La justice recherche le bien commun quand la morale veille au bien des personnes. Le juste attribue à chacun ce qui lui revient légitimement, il partage et départage. Le Bien donne sans compter, sans retour, librement. Le Bien est ce vers quoi chacun tend pour réaliser sa propre nature et en ce sens il est presque comme le but ultime de la justice qui a vocation de permettre aux hommes d’être libres de réaliser leurs fins. Mais quand le droit tend à confier à la collectivité le soin de dicter aux individus le Bien qu’ils doivent faire, la justice s’égare au risque de réduire la liberté des hommes qu’elle a mission de laisser prospérer.
La morale a pris le pouvoir
Progressivement la morale prend le pouvoir sur la justice comme dans la loi et son exécution. Et en prétendant faire le Bien, le droit usurpe ses droits. L’Institution de la justice a elle-même du mal à résister aujourd’hui à une fausse bienveillance qui confond le Bien et le Juste et elle prend ainsi le risque de se perdre. Désormais, le règne de l’opinion, et parfois simplement de la foule rassemblée sur le nouveau forum des réseaux sociaux cherche, au nom d’un Bien illusoire, à instruire le procès avant les magistrats et à leur place dans un mouvement que la force du nombre amplifie à mesure que son intelligence s’estompe comme déjà Gustave Le Bon l’avait exposé au XIXème siècle. Divers exemples en témoignent dont, cette année, le jugement de première instance du 7 mars 2019 prononçant à l’encontre du Cardinal Barbarin une peine de six mois de prison avec sursis pour non dénonciation d’un délit de pédophilie qui n’a pas été jugé alors que le présumé coupable est vivant et fait l’objet de poursuites. Il est curieux de condamner un seul des prévenus pour ne pas avoir porté à la connaissance de la justice des faits que plusieurs d’entre eux ont connus et qui ont été commis près de vingt ans avant que l’accusé en ait entendu parler et que la victime, majeure depuis longtemps et capable, pouvait dénoncer elle-même ; curieux encore de le condamner pour des faits prescrits depuis longtemps. Les juges ont sans doute voulu satisfaire l’opinion qui demandait un coupable alors que le vrai coupable lui-même est en attente de son propre jugement. Ils auraient opéré une sorte de justice sacrificielle, élevant l’autel d’un bouc émissaire pour contenter la foule ou même seulement pour arrêter le cri des victimes. Mais la justice qui sacrifie un innocent au nom de la morale, se conduit de manière barbare, tout à la fois injuste et immorale. En libérant Barabbas, Pilate répond aux vœux du peuple mais sa décision n’est ni bonne ni juste.
Et quand la justice discerne encore le Bien du Juste, ce qui reste heureusement sa règle usuelle, c’est le pouvoir politique qui vient la remettre en cause. C’est ce qui est arrivé avec l’affaire Sauvage : « C’est une sorte de désastre parfait, observe Olivia Dufour. La justice conspuée par les médias a fini par être désavouée par le politique alors qu’elle n’avait en rien dysfonctionné ». Le 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage, 65 ans, avait elle-même appelé les pompiers pour leur dire qu’elle avait tué son mari. Elle lui avait tiré en fin d’après-midi trois coups de carabine dans le dos après avoir fait l’objet de violence de sa part dans la matinée. Elle se défendait en arguant de la brutalité habituelle de son mari depuis des années. Ses filles vinrent à son secours en dénonçant les viols de leur père dont, jeunes, elles avaient été les victimes. L’affaire fût jugée et rejugée puisqu’elle vint deux fois en cassation. Chaque fois la prévenue fut condamnée à défaut de justifier de ce qu’elle alléguait. Une femme battue qui n’a jamais dénoncé son mari ne peut pas le tuer froidement plusieurs heures après des faits de violence alléguée en revendiquant une légitime défense proportionnée, sauf à ouvrir la porte à une sorte de droit de tuer à toute femme battue ! Condamnée à la prison ferme, cette femme de tête en appela à l’opinion publique qui se déchaîna en sa faveur, avec d’innombrables soutiens d’élus démagogues, jusqu’à obtenir la grâce de François Hollande bafouant l’avis unanime des juridictions et le droit constant, au nom de l’émotion caractéristique d’un détournement du Bien et du Juste à la fois.
Les dérives de la justice ne sont pourtant que le reflet de la politique qui lève de plus en plus souvent la bannière du Bien pour s’insérer dans la vie de tous en gommant les limites privé/public. La loi commence par nous dire ce qu’il faut manger et boire, comment il faut construire nos maisons, les règles qui doivent régir les relations entre employeur et employé… Puis, elle taxe, interdit, pénalise…. L’Etat s’érige en seul dispensateur du Bien. Il ne paye les écoles de nos enfants que s’ils vont dans les siennes. Seuls les diplômes qu’il délivre permettent de devenir avocat, pharmacien ou médecin. Il fait voter des lois spéciales pour museler la liberté de la presse durant les campagnes électorales. Il assomme les contribuables de charges fiscales et sociales qui les engourdissent et les conduisent à faire eux-mêmes toujours plus appel à lui dans un mouvement de servitude volontaire. Il habitue les citoyens à subir son intrusion toujours plus loin pour « sa » bonne cause.… Il peut y avoir un long chemin, mais il n’y a plus de frontières entre les aviseurs fiscaux rémunérés et « La vie des autres » sous le regard de la Stasi. Cette confusion du Bien et du Juste, de la morale et de la justice satisfait à la tentation de tout pouvoir totalitaire d’avoir prise sur les cœurs à défaut de pouvoir l’avoir sur les âmes. C’est la déviance que toute société qui veut rester libre doit écarter, notamment en distinguant mieux le Juste du Bien.
Le Juste n’est pas le Bien
La morale se réfère au Bien qui reste soumis au jugement personnel et relève de la discrétion de chacun. La justice intervient au nom de la collectivité et avec son pouvoir d’exécution, pour punir les déviances et pour assurer, dans les relations entre les personnes, l’égalité géométrique, à chacun selon ses capacités et ses mérites, ou arithmétique, dans l’égalité des échanges. Alors que la morale confine à l’intimité humaine, la justice se situe toujours dans le jeu social. La bonté est unilatérale quand le droit est fait pour gérer la réciprocité. Le but du législateur n’est pas de rendre les hommes bons, mais plutôt de permettre la coexistence pacifique entre les hommes. Le juste peut tendre au Bien, mais ne saurait s’y substituer. La bonté est privée et adaptée à chaque situation ; elle concerne autrui, mais elle relève de la bonne volonté.
Le droit est le juste. Le mot latin jus les assimilait. Le droit détermine de façon aussi consensuelle que possible les règles communes qui permettent la vie en société, le respect mutuel. La morale a au contraire vocation à faire le Bien. « La justice pose les limites, écrit John Rawls, le bien indique la finalité. » La morale relève d’une vérité à la recherche de laquelle tout honnête homme se doit de concourir mais que personne n’est jamais certain de connaître. Elle s’élève au-dessus du droit, son exigence est d’un autre ordre et elle ne peut pas être contraignante.
A l’origine la loi inscrite dans les premiers codes et dans les préceptes des grandes religions du monde a été édictée pour enjoindre aux hommes de ne pas faire aux autres ce qu’ils ne voudraient pas qu’ils leurs fissent. Zoroastre a énoncé cette règle négative : « Tout ce qui te répugne, ne le fais pas non plus aux autres ». Confucius et le Bouddha ont également tenu des propos similaires et l’épopée du Mahâbharata le formule autrement. Mais ce n’est pas de la morale, seulement de la précaution, de la politique en ce sens qu’il s’agit d’un principe de sagesse sociale. La règle est là toujours négative, « Ne fais pas à autrui », et toujours dans l’intérêt bien compris de celui qui l’applique, pour se prémunir du mal des autres, une éthique intelligente de réciprocité en quelque sorte qui est aussi celle de la Bible. Le Rabin Hillel résumait ainsi la loi juive à l’époque de Jésus: « Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît, ne l’inflige pas à autrui. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. »
Puis a été enseignée une autre règle, plus exigeante, qui dépasse le droit pour relever du domaine de la charité. Elle est introduite par l’Ancien Testament dans le Lévitique et le Deutéronome : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; je suis l’Eternel ». Le Christ l’a enseigné à son tour mais a été plus loin : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites le vous-même pour eux ». Il ne s’agit plus d’une règle négative, mais positive, sauf que cette règle ne représente qu’un devoir moral, elle est proposée à ceux qui voudront la pratiquer, elle est librement pratiquée par eux. D’ailleurs à l’homme qui demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage », Jésus répondit : « Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? ». Le droit conserve son domaine propre et Saint Augustin rappelle que dans tous les contrats de droit, il faut respecter la maxime commune : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».
Mais peu à peu le pouvoir politique a transformé la charité, vertu personnelle, en une forme de justice morale. Tandis que Charles Quint, ce grand prince qui finit sa vie au couvent, exhortait avec force les privilégiés du monde à donner aux pauvres sans les y obliger par la loi, dans le même siècle, le roi Henri VIII devint chef de l’église d’Angleterre et afin de suppléer les ordres religieux abolis, son fils Edouard VI dut légiférer pour que les municipalités entretiennent leurs pauvres. On en vint ainsi à créer des « droits créances » des pauvres sur la société, ce que le préambule de la Constitution française de 1793 a caractérisé dans son article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». L’aboutissement actuel en est l’Etat-providence dont la France est le meilleur représentant, fidèle à 93. Il a institué une justice redistributrice (et non distributive au sens ancien) qui consiste à prendre aux uns par la coercition pour donner aux autres. Depuis lors, cet Etat-providence a enflé sans cesse entre les mains de dirigeants politiques aisément prodigues de l’argent des autres pour entretenir leur électorat ou parfois plus simplement abandonnés à la vaine et dangereuse croyance qu’ils savent mieux que leurs administrés le bien qu’il faut pour eux.
11 commentaires
La justice et la morale
Juste brillant.
La justice et la morale
Excellente analyse qui mérite d’être diffusée.
La justice et la morale
Merci pour votre texte tout en nuance. Mais pourriez-vous définir la notion de « bien commun »? Merci.
La justice et la morale
Vivement 50% (et plus) de juges élus sans que ceux qui exerçaient précédemment puisse postuler gangrénés qu’ils sont par un marxisme déliquescent. (les commissaires de police aussi )
Ce serait tout de même une avancée en ce qui concerne l’indépendance (perdue) vis à vis du pouvoir.
rem. issus de la société civile, bac + 3, assistés par un juriste à ses ordres.
La justice et la morale
voilà qui est bien dit par un Monsieur ayant de la culture
LOIS émanation de l’homme qui se prend pour DIEU
notez ceux qui ont traversés les siècles, pourquoi ? exemple la dédemptrice de celui que j’appelle le miracle de Cotignac ‘ses filles recoivent toujours une bonne écucation qui ne se fait pas sans volonté de faire BIEN
mon bon LAFONTAINE tu as bien travaillé et même en nous communiquant ESOPE il y a eu les Stoïcien pourquoi ?
oui la spiritualité tu t’exprimes selon ton environnement mais le but n’est il pas que l’homme puisse supporter l’homme ?
a chacun ses Stars pour moi c’es Jeanne de FRance la fille de LOUI XI qui savait écouter son père !!!
DIVINE PROVIDENCE SOIT PRESENTE JE TE PRIE MERCI
loi
La justice et la morale
1/ Je ne comprends pas votre opposition entre le bien commun et bien des personnes. Peut-on concevoir « un bien commun » qui ferait le malheur de chacun ?
2/ Il me semble que derrière votre problématique, il y a une question d’horizon temporel.
Il me semble que ce que vous appelez « la morale », c’est le règne de l’émotionnel, du court terme, et de l’irresponsabilité vis-à-vis du long terme.
L’institution judiciaire est porteuse du souci de la cohérence du droit sur le long terme, alors que les hommes politiques médiocres ne prennent en considération que le court terme.
La justice et la morale
Excellent très juste et très bien “ajusté” aux questions du temps présent.
J’attends et espère une analyse analogue sur l’actuelle perversion du rapport entre “État de droit” et “démocratie.
La justice et la morale
J’ai d’ordinaire le plus grand respect pour ce que nous dit M. Delsol mais en l’espèce, je ne peux que m’opposer fermement à sa position (et à celle de la majorité des autres commentateurs).
Je n’encourage nullement les femmes battues à abattre leur conjoint brutal (et brutal pendant des années), même si « ce cher ange », EN PLUS, violait ses filles dans leur enfance, mais je m’oppose violemment à l’attitude indigne des magistrats qui ont statué avec un « Code Pénal » à la place du coeur. Et cela, dans une société civilisée, c’est parfaitement inadmissible.
La justice et la morale
Le bien commun, la morale, le juste, les droits, l’assistance, l’état providence : tout y est. Pour autant détient-on la vérité ? Il y a un oubli majeur dans la démonstration : aucune référence à l’Islam. Tout y passe : le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme, le christianisme, mais pas l’Islam. Pourtant il semble que c’est une alternative alléchante puisqu’on voit cette religion (avec son ordre social et politique) progresser à toute vapeur à travers le monde. N’est-ce pas la nouvelle référence (ou tendance) ? Les juges sensés être « justes » ne courbent-ils pas systématiquement l’échine devant cette religion ? Alors nous refaire le coup de la justice et la morale, si brillant soit l’exposé, me ramène à mes 10 ans au catéchisme.
La justice et la morale
Avec Jean Maurice PARNET, je souhaite revenir sur le cas si délicat de Madame SAUVAGE. Certes elle n’avait pas dénoncé son tortionnaire doublé d’un violeur d’enfants mais avez-vous pensé au nombre d’épouses battues qui ont gardé le silence pour masquer la honte ?
Madame SAUVAGE était arrivée au bout de l’endurance et si elle n’avait pas tué son bourreau c’est probablement elle qui ne serait plus en vie…
Aujourd’hui, les femmes craignent moins d’aller déposer une plainte contre un mari violent, ce qui malheureusement n’empêche pas certaines d’entre elles d’être tuées par manque de diligence des services de l’Etat.
Je pense que dans cette terrible affaire, les juges avaient manqué d’humanité en appliquant strictement la loi
La justice et la morale
Simple rappel en ce qui concerne l’affaire de Madame Sauvage : un juge n’est pas le Président de la République et un juge n’a pas à « humaniser » le droit. Je le répète avec fermeté : le juge, tout comme le préfet est un EXECUTANT et rien d’autre. Les lois sont faites (ou défaites, rarement, en France, elles s’empilent plutôt) par les chambres et parfois par ordonnances gouvernementales. Le juge doit appliquer la LOI. Un point c’est tout !