Tout dernièrement, Éric Zemmour a été reçu par Alexandre Devecchio lors de l’émission « Esprits Libres » pour débattre avec l’essayiste et la journaliste libéral-conservatrice Laetitia Strauch-Bonart. Parmi les différents points qui y ont été abordés, on notera notamment les suivants :
- Contestant l’idée exprimée par son contradicteur selon laquelle les grandes figures de la réaction du XIXe siècle (de Maistre, Bonald, Maurras) « n’ont pas compris » (sous-entendu les transformations de la société de leur temps), Zemmour répond qu’ « au contraire, ils ont trop bien compris ». « Ils ont compris, poursuit-il, les dangers de l’individualisme », avant d’ajouter : « La vraie question qui est posée depuis les Lumières, même depuis sans doute la Renaissance (…), c’est : jusqu’où aller avec l’individu ? ». Certes, Zemmour admet que l’individu, « c’est l’émancipation, c’est la liberté », et qu’à cet égard il est légitime et souhaitable de le défendre, ce en quoi il a bien évidemment raison. Mais, ajoute-t-il, l’individualisme c’est aussi « la destruction de la société et de tout ce qu’on est ». Ce qui conduit Zemmour à déclarer : « Le wokisme, qu’est-ce que c’est ? C’est l’aboutissement de cet individualisme »… Objectons à Éric Zemmour que c’est en réalité tout le contraire, puisque le wokisme est un collectivisme fondé sur la retribalisation voulue des sociétés occidentales. Pour les wokes en effet, ce n’est pas l’individu qui compte mais la « minorité » à laquelle il appartient : minorité ethnique, LGBT, etc. D’autre part, en ramenant tout à l’opposition « dominants »/« dominés », les wokes font fi du principe même de l’action humaine, qui est à la base même de l’individualisme libéral : en tant qu’être humain, je suis capable de me déterminer moi-même dans une large mesure, dans le sens où je peux me fixer mes propres objectifs dans la vie et m’attacher à les atteindre, dans le respect des droits légitimes d’autrui.
- Zemmour cite en outre le fameux mot de Joseph de Maistre : « Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. », avant de s’interroger : « Qu’est-ce qu’il nous dit ? Il nous dit exactement ce qui nous arrive aujourd’hui : c’est-à-dire qu’on est en train de tuer la France avec une position tellement individualiste, qui considère que tous les migrants du monde entier ne sont que des individus, qui n’ont pas de racines, qui n’ont pas de culture, qui n’ont pas de mœurs ». Or les partisans de l’individualisme libéral n’ont jamais soutenu pareilles idées : pour eux, contrairement aux idées reçues, l’individu n’est pas un atome politique isolé, replié sur lui-même, mais un être social – ce qu’Aristote appelait un zoon politikon. À cet égard, les libéraux ne récusent nullement la nation, laquelle « représente un ensemble de liens sociaux nés de l’histoire et qui s’expriment dans une culture, une langue le plus souvent, parfois une religion commune » (Pascal Salin, Libéralisme, Paris, Odile Jacob, p. 265). D’ailleurs, ainsi que nous l’avons souligné récemment, les membres d’une nation libre devraient toujours pouvoir librement choisir les immigrés qui souhaitent s’y installer, car l’immigration devrait systématiquement relever de la liberté contractuelle, jamais de la contrainte étatique – ce qu’elle n’est pourtant que trop dans la pratique.
4 commentaires
Effectivement on se demande quelle mouche a piqué Zemmour .
Problème de vocabulaire. Pour une grosse majorité des gens, individualisme = égoïsme, et libéralisme = loi de la jungle. Pas de débat possible tant que durera la confusion des termes.
La “pensée” de Zemmour est celle d’un gauchiste repenti : alambiquée, volontairement “complexe” et fatalement pédante.
Cet “homme politique” est un produit médiatique généré par Laurent Ruquier (c’est dire le niveau), tout comme Boyard est un produit médiatique généré par Cyril Hanouna (ibid)
en effet, comme vous dites si bien, le wokisme est un collectivisme néo-tribal… tout le contraire de l’individualisme libéral qui s’adosse à la propriété et non à l’identité… Par ailleurs, le libéralisme repose sur le zoôn politikôn… l’espèce humaine est composée d’individus vivant en communautés politiques particulières. Il n’y a pas d’homme global, pas plus qu’il n’y a d’abeille ou de fourmi globale : comme les autres animaux, l’homme fonde des sociétés particulières souveraines (ruche, fourmilière, meute, etc.). Ce qui ne nuit en rien à sa réalité d’individu. Selon la théorie libérale (cf. John Locke) le souverain protège à l’extérieur (droit des gens) et rend la justice à l’intérieur (droit naturel). La confusion des modernes progressistes est d’inverser le droit naturel et le droit des gens. Les progressistes veulent appliquer le droit naturel à l’extérieur de la communauté politique, et même réintroduire le droit des gens à l’intérieur de la communauté politique. C’est une inversion totale du libéralisme classique ! Les progressistes sont des sophistes quand les libéraux sont des philosophes. Le libéralisme quant à lui ne nie en rien le peuple qui fonde la communauté politique naturelle : il se contente de régler les rapports externes à la communauté (droit des gens) et les rapports internes à la communauté (droit naturel). Mais là où Zemmour a raison (à la suite des réactionnaires) c’est de dénoncer l’alliance contre-nature entre certains libéraux et les progressistes relativistes issus des Lumières. Il faut que le mouvement libéral se mette au clair sur ce point. Notamment en rompant explicitement avec le sophisme positiviste d’Auguste Comte et en renouant la philosophie classique seule garante de la raison et des libertés (cf. par ex. Léo Strauss, “Droit naturel et histoire”).