomination, on trouve les contrats et les périodes de professionnalisation. Tous deux sont des formations en alternance dans l’entreprise. Le contrat de professionnalisation est destiné aux jeunes de moins de 26 ans, aux demandeurs d’emploi et aux bénéficiaires des minima sociaux. La période de professionnalisation est ouverte aux salariés de l’entreprise. Elle leur permet d’adapter et d’étendre leurs compétences afin d’éviter un licenciement.
Les entreprises de moins de 11 salariés cotisent à hauteur de 0,15 % de la masse salariale ; celles de 11 à 299 salariés à hauteur de 0,30 % ; et celles de 300 salariés ou plus à hauteur de 0,40 %.
+III.3. Le congé individuel de formation (CIF)+
Les entreprises de moins de 11 salariés ne cotisent pas au titre du CIF. Celles de 11 à 49 salariés payent une contribution équivalente à 0,15 % de leur masse salariale ; celles de 50 salariés ou plus une cotisation de 0,20 %.
La contribution des entreprises au titre du CIF est mutualisée et permet de financer les formations demandées par les salariés, la plupart du temps sans rapport avec leur activité professionnelle dans l’entreprise puisqu’elles visent une reconversion.
+III.4. Le compte personnel de formation (CPF)+
Toutes les entreprises contribuent au même taux pour le CPF, à savoir 0,20 % de la masse salariale.
Le CPF, alimenté en heures – dans la limite de 150 heures en 7,5 ans – est utilisable par un salarié, tout au long de sa vie active, pour suivre une formation qualifiante.
La contribution de l’entreprise – qui en réalité va bien au-delà des 0,20 % de la masse salariale puisqu’elle « donne » entre 12 et 24 heures par année de travail – sert ensuite à l’OPCA pour financer les frais de formation.
+III.5. Le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP)+
Derrière ce nom et cet acronyme empestant la bureaucratie se cache un organisme visant essentiellement à financer la formation de demandeurs d’emploi et de personnes en insertion. Une part de ses financements est cependant destinée aux salariés des entreprises qui connaissent des mutations économiques ou des situations d’activité partielle.
Les entreprises de moins de 11 salariés ne contribuent pas au FPSPP. Celles de 11 à 49 salariés contribuent à hauteur de 0,15 % de leur masse salariale ; et celles de 50 salariés ou plus à hauteur de 0,20 %.
Ce détour par la taxe qui pèse sur les entreprises et ses différents objectifs a pu paraître fastidieux, mais il éclaire néanmoins, et beaucoup plus que les longs discours idéologiques sur les bienfaits de la formation, la réalité de la formation professionnelle aujourd’hui.
IV. La réforme envisagée par le gouvernement
Muriel Pénicaud ne présentera son projet de loi que le 25 avril 2018, mais nous en connaissons d’ores et déjà les grandes lignes. En effet, douze mesures ont été présentées à la presse le 5 mars. Nous les avons regroupées en quatre points principaux :
+IV.1. Renforcement du CPF+
Le crédit d’heures – plafonné à 150 heures – est supprimé et remplacé par un versement annuel de 500 euros (800 euros pour les non qualifiés) versés sur le CPF de chaque salarié, dans la limite de 5 000 euros (8 000 euros pour les non qualifiés).
Afin d’aider les salariés à « dépenser » cette somme, une application mobile sera créée. Elle leur permettra de connaître l’état de leur compte, choisir une formation, s’y inscrire et la payer directement. De même, un conseil en évolution professionnelle sera mis en place dans chaque région pour permettre aux salariés d’évaluer leurs compétences, définir leur projet professionnel, de s’informer sur les formations disponibles.
+IV.2. Maintien de la cotisation+
La cotisation de 1 % de la masse salariale perdure (0,55 % pour les entreprises de moins de 11 salariés).
Cette taxe continuera à être divisée en plusieurs contributions : une partie concernera les chômeurs (FPSPP), une autre le CPF, une troisième part l’alternance, et la dernière partie le plan de formation.
Concernant le plan de formation, toutes les entreprises cotiseront (même celles de plus de 300 salariés, aujourd’hui non assujetties). Les sommes seront mutualisées pour n’être utilisées que par les entreprises de moins de 50 salariés.
+IV.3. Allègement des obligations sur le plan de formation+
Les entreprises ne seront plus contraintes de construire leur plan de formation en fonction de catégories : adaptation au poste de travail, évolution ou maintien dans l’emploi, développement des compétences, etc.
De même la définition de l’action de formation sera revue afin de s’adapter aux nouvelles façons de former (Moocs, digital learning, etc). L’innovation pédagogique devrait en être facilitée. La formation en situation de travail devrait également être simplifiée.
+IV.4. Création de nouveaux organismes+
Les organismes paritaires collecteurs des fonds de la formation (OPCA) vont disparaître au profit « d’opérateurs de compétences ». Ces nouveaux organismes ne collecteront plus les cotisations des entreprises, mais seront chargés d’anticiper la transformation des métiers et élaborer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ils aideront aussi les entreprises à bâtir leur plan de formation.
Les « opérateurs de compétences » devraient être moins nombreux que les actuels OPCA, et être mis en place autour de grandes filières économiques.
Ce sera l’URSSAF qui collectera la taxe formation à la place des OPCA.
Par ailleurs, une nouvelle agence France Compétences sera créée pour remplacer trois instances actuelles : le FPSPP, le CNEFOP (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles) et le COPANEF (Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation). Cette agence régulera le prix et la qualité de la formation, et assurera la péréquation interprofessionnelle en matière d’alternance et de plan de formation pour les entreprises de moins de 50 salariés. Elle sera composée de l’État, des partenaires sociaux et des régions.
V. Quelques commentaires sur le projet de réforme
Certaines des mesures vont assurément dans le bon sens, comme la simplification portant sur le plan de formation, ou le passage du CPF en heures au CPF en euros. Les formations d’une même durée n’ont pas en effet le même coût, selon leur niveau et leur contenu. La réforme permettra d’y voir plus clair.
La suppression des OPCA, dont les frais de fonctionnement sont élevés et qui financent allègrement les organisations patronales et les syndicats de salariés est également une bonne chose. Ainsi que le regroupement des FPSPP, CNEFOP et COPANEF.
Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là. Car, si les OPCA disparaissent, c’est pour mieux renaître dans des « opérateurs de compétences » aux objectifs encore flous. Surtout, confier la collecte de la taxe formation à l’URSSAF est une très mauvaise nouvelle. Ce monstre tentaculaire et froid est, en effet, la source de nombreux tracas pour les chefs d’entreprise.
La création d’une nouvelle agence France Compétences laisse également perplexe. Cette agence viendra s’ajouter à l’application mobile et au conseil en évolution professionnelle. C’est plutôt une nouvelle « usine à gaz » étatique qui est en train de se créer. Comme si le marché d’une part, et le monde associatif (y compris syndical et patronal) ne pouvaient offrir ce type de prestations.
Quant à la cotisation formation, elle n’est pas diminuée. Sa complexité perdure même. Et les grandes et moyennes entreprises (à compter de 300 salariés) seront de nouveau contraintes de financer la formation des salariés des plus petites (moins de 50).
VI. Ce qu’il aurait fallu faire
Un vrai « big bang » de la formation professionnelle aurait été bien plus loin dans l’allègement des obligations pesant sur les entreprises et sur leur responsabilisation.
Une réforme digne de ce nom aurait porté sur la cotisation des entreprises. On se demande, en effet, pourquoi l’État s’occupe du plan de formation des entreprises. Celles-ci ne sont-elles pas suffisamment responsables pour, en la matière, faire ce que bon leur semble ? D’ailleurs, nombre d’entre elles considèrent la formation continue comme un investissement et y consacre d’importants budgets, y compris les plus petites d’entre elles.
Il est vrai que certains chefs d’entreprise ne considèrent pas cet investissement comme utile et n’y consacrent que peu d’argent. Et alors ? N’est-ce pas de leur responsabilité ? N’est-ce pas un choix stratégique et managérial dont l’État devrait être exclu ? D’ailleurs qui dit que ces responsables ne forment pas leurs salariés en direct sur le chantier, dans l’atelier ou le bureau ?
On peut aussi s’interroger sur la partie de la taxe consacrée à la formation des chômeurs. Les entreprises et les salariés cotisent déjà pour le chômage. Une partie de cette somme ne devrait-elle pas être réservée à la formation ? Les salariés qui se retrouvent au chômage devraient pouvoir choisir entre une allocation versée pendant deux ans (comme c’est le cas aujourd’hui) et une allocation versée pendant une durée plus courte assortie d’une formation. On pourrait également imaginer que les entreprises qui recrutent un demandeur d’emploi recrutent celui-ci en alternance pour le former.
De même, le financement du CPF (et du DIF dont on ne parle pas dans le projet gouvernemental) ne devrait plus être à la charge des entreprises mais des salariés. Ceux-ci devraient pouvoir choisir de cotiser librement pour leur formation de reconversion à un organisme de leur choix, ou simplement d’épargner et ensuite financer une formation sur leurs deniers propres.
Quant à la contribution destinée à l’alternance, elle devrait être décidée librement au niveau des branches professionnelles afin de former les professionnels dont les entreprises ont besoin et palier ainsi aux carences de l’Éducation nationale.
En résumé, il pourrait ne plus exister qu’une cotisation destinée aux formations en alternance, si la branche le décide (et qui pourrait d’ailleurs être regroupée avec la cotisation destinée à l’apprentissage sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article).
La suppression des autres parts de la cotisation rendrait donc inutiles tous les organismes de régulation ou de péréquation. Sans financement obligatoire, le prix des formations devrait baisser.
Quid des mauvais organismes et des mauvaises formations ? Un Tripadvisor verrait sûrement le jour. Et les syndicats de salariés et les organisations patronales pourraient là rendre un service utile à leurs adhérents.
VII. Conclusion
La réforme projetée par le gouvernement ne simplifie que modestement la vie des entreprises, et elle ne réduit nullement la taxe due par les entreprises pour la formation professionnelle. Surtout, elle l’étatise encore un peu plus.
Il aurait fallu au contraire libérer les entreprises et les responsabiliser. C’est en effet aux dirigeants de choisir si l’investissement dans la formation continue est utile et permet de renforcer la performance de leur entreprise. Ce n’est sûrement pas à l’État qui devrait se concentrer sur la performance de ses fonctionnaires et sur ses déficits publics.
1 commenter
Encore une erreur !
C'est exactement ce qu'il ne fallait pas faire..! confier à l'état incompétent la "refonte" de la formation professionnelle.
L'état ne sait rien faire sauf créer des usines à gaz technocratiques prévues pour dilapider des milliards d'euros réglés par les entreprises et les contribuables pour n'aboutir, finalement, à aucun résultat.
Voir le niveau du chômage qui ne baissera pas. (ne pas écouter les chiffres trafiqués)…
J'extrais ci-après de votre texte un paragraphe qui en dit long..!
"La suppression des OPCA, dont les frais de fonctionnement sont élevés et qui financent allègrement les organisations patronales et les syndicats de salariés est également une bonne chose. Ainsi que le regroupement des FPSPP, CNEFOP et COPANEF.
Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là. Car, si les OPCA disparaissent, c’est pour mieux renaître dans des « opérateurs de compétences » aux objectifs encore flous. Surtout, confier la collecte de la taxe formation à l’URSSAF est une très mauvaise nouvelle. Ce monstre tentaculaire et froid est, en effet, la source de nombreux tracas pour les chefs d’entreprise."
N'oubliez jamais; dans URSSAF, vous avez URSS…!
Que faire ?
Simplement baisser massivement les prélèvements, taxes et autres impôts imbéciles, et laisser les entreprises, seules, gérer cette formation.
Une entreprise, à condition de la défiscaliser, est largement capable d'engager des "apprentis" de tous âges, dans tous les domaines d'activité, et ainsi assurer une véritable formation efficace; les intéressés pourraient choisir la branche qui les intéresse au lieu de perdre leur temps dans des formations étatiques inutiles et hors de prix, gérées par des crétins dont l'unique but est de se remplir les poches sur le dos des entreprises et des contribuables.
Et interdire à l'état d'évoquer ces questions.