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Le protectionnisme ne peut être ni intelligent ni solidaire

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La campagne présidentielle est décidemment bien affligeante. Comme l’écrivait Nicolas Lecaussin après le grand débat, l’impression est d’être en 1917 et pas en 2017. Un parfum de collectivisme flotte de manière assez nauséabonde, sans que cela émeuve grand monde. Et, au-delà d’une « politique du père Noël » consistant à distribuer toujours plus dans la logique d’un étatisme éculé, il y a un point sur lequel les collectivistes de droite comme de gauche se rejoignent joyeusement : le protectionnisme. Pour Madame Le Pen il est urgent de mettre en place des mesures de « protectionnisme intelligent » ou « réfléchi ». Pour Monsieur Mélenchon il s’agirait d’un protectionnisme « solidaire ».

Le protectionnisme peut-il être intelligent ?

Évidemment, à la lumière de l’expérience historique, il est déjà difficile de ne pas voir dans l’expression une mauvaise blague. Faut-il en effet rappeler que la signature de la loi protectionniste Smoot-Hawley en 1930 par le Président américain Hoover avait déchaîné une vague de représailles protectionnistes tout autour de la planète. Cette vague avait à son tour non seulement contribué à morceler et contracter le marché mondial, et donc la croissance mondiale, attisant les frustrations sociales, mais aussi alimenté la montée des nationalismes qui menèrent in fine à la deuxième guerre mondiale. « L’intelligence » voudrait qu’on n’oublie pas l’Histoire.

Cette leçon de l’Histoire nous apprend également qu’il est extrêmement difficile d’avoir un protectionnisme « intelligent », c’est-à-dire sélectif, comme dans le cas de la loi Smoot-Hawley, dans le sens où il n’est pas possible d’anticiper et de maîtriser les réactions des partenaires commerciaux. Un effet boomerang, donc : c’est ce que les économistes appellent les « conséquences inattendues » des politiques publiques. Donner l’illusion qu’on maîtriserait « avec intelligence » le processus et qu’on arriverait à neutraliser les représailles des autres pays, est tout simplement mensonger. D’ailleurs le flou de Madame Le Pen sur le contenu « intelligent » de son protectionnisme en dit long sur la question : c’est un slogan vide – et dangereux.

Autre enseignement de l’Histoire, plus récente cette fois-ci. En 2009 l’administration Obama, sous la pression des fabricants de pneus américains, érige des tarifs douaniers punitifs de 35% (contre 4% auparavant) sur les pneus d’origine chinoise. L’argument était évidemment qu’il fallait sauver les emplois dans le secteur aux États-Unis. Une étude du think tank American Enterprise Institute a récemment quantifié le coût des quelque 1200 emplois sauvés : 900 000 $ par emploi en 2011, payés par le consommateur américain. Le protectionnisme américain a consisté à se « faire mal à soi-même » en tant que nation…

Mais bien sûr ces 900 000 $ « donnés » à l’industrie du pneu ont été perdus par d’autres industries ! Ce serait donc plus de 3700 emplois détruits ailleurs. C’est la vieille histoire de la vitre cassée de Frédéric Bastiat… En outre, les producteurs américains de pneus ont-ils été les plus grands gagnants ? Non. Le plus ironique en effet est que ce sont les producteurs « non-chinois », au Mexique et en Asie, qui ont le plus bénéficié de cette baisse de la concurrence chinoise sur le sol américain… « Conséquences inattendue » là encore.

L’économie moderne est fondée sur des chaînes de valeurs internationalisées. Les produits sont des assemblages de composants qui eux-mêmes sont déjà des assemblages de composants. Un tarif douanier sur tel produit composant va en réalité peut-être heurter un producteur national parce qu’un composant « national » n’est pas totalement substituable à ce composant « étranger ». Le degré de complexité des chaînes de valeur est tout simplement ingérable pour un technocrate. Toutes ces questions se ramènent en réalité au problème insurmontable de la connaissance de tout planificateur en définitive. Vous avez dit « intelligence » ?

Le protectionnisme peut-il être solidaire comme le soutient Monsieur Mélenchon ?

Là encore, derrière les belles intentions, il faut regarder la réalité. Évidemment qu’il faut se préoccuper du sort d’ouvriers mal traités dans des pays comme le Bengladesh ou la République Démocratique du Congo. C’est déjà là que les consommateurs et les associations ont leur part à jouer. Mais, de manière sans doute plus importante, c’est à la diplomatie d’agir. Cependant, pour que la diplomatie fasse son devoir, elle doit déjà avoir les idées claires sur les questions économiques…

Les conditions locales de travail exécrables sont liées à un manque de liberté économique et d’état de droit, situation qui permet à quelques entrepreneurs véreux, en connivence avec les politiques, d’étouffer la concurrence et de maintenir des populations dans une sorte de servitude. Cette forme de monopole ralentit ainsi le développement de la majorité de la population contrairement à d’autres pays qui ont commencé au même stade (pensons aux Dragons asiatiques).

Mais arrêter d’acheter à ces pays, ou fortement en diminuer nos importations, n’est pas une solution. Cela revient généralement à jeter les ouvriers en question encore plus dans la misère. Quand les USA ont arrêté d’importer des textiles du Pakistan dans les années 90 parce que les usines embauchaient des mineurs, les adolescents pakistanais qui ne pouvaient plus travailler en usine, ont commencé à se prostituer. Un autre effet boomerang…

Enfin, la solidarité a bon dos : on sait que les producteurs peuvent manipuler l’argument à leur profit. C’est comme cela que la file de ceux qui demandent des protections va s’allonger. En 1930, il n’était au départ question avec le Smoot-Hawley que de protéger quelques produits agricoles. Mais chaque producteur y allant de son lobbying, c’est au final plus de 20 000 produits qui ont été touchés. Au-delà du problème de la connaissance il faut donc également être conscient de celui des incitations, celles des producteurs, qui veulent être protégés, et celles des législateurs qui ont intérêt à choyer leur clientèle électorale. Il est alors facile de plaider la « solidarité » pour faire en réalité passer ses intérêts « égoïstes ».

On le voit : l’intelligence et la solidarité, quand on parle de protectionnisme, peuvent s’avérer trompeuses.

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