Les interventionnistes ont une conception très extensive des « droits régaliens ». Une mise au point s’impose.
Depuis plusieurs mois et plus encore ces dernières semaines, nos hommes politiques ont multiplié les références au terme « régalien », sans toutefois lui accorder toujours le même sens. Difficile sans doute pour les citoyens de comprendre des déclarations qui parfois sonnent de manière contradictoire chez des ministres appartenant au même gouvernement.
Dans un article récent, l’Iref parlait de « la nouvelle trouvaille des étatistes : l’extension du domaine du régalien ». Le 5 février, la députée macroniste Sandrine Le Fleur posait une question (n° 354) au gouvernement : que comptait-il faire « pour que l’adaptation climatique devienne une priorité régalienne au même titre que la sécurité ou la justice, puisqu’elle touche à la raison d’être de l’État, qui est de protéger les citoyens » ? Le 25 février (Acteurs publics), elle précisait sa pensée : « L’adaptation au changement climatique doit être reconnue comme une mission régalienne ». Elargissant encore le thème, la députée Ecologiste Delphine Batho avait affirmé dans un entretien : « L’écologie doit faire partie des missions régaliennes de l’Etat » (Elle, 26 octobre 2024).
Au sein du gouvernement Bayrou, les ministres ne semblent pas toujours, eux non plus, sur la même longueur d’onde. D’un côté, la ministre de l’Agriculture, la républicaine Annie Genevard, a déclaré le 23 février 2025 : « La France doit affirmer sa souveraineté agricole comme un enjeu régalien et réarmer sa puissance alimentaire ». Mais le ministre des Armées, l’ancien Républicain Sébastien Lecornu, a considéré le 6 mars sur France Inter qu’il fallait « recentrer l’État sur ses missions régaliennes ».
Il semble donc indispensable de préciser la signification du terme « droits régaliens » de l’État à travers le prisme de l’histoire du droit.
Les définitions des droits régaliens
Régalien vient du latin regalia, mot dérivé de rex, le roi. Les regalia jura sont les droits royaux. Ils sont indissociablement liés à la souveraineté, comme le montrent les définitions suivantes : « Attributs essentiels de la souveraineté » (Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Picard, 1923, p. 476) ; « Droits qui appartiennent au roi, à cause de sa souveraineté » (François Bluche, dir., Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 2005, pp. 498-499) ; « Ensemble des droits et pouvoirs attachés à la prérogative royale ou attributs essentiels de la souveraineté » (Agnès Babot et al., Dictionnaire d’histoire du droit et des institutions publiques (476-1875), Ellipses, 2022, pp. 160-161). L’idée générale est que, « pour que le roi puisse pleinement remplir sa fonction, il détient des prérogatives rattachées à la puissance souveraine dont il est titulaire » (Jean Barbey, v° « Droits régaliens » in Lucien Bély, dir., Dictionnaire de l’ancien Régime. Royaume de France. XVIe- XVIIIe siècle, PUF, 2e éd., 2002, pp. 445-448).
Les droits régaliens et la souveraineté royale
Empruntée au droit romain, l’expression « droits régaliens » apparaît au milieu du XIIe siècle. A l’origine, elle renvoie essentiellement au pouvoir judiciaire du roi avant de privilégier, sous l’influence du juriste Jean Bodin dans la seconde moitié du XVIe siècle, le pouvoir législatif. Autrement dit, les prérogatives royales sont ramenées à un principe commun en tant que marque de la souveraineté, d’abord celui d’exercer de manière suprême la justice, puis celui de légiférer, de « donner et casser la loi » selon la formule célèbre de Bodin.
Que recouvrent précisément ces deux mots de « droits régaliens » ? Des légistes dressent des listes diverses et variées dès le XIVe siècle avec une amplitude qui laisse songeur, d’à peine 20 droits à plus de 200 ! Tentons de les synthétiser en usant d’une nomenclature moderne et contemporaine : faire la guerre, définir la politique étrangère, légiférer, détenir le monopole monétaire, nommer aux emplois publics, juger en dernier ressort, faire grâce. D’autres droits restent contestés sous l’Ancien Régime, à commencer par celui de lever des impôts. D’autres encore varient suivant les auteurs, mais nous pouvons en citer quelques-uns : assembler les Etats généraux et provinciaux, octroyer des privilèges, instituer des postes et courriers, octroyer des droits de foires et marchés, régler les poids et mesures, instituer des corps de métier, réglementer des denrées de « première nécessité », exercer un droit souverain sur le sous-sol, naturaliser les étrangers, anoblir, etc.
Ce que nous appelons aujourd’hui le droit public relevait donc bien entendu du pouvoir du souverain, mais c’est un domaine qui s’est singulièrement élargi à partir du XVIIeme siècle, particulièrement sous l’emprise de Louis XIV et de Colbert. Les « préoccupations sociales » ont fait leur entrée dans les affaires publiques (état civil, hôpitaux, pauvreté) tout comme les préoccupations économiques : grands travaux et manufactures, entre autres.
Ces listes peuvent apparaître impressionnantes, mais il ne faut pas oublier que le monarque, même sous la monarchie dite absolue, est tenu par le respect des lois fondamentales du royaume, des coutumes et autres privilèges.
Des droits du roi aux droits encadrés de l’État souverain
La notion de « droits régaliens » n’a pas disparu avec l’Ancien Régime. Elle continue de témoigner de la légitimité du monarque à l’État royal puis du pouvoir à l’État républicain. Toutefois, avec la pensée libérale classique, elle a cantonné la puissance publique à des fonctions limitées : assurer la sécurité intérieure et extérieure du territoire, en conséquence disposer de forces de l’ordre et d’une armée, exercer une fonction diplomatique et de relations internationales, rendre la justice, lever l’impôt, émettre seul de la monnaie, légiférer. Toutes ces fonctions ne peuvent être exercées que par la puissance publique. Comme l’écrivait Benjamin Constant, l’État doit être fort dans ses attributions, mais ces dernières sont très limitées. Pour le dire autrement, les libéraux classiques ont entendu les droits régaliens comme intangibles, mais inextensibles. Nous retrouvons ici le débat classique, qui est la grande affaire du libéralisme, sur les limites de l’État.
Le danger de la conception extensive des droits régaliens
Comme nous l’avons vu en liminaire, certains de nos hommes politiques, tant de droite que du centre ou de la gauche, adoptent une conception extensive de la notion de « droits régaliens ». Ils peuvent certes s’appuyer sur le caractère assez flou de la liste de ces droits sous l’Ancien Régime, mais leur stratégie est cousue de fil blanc. Il s’agit en fait de redéfinir la conception traditionnelle des libéraux pour que certaines interventions nouvelles de l’État soient considérées comme tout aussi légitimes que les missions classiques représentatives de sa souveraineté. Il ne s’agit plus seulement de protéger les individus contre les agressions d’autrui, qu’elles se produisent à l’intérieur du territoire ou qu’elles viennent de l’extérieur, mais aussi de, prétendument, protéger qui l’agriculture, qui l’environnement, etc., comme prolongements des missions nomales de la puissance publique.
Avec cette conception, les droits régaliens de l’État deviennent les droits indéfinis et perpétuellement croissants de la puissance publique. En contrepoint et pour paraphraser Friedrich Hayek, maintenir la notion classique de droits régaliens est de la plus haute importance si nous voulons sauvegarder l’avenir d’une société libre.
2 commentaires
Remarquons tout de même que ces déclarations, autant celles des écologistes que celle de la ministre de l’agriculture, sont envisagées sous l’angle de la sécurité de la population vis-à -vis d’éventuelles agressions extérieures.
Si l’Etat acceptait d’abandonner des secteurs entiers de ses interventions notamment dans les domaines économique, social, culturel, sociétal, etc …, alors nous pourrions assez facilement au titre de la sécurité accepter de telles extensions de son domaine régalien.
“si nous voulons sauvegarder l’avenir d’une société libre” voilà le noeud du problème, bien des politiciens ne souhaitent pas une société libre, mais une société surveillée, et enrégimentée par l’État, donc par les hauts dirigeants de l’État et ses émanations. Rappelons nous l’Adème qui nous dit comment laver les slips et soutiens gorges. L’excès de normes et règlements divers, quelqufois contradictoires, l’orgie de lois, contraintes et directives. Le régalien se définira tout seul, sans oolémique, quand on sera tous plus ou moins d’accord sur ce que doit être la liberté.