Malgré toutes ses imperfections et les possibles manipulations de ses résultats, le Grand Débat a eu le mérite de libérer la parole, parfois de manière surprenante et positive. En l’état des morceaux de discours que M Macron a laissé diffuser par la presse, la réponse n’est pas à la hauteur.
Il propose de créer une nouvelle tranche d’impôt, basse, afin que, mieux étalée, la progressivité soit adoucie pour ceux qui deviennent imposables. Mais s’ils y entrent douloureusement, c’est parce qu’ils bénéficient de mesures d’allègement qui leur restent acquises, mais qui rendent plus rapide le rattrapage de la courbe normale d’imposition des contribuables assujettis. La réforme reviendra à faire porter encore un peu plus le poids de cet impôt sur une minorité alors que la demande principale était de le faire payer par tous ! Et pourtant plus d’un tiers des participants du Grand Débat estime que l’impôt sur le revenu devrait être payé par tous et 28,2% qu’il faut simplifier et réformer la fiscalité. On n’en prend pas le chemin.
Craignant d’être encore accusé de favoriser les riches, le président envisage de revenir sur la suppression partielle de l’ISF – ce qui n’aurait pas de sens – si l’évaluation objective qui sera faite début 2020 de cette suppression n’est pas satisfaisante. Mais une telle évaluation n’est possible que dans la longue durée. Et qu’un tel revirement puisse être seulement envisagé suffira à raviver les craintes de ceux qui fuient la France pour son instabilité permanente.
Les riches seront peut-être un peu plus taxés, mais ce sont surtout les classes moyennes et moyennes plus qui seront une nouvelle fois oubliées. Les retraites inférieures à 2 000€ (par foyer ou par personne ?) seront réindexées sur l’inflation à partir de 2020. C’est bien, mais les autres aussi ont cotisé et ont une créance qui est tout aussi légitime. Ils ont de plus grosses retraites parce qu’ils ont plus contribué !
C’est bien aussi de vouloir des classes réduites à 24 élèves, de la grande maternelle à la CE1, même si les expériences étrangères démontrent que la motivation des enseignants et la liberté scolaire sont des facteurs plus déterminants que le nombre d’élèves. Mais pour combattre « l’inégalité du destin» et casser la «société de castes et de privilèges», il ne suffira pas de modifier l’affectation des élèves en fonction de leur rang de sortie de l’ENA, ni même de dire que l’ENA sera supprimée pour « en rebâtir l’organisation profonde », ce qui veut dire reconstruire une nouvelle ENA. L’égalité des chances ne dépend pas d’une petite manipulation qui consiste à faciliter le parcours des uns, moins favorisés, au détriment des autres, ce qui est une autre forme de discrimination. Le renouvellement des élites, marque des sociétés fortes et vivantes, ne peut se faire légitimement qu’en permettant à tous de grimper l’escalier social, qui n’est jamais facile, par le mérite et l’effort, et non en acceptant aux concours ceux qui n’en ont pas les capacités. C’est le corps enseignant qui doit retrouver les vertus des hussards noirs de la République pour porter les meilleurs jusqu’au bout des meilleurs parcours. Mais eu égard à l’idéologie ambiante de l’Education nationale, sans doute aussi performante que sa médiocrité, un tel progrès serait à peu près certainement considéré comme un retour en arrière. Il ne serait de toute façon possible qu’au prix de ce qui, en France, serait une petite révolution : permettre une vraie liberté scolaire qui mettrait l’école publique en concurrence et la forcerait à s’améliorer ou à mourir.
La volonté est claire aussi d’accorder une grande importance aux territoires. Toutes les écoles et tous les hôpitaux seraient conservés. C’est sympathique mais sans doute pas très réaliste. De là à penser que c’est démagogique ! Même soupçon envers le référendum d’initiative citoyenne ou RIC, qui pourrait être mis en œuvre au niveau local, et le référendum d’initiative partagée, engagé contre la privatisation d’ADP, qui serait facilité. Au demeurant, M. Macron a raison d’être là particulièrement prudent en restreignant les conditions d’usage des ces instruments susceptibles d’entraîner la démocratie sous le joug d’une tyrannie populaire et irresponsable. Certes le RIC pourrait fonctionner utilement sur divers sujets locaux, mais il faudrait alors, pour le moins, que les collectivités locales retrouvent l’autonomie de leurs ressources sans laquelle ces réformes resteront des jeux de récréation. Malheureusement, ça n’apparaît pas à l’ordre du jour.
Une autre mesure encore vise à pérenniser la prime annuelle que les entreprises ont pu verser cette année, jusqu’à 1000€ par salarié sans impôt ni charges sociales. Une niche supplémentaire en quelque sorte, comme si on en manquait ! Bien sûr que c’est un bon moyen d’augmenter les salariés au moindre coût. La fonction publique en est une habituée. Elle a depuis des décennies multiplié les primes…pour s’apercevoir un jour que ses fonctionnaires ne cotisaient pas pour leur retraite sur ces compléments de revenu et que c’était autant de perte pour eux quand l’âge en était venu. Il vaudrait mieux établir un véritable système assurantiel au-delà d’un filet de protection minimum assuré à tous. Mais dans le même temps, la réforme des retraites qui s’annonce reste intégralement basée sur la répartition dont on sait qu’elle mène inéluctablement à la faillite, avec chaque année moins de travailleurs et plus de salariés.
Hélas, la partie la plus pauvre du discours est encore celle qui concerne les dépenses publiques. 75% des participants au Grand Débat souhaitent les voir réduites, notamment pour baisser le déficit public, mais le sujet n’est mentionné qu’en passant et sans précisions. L’opinion des Français paraît beaucoup plus libérale que certains le croyaient. Ils veulent que les pouvoirs publics desserrent leur étau. Une large majorité (58%) refuse les impôts comportementaux comme la fiscalité écologique. Les Gilets jaunes ont été infiltrés par divers mouvements extrémistes pour réclamer notamment l’augmentation de l’impôt, mais en dépit de cet entrisme gauchiste, ce sont leurs revendications initiales qui ressortent au travers des 1,9 millions de contributions. Les « gens » sont las d’être assistés. Ils veulent pouvoir vivre décemment de leur travail. 52% des réponses demandent la révision des conditions d’attribution de certaines aides pour éviter les dérives et 24% souhaitent l’augmentation du temps de travail. Mais en l’état, on leur offre plus d’Etat…