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Confier à l’armée des missions de police : les failles de l’opération Sentinelle

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opération sentinelle
L’apparition de la guerre subversive, ou guerre asymétrique, en Europe au 19e siècle, avec d’abord la guerre d’Espagne puis la pacification de l’Algérie ou la conquête de Madagascar, a conduit peu à peu à octroyer à l’armée des missions de police, ainsi que des missions sociales voire économiques. La fameuse doctrine de la tache d’huile, inventée par Gallieni, prévoit de mater durablement une insurrection en faisant assumer à l’armée un rôle étatique, permettant de gagner les cœurs des populations locales, sans lesquelles aucune contre-insurrection ne saurait être efficace.

En 1957, le général Massu nettoie la casbah d’Alger des terroristes du FLN qui y trouvaient refuge ; l’opération a pu se faire grâce au décret sur les pouvoirs spéciaux, transférant notamment à l’armée les pouvoirs de police et généralisant le recours à la justice militaire.

L’opération Sentinelle, décidée au début de l’année 2015 dans un contexte accru d’attentats terroristes, n’a, bien entendu, rien de comparable en termes d’intensité mais obéit à la même logique d’extension du rôle de l’armée, en lui confiant notamment des missions relevant en temps ordinaire des forces de sécurité intérieure.

Un dispositif psychologique destiné à rassurer les Français

L’opération Sentinelle prévoyait de déployer jusqu’à 10 000 militaires sur le territoire national sur le modèle du plan Vigipirate, dans l’idée de sécuriser les points sensibles comme les lieux de culte, les gares ou les aéroports. Cette militarisation de la lutte contre le terrorisme, combinant l’emploi de l’armée (de terre à 95 %) et celui de la police, est une spécificité française en Europe que seule l’Italie a choisi d’imiter.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité de 2008 avait d’ailleurs préparé le terrain en forgeant le concept de sécurité nationale basé sur un continuum de la sécurité intérieure et de la défense. Comme le régime de l’état de siège était manifestement disproportionné en l’espèce, l’Exécutif s’est basé sur le principe juridique de réquisition, consistant en un recours à la force armée par les autorités civiles, dans le cas où, théoriquement du moins, ses propres moyens s’avéreraient « indisponibles, inadaptés, inexistants ou insuffisants ».

Lesquelles forces armées, divisées en 15 groupes dits « proterres », se sont mises dans une « posture de protection terrestre » principalement constituée de gardes statiques ou de patrouilles dans les rues. En 2020, l’opération a compté jusqu’à 7 000 soldats déployés mais ce pic a depuis baissé pour tomber à 3 000 cette année.

De l’aveu même du rapport de l’Inspecteur des armées du 2 juillet 2021, le dispositif se traduit par 25 % d’actions et 75 % de perceptions (les trois quarts de l’opération consiste à rassurer les gens en mettant du kaki dans les rues). En effet, depuis son déploiement, la troupe n’est intervenue que sur 6 agressions de type terroriste, dont une seule par arme à feu, représentant un pourcentage infinitésimal des événements traités qui relèvent pour l’essentiel du maintien de l’ordre public classique, ainsi que le montre le tableau suivant, mentionné par la Cour des comptes. En somme, les forces armées ont été employées pour suppléer les forces de police et de gendarmerie et ce au détriment de leurs propres missions.

Un bilan qui pousse à s’interroger sur la portée réelle du dispositif

En 7 ans, 225 000 soldats et officiers ont été déployés dans le cadre de l’opération, pour un coût estimé par la Cour des comptes à un peu plus de 2 Mds€. Il faut également noter une nette tendance à dépasser les crédits votés en loi de finance chaque année, dépassement annuel compris entre 150 et 180 M€ (près d’un milliard d’euros au total).

Outre que ces sommes n’ont pas été investies dans l’entraînement ou l’équipement des forces armées, malgré les insuffisances de moyens entravant leur action (par exemple un deuxième porte-avion coûterait 5 Mds€), le nombre de jours passés par les militaires en dehors de leur garnison représentait 51 % de leur temps en 2015 et 33% en 2021, rognant ainsi gravement sur leur instruction.

L’avis des intéressés sur leur travail faisait également ressortir de nombreux griefs tel que le manque d’attractivité des missions (31 %), le sentiment d’inutilité, l’aspect répétitif et l’éloignement de la famille. Cela a d’ailleurs partiellement joué sur le découragement de nos soldats, le taux de promotion de militaire du rang à sous-officier s’effondrant de 9,4 % en 2011 à 3,3 % en 2021 et le taux de dénonciation des contrats passant de 26,5 % pendant la période 2011-2016 à 30,4 % pendant la période 2017-2023 (avec une part de projection).

Il est toutefois un élément à mettre au crédit de l’opération Sentinelle : c’est le renforcement du lien armée-nation, sérieusement mis à mal depuis la suspension du service militaire en 1997. La formation d’une Garde nationale, pouvant se définir comme une forme de milice citoyenne n’ayant pas vocation à intervenir en OPEX mais uniquement en ce qui concerne la sécurité du territoire national, a aussi été un élément bénéfique, d’autant que celle-ci aurait pu tout à fait assumer le déploiement d’effectifs si elle avait été en capacité de le faire.

La question reste néanmoins posée : un militaire de carrière bien entraîné doit-il assurer des missions d’un gardien de la paix ?

Alors que le spectre d’un conflit de haute intensité refait surface pour la première fois en Europe depuis la fin de la guerre froide, il est préférable de recommander l’arrêt de l’opération Sentinelle et le développement d’une Garde nationale suffisamment forte qui pourrait, au besoin, prendre en charge de telles missions. Le cas échéant, on ne s’interdira également pas de s’interroger sur les bienfaits de la conscription pour la jeunesse et dans une société globalement en perte de repères.

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2 commentaires

Golfenberg 11 novembre 2022 - 8:05

« Le cas échéant, on ne s’interdira également pas de s’interroger sur les bienfaits de la conscription pour la jeunesse et dans une société globalement en perte de repères. »

La conscription se situait à une époque où
1. la cellule familiale était en charge de l’éducation et
2. l’école en charge de l’instruction.

Dès lors que ces deux éléments disparaissent (voire ont quasiment disparu) de l’équation, il serait illusoire de croire à la résurrection des bienfaits que la conscription apporterait à la jeunesse actuelle.
Revenons donc aux fondamentaux de ce qui a fait l’union des Français entre-eux et, partant, l’unité de la France.
Tout le reste n’étant que bavardages inutiles et vides de sens.
Bien à vous,
Charlie

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Obeguyx 11 novembre 2022 - 10:16

Avancer à découvert n’a jamais fait gagner une armée. Aujourd’hui encore moins qu’hier. Les terroristes l’ont bien compris depuis longtemps et les militaires aussi (les vrais, pas les trous du … des plateaux de télé). On sait exactement ce qu’il faut faire, mais les pleutres politiques qui nous gouvernent préfèrent diffuser une image rassurante plutôt que de faire le « job » !!! Et les égorgements, les viols, les crimes barbares continuent, faisant glousser d’horreur les humanistes de salons qui au bout d’une semaine ne se rappellent même plus de ce qui s’est passé.

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