Une majorité de Français pense que les citoyens devraient pouvoir imposer un référendum sur une question à partir d’une pétition ayant rassemblé un nombre requis de signatures (étude Cevipof/Opinionway réalisée du 13 au 24 décembre). Pourtant la démocratie directe n’est pas la baguette magique de la démocratie. Elle peut aisément devenir l’arsenal de la démagogie avant que le despotisme ne s’en empare sous une forme ou une autre. Les sections de la grande Révolution, la Commune de Paris en 1871 ou les soviets en ont témoigné.
Le risque de la démocratie directe est toujours en effet que le peuple soit instrumentalisé pour faire aboutir les revendications de quelques-uns. Le référendum enferme presque naturellement dans un manichéisme réducteur. Il simplifie les questions à l’excès et caricature. Il est l’arme utilisée par les populistes de tous bords pour supprimer leurs adversaires. La dictature du prolétariat n’est jamais loin et chacun sait qu’elle n’a jamais été cet « élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, démocratie pour le peuple et non pour les riches » que Lénine prétendait.
Sans aller systématiquement vers ces extrêmes, la démocratie directe poste toujours en embuscade des majorités d’occasion réunies pour convenir de vivre au détriment de la minorité, fût-ce au péril de la société toute entière. Il est si facile de voter des impôts que payent les autres. Car les perspectives de long terme échappent souvent au vote binaire du référendum. L’exemple de l’impôt sur la fortune en est l’archétype. Il se trouve environ 30% de Français qui considèrent que l’ISF ne doit pas être rétabli alors que seuls 3% le paieraient, ce qui prouve que la raison peut prévaloir sur l’intérêt particulier à court terme. Mais il reste une large majorité d’électeurs qui ne cherchent pas à comprendre pourquoi le retour de cet impôt, iconique pour certains, nuirait à tous en affaiblissant l’économie dont dépendent l’emploi et la prospérité générale. Dans un référendum sur ce sujet, il y a lieu de penser que cette majorité l’emporterait aux dépens de la France elle-même.
Plus fondamentalement encore, l’élargissement de l’initiative populaire représente le danger permanent d’étendre le domaine du politique à toute la vie sociale et d’en appeler toujours plus à la collectivité publique pour s’immiscer dans la vie privée. Lorsque le référendum existe, il est tentant de le déclencher pour imposer ses vues sur tout et n’importe quoi, au risque d’une intrusion dans la sphère personnelle des individus. Le recours par trop systématique à la « votation » introduit une sorte d’indifférenciation entre privé et public, entre le domaine de l’Etat et celui des individus, des familles, des associations et autres libres communautés. Or comme le soutenait déjà le philosophe suisse et libéral Benjamin Constant, « Il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante et qui est, de droit, hors de toute compétence sociale. La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commence l’indépendance de l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté. Si la société franchit cette ligne, elle se rend aussi coupable de tyrannie que le despote. La société ne peut excéder sa compétence sans être usurpatrice, la majorité sans être factieuse. [[Benjamin Constant, Principes de politique, Paris, Hachette, [1806] 1997, p. 51-52.]]»
Il ne faut pas négliger les bienfaits du vote populaire qui met les politiciens sous un certain contrôle, presqu’une sorte de menace salutaire pour essayer de les préserver de leur hubris naturelle. Mais il ne saurait s’exercer utilement qu’avec d’infinies précautions pour éviter que le remède ne soit plus grave que le mal qu’il serait censé soigner. Dans les matières locales, il serait certainement plus pertinent car les citoyens savent mieux que les technocrates ce dont ils ont besoin pour organiser leur quotidien. Dans les questions nationales ou sociétales, il devrait avoir fonction exceptionnelle de véto plus que d’édification de la loi. Il est souhaitable de préserver le rôle des élus pour tamiser et approfondir la délibération. Curieusement ce sont les mêmes qui dénoncent la disparition des corps intermédiaires et l’abaissement des édiles et qui s’enthousiasment avec frénésie pour cette initiative citoyenne qui y contribuerait plus que tout en supprimant tout relais entre le peuple et le pouvoir toujours accaparé par ceux qui savent le mieux le manœuvrer.
Le référendum est d’ailleurs peut-être d’autant moins nécessaire que l’expression populaire dispose aujourd’hui de moyens plus efficaces pour s’imposer. Le marché est déjà l’expression des choix permanents et spontanés des consommateurs. La vox populi surtout est désormais très active, et parfois débridée, au travers d’internet et des réseaux sociaux qui ont précisément été capables, avec les gilets jaunes, de manifester le désarroi d’une population sans avoir besoin d’organiser un référendum. Mais on en a mesuré à cette occasion les abus et les manipulations qui pourraient être aussi ceux de consultations incessantes.
La démocratie directe puise ses lettres de noblesse dans la pratique helvétique des votations. Mais comme le souligne Pierre Bessard[[https://www.libinst.ch/publications/IL-Bessard-Suisse-dictature-majorite.pdf]] dans un remarquable article publié par son Institut Libéral suisse, le facteur institutionnel décisif dans le succès de son pays a été moins le concept d’une démocratie illimitée que l’autonomie et la saine compétition permanente des cantons et communes. Celles-ci ont contribué à l’émulation des bonnes pratiques et à la protection naturelle des citoyens contre l’emprise excessive des institutions publiques. Pour que le recours au référendum puisse être valablement élargi en France, il faudrait sans doute commencer par mettre en œuvre une véritable décentralisation de telle façon qu’au niveau de nos collectivités territoriales les citoyens puissent en effet demander efficacement à décider eux-mêmes de leur ordinaire.
5 commentaires
Les inconvénients possibles ne doivent pas effacer les avantages certains
Les dangers que vous mentionnez existent, mais il y a des solutions: limitation du nombre de RIC, temps de débat suffisant, exclusion des questions budgétaires et fiscales.
Soulignons que le fonctionnement actuel de notre "démocratie" n'a pas empêché la gouvernance d'une minorité…
Moyennant quelques limitations, ce peut être un bon moyen de renouveler nos processus démocratiques. Les temps de debat réguliers, s'ils sont ouverts, sont une bonne occasion pour tout le monde de progresser dans sa réflexion.
Décevant !
Fidèle lectrice de l'iref depuis des années je reste bouche bée en lisant cet article…
Vous raisonnez dans le système actuel sans avoir la moindre once d'imagination et de créativité pour prendre de la hauteur et sortir de vos carcans… Oui le RIC est un outil démocratique mais non bien sûr il ne fera pas tout si on reste dans ce système… Qui est déjà la dictature d'une minorité sur la majorité… Qui êtes vous pour oser définir ce que le peuple peut décider ou pas ? Vous croyez vraiment que la politique n'est qu'affaire de spécialistes ? Vous vous fourvoyez… C'est ce que vous, les élites, voulez nous faire croire… Nous sommes impliqués ds ttes les décisions politiques que nous subissons… La seule différence c'est qu'avec une assemblée citoyenne à notre tête nous pourrions nous passer des affects du pouvoir et de l'influence des lobbies. Contrairement à nos politiciens corrompus… Enfin le RIC n'est qu'un outil car la souveraineté soit revenir entièrement au peuple qui doit également récupérer la souveraineté monétaire car le système actuel nous asservi totalement…
Mais ça, ça doit clairement dépasser votre entendement d'élite qui trouve son compte dans le système au détriment des gens qui produisent les vraies richesses de ce monde…
Responsabilité
Le RIC aurait l'immense avantage de responsabiliser les citoyens
S'ils votent dans un mauvais sens ils en subiront les effets et pourront ensuite les corriger …
Les intellectuels retrouveront le rôle d'éclairer les citoyens …
J’entends bien les réactions outragées et je savais qu’il ne serait pas facile d’exprimer une opinion divergente sur ce sujet sensible. Je comprends l’espoir que mettent dans le RIC tous ceux qui à juste titre sont lassés de l’insuffisance de nos pseudo élites. Mais je continue de penser que le RIC n’est pas une solution universelle à tous nos problèmes. La politique ne se bâtit pas par des décisions successives et indépendantes les unes des autres au gré de l’opinion majoritaire mais souvent versatile, paradoxale. On ne peut pas dire non plus que le peuple n’a pas la parole. Notre vie politique vit a la cadence de nombreuses élections régulières. Et il n’y a pas de raisons pour que le peuple soit plus sage ou plus avisé dans ses décisions référendaires que dans la désignation de ses élus. Car c’est bien le peuple qui a choisi les élus qu’il critique! Je n’ai pas dit pour autant que le RIC devait être banni, mais plutôt qu’il était plus adapté au local qu’au national sauf cas particulier, que pour être efficace il fallait que les collectivités locales aient leur autonomie et qu’il devait être encadré pour être contributif d’une bonne démocratie. Plus encore que le RIC, notre démocratie a besoin, pour mieux fonctionner, que l’Etat laisse plus de libertés aux individus, moins de contraintes réglementaires et moins de charges fiscales, sociales et autres. Si les Français sont mois assistés et plus responsables d’eux-memes et De leur entourage, des personnalités de meilleures qualités pourront naître et assumer la responsabilité de représentation nécessaire à toute démocratie. Je suis navré si j’en ai déçu certains, mais ça me semble aussi l’intérêt de notre lettre d’avoir cette réflexion et de débat. Et il est normal, et sain, d’être parfois en désaccord.
Si je vous saisi bien, en quelques mots et quoique la longue suite d'objections de votre article puisse laisse penser le contraire, vous n'êtes pas contre le RIC à condition de ne pas en rester là mais de l'accompagner d'un ensemble de réformes finalement plus substantielles.
Raison de plus pour commencer par le RIC, qui est à la fois la réforme la plus simple et qui rend les autres possibles.