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Services numériques : au lieu de taxer, mieux vaudrait alléger !

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Dans un message que vous nous avez adressé mardi dernier et par un article publié dans la presse (Le Figaro du 23 octobre), vous nous faites part de votre décision de (re)partir en croisade contre les GAFA. Vous écrivez n’avoir rien contre eux, mais vous souhaitez adopter à court terme, « dans l’attente d’une solution globale de l’OCDE », une taxe européenne sur les services numériques (TSN) égale à 3% de leur chiffre d’affaires réalisé en Europe pour compenser leur faible imposition sur les bénéfices, sur le territoire des pays de l’Union européenne.

Selon les chiffres que vous donnez, ces grandes entreprises du numérique sont imposées à un taux de 14 points inférieur à celui auquel sont soumises les entreprises similaires d’autres secteurs, soit 9 % en moyenne contre 23 % pour les entreprises comparables fonctionnant selon un modèle économique classique.
Mais n’est-il pas normal que l’entreprise étrangère qui ne fait que vendre un produit en France, sans installation particulière à cet effet, génère moins de marge imposable que l’entreprise française qui fabrique et vend en France ?
Pour sa part, le ministre allemand des Finances, Olaf Sholz, évoque le défi que représentent tous les nouveaux « modèles économiques comme la vente de biens et de services sur internet [qui] permettent indépendamment du siège d’une entreprise, de contacter directement les clients et de conquérir des marchés ». Et il propose « un taux d’imposition minimum au niveau mondial ». Les Etats sont fébriles face au risque que leurs recettes soient amputées d’autant. Déjà l’OCDE et la Commission européenne travaillent sur le sujet pour trouver des parades.

Les impôts d’opportunité ne sont pas souhaitables

La question peut légitimement se poser de savoir, Monsieur le Ministre, si les entreprises doivent ou non être imposées, car en définitive, ce sont toujours les personnes physiques qui payent l’impôt dont les entreprises tiennent compte dans leur prix. Mais il est vrai aussi qu’il ne serait pas normal que des entités, quelles qu’elles soient, puissent accumuler des produits exonérés d’impôt, comme les biens de main morte sous l’Ancien Régime.
Pour autant la plus élémentaire justice veut que tous les contribuables placés dans des situations semblables soient taxés selon les mêmes méthodes et les mêmes principes. Toute politique du cas par cas aboutit à un dispositif inextricable, incompréhensible et injuste. La France pourtant, -même si elle n’est pas la seule-, continue de créer des taxes nouvelles et des niches non moins nouvelles à chaque problème qu’elle rencontre. Et plus le système fiscal devient dense et complexe, plus il s’affaiblit face aux fraudeurs. C’est ce que vient d’illustrer le « casse » du « Cumex » qui aura permis aux fraudeurs de subtiliser, en 15 ans, 55 milliards d’euros à plusieurs pays européens, au travers de remboursements indus de crédits d’impôts sur les dividendes d’actions qu’ils faisaient changer de mains plusieurs fois en très peu de temps le jour du détachement du coupon. Il aurait peut-être suffi, pour éviter ce scandale, de demander à chaque bénéficiaire de tels remboursements un certificat original de détention signé de l’entreprise émettrice. Mais les législateurs ne savent plus rédiger et les techniciens de Bercy se noient dans les détails.
Il existe déjà en France, et plus largement en Europe, tout un arsenal pour lutter contre la fraude qui pourrait être utilisé, voire amélioré, si l’on considère que les bénéfices réalisés en France par les entreprises numériques sont sous-imposés : remise en cause des prix de transfert, remontée de dividendes vers des pays localisés dans des paradis fiscaux…

A chaque pays de trouver les bonnes réponses, le cas échéant dans le cadre d’une concertation avec d’autres, que ce soit au niveau européen ou à celui de l’OCDE. Le Parlement européen a proposé, lors de son examen du projet d’assiette commune de l’impôt sur les sociétés, de créer des établissements stables numériques dès lors qu’il y aurait plus de 5 millions en valeur de données collectées. Pourquoi pas, s’il s’agit de modifier les critères de définition des établissements stables applicables à toutes les entreprises ?
Mais dans tous les cas, il faudra alors réviser les conventions entre Etats qui prévoient la définition des établissements stables. Et ça n’est jamais une mince affaire. Au demeurant, la vraie question restera toujours de savoir quelle est la valeur de l’apport intellectuel et incorporel qui peut légitimement justifier un prix ou une redevance à payer à une société étrangère qui concède les droits y afférents et quelle est la valeur du service produit dans le pays de vente. Il est logique que ce dernier soit généralement beaucoup plus faible dès lors qu’il ne s’agit que de la collecte des clients.

Chaque pays doit garder sa souveraineté fiscale

Monsieur le Ministre, imaginer un impôt minimum mondial, c’est ouvrir la voie à un Léviathan mondial et c’est aussi favoriser des ententes entre Etats au détriment des contribuables, car la concurrence entre Etats est aussi bonne pour les contribuables qu’elle est bonne entre entreprises pour les consommateurs.
Taxer différemment et spécifiquement les entreprises numériques, c’est succomber à la discrimination en violation de l’égalité devant l’impôt. C’est aussi attenter sans doute à la croissance d’entreprises françaises pour vouloir faire mal à quelques grandes entreprises étrangères.
Il vaudrait mieux faciliter la vie des entreprises et alléger leur fardeau pour que d’autres géants français et européens du numérique puissent se développer.
Méfions-nous toujours de vouloir substituer la morale à la justice pour régler les affaires de l’Etat. La confusion des ordres conduit au désordre.

Jean-Philippe Delsol

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