Dans son « adresse aux Français » du 16 octobre 2018, Emmanuel Macron reconnaissait que les réformes prenaient du temps et affirmait comprendre l’impatience de ses compatriotes. « Mais, ajoutait-il, le temps que nous prenons est celui de nos institutions ». Bref, le président de la République aimerait « transformer » plus vite, mais les institutions l’en empêchent.
Des propos qui font écho à ceux, tenus ici même, il y a quelques semaines, par Nicolas Lecaussin. Dans son article, « La Constitution, ennemie des réformes », il rappelait, à l’occasion des 60 ans de la Constitution de la Vème République, que cette dernière donnait tout le pouvoir au président de la République qui décide de tout à la place de tout le monde dans tous les domaines. Et, s’appuyant sur Jean-François Revel, Nicolas Lecaussin insistait sur le fait que cette omnipotence présidentielle était, en réalité, la cause même de son impuissance.
Par conséquent concentrer davantage encore le pouvoir entre les mains élyséennes, comme aimerait à le faire Emmanuel Macron, ne ferait que rendre l’action publique plus inefficace. Une inefficacité qui serait, comme toujours, camouflée par la communication et la dépense publique.
En attendant de réformer la Constitution, Emmanuel Macron et son gouvernement usent donc de la grosse ficelle des ordonnances. Ils montrent ainsi qu’ils veulent aller vite pour « transformer » le pays.
Mais ne s’agit-il pas, là encore, d’une illusion ? Et la grosse ficelle n’est-elle pas usée ? Pensez-vous, en effet, que ces vingt dernières années ont connu une intense « transformation » ? Pourtant, 87 % des 874 ordonnances publiées sous la Vème République l’ont été au cours de cette période.
François Hollande et Jacques Chirac ont-ils laissé l’empreinte de grands réformateurs ? Pourtant le premier a publié 274 ordonnances en 5 ans de mandat, et le second, 282 en 12 ans.
A ce jour Emmanuel Macron compte 37 ordonnances à son actif. Sans revenir sur leur contenu, largement commenté dans ces colonnes, intéressons-nous au temps qu’il faut pour les produire. Prenons l’exemple emblématique de celles qui réforment le Code du travail. Le tableau ci-dessous en résume la chronologie qui s’est étalée du 23 mai 2017 au 31 mars 2018, soit 10 mois complets.
Chronologie des ordonnances réformant le Code du travail
Source : Clés du social
23 mai 2017
Réception des partenaires sociaux par Emmanuel Macron pour lancer la réforme du Code du travail
12 juin-21 juillet 2017
Trois phases de concertation avec les partenaires sociaux
2 août 2017
Vote par le Parlement du projet de loi d’habilitation
31 août 2017
Communication des 5 projets d’ordonnances
16 septembre 2017
Publication de la loi d’habilitation, après validation par le Conseil constitutionnel
22 septembre 2017
Adoption des 5 projets d’ordonnances par le Conseil des ministres
23 septembre 2017
Publication des 5 ordonnances au Journal officiel
25 septembre 2017
Décret n°2017-1398 de revalorisation de 25 % des indemnités de licenciement
27 septembre 2017
Adoption du projet de loi de ratification des ordonnances en Conseil des ministres
20 octobre 2017
Transmission aux syndicats de projets de 2 décrets sur la fusion des instances représentatives du personnel
23 octobre 2017
Consultation du Conseil supérieur de la prud’homie sur le projet de décret sur les prud’hommes
26 octobre 2017
Présentation de plusieurs projets de décrets à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC)
31 octobre-9 novembre 2017
Examen du projet de loi de ratification des ordonnances par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale
7 novembre 2017
Présentation de plusieurs projets de décrets au Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CNEFOP)
10 novembre 2017
Décret n° 2017-1385 sur les conditions de la consultation des salariés dans les entreprises
21-24 novembre 2017
Examen du projet de loi de ratification des ordonnances par l’Assemblée nationale
23 novembre 2017
Présentation de plusieurs projets de décrets à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC)
23 novembre 2017
Décret n°2017-1603 portant modification des dispositions relatives à la désignation des membres de la Commission nationale de discipline des conseillers prud’hommes
28 novembre 2017
Adoption du projet de loi de ratification des ordonnances par l’Assemblée nationale en 1ère lecture
28 novembre 2017
Décret n° 2017-1612 sur les modalités de composition et de fonctionnement des observatoires d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation
30 novembre 2017
Présentation, pour avis, aux partenaires sociaux du projet de 6ème ordonnance apportant corrections et modifications aux 5 autres
30 novembre 2017
Envoi aux partenaires sociaux d’un projet de décret comprenant 6 modèles de lettres types de licenciement
30 novembre 2017
Décret n° 2017-1646 relatif à la suppression du contrat de génération
6 décembre 2017
Présentation d’un projet de décret au conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)
8 décembre 2017
Présentation d’un projet de décret à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC)
14 décembre 2017
Décret n°2017-1689 relatif au groupe d’experts
15 décembre 2017
Décret n° 2017-1968 sur la procédure devant le conseil de prud’hommes
Décret n°2017-1702 sur la procédure de précision des motifs des lettres de licenciement
Décret n° 2017-1703 sur le renforcement de la négociation collective
20 décembre 2017
Décrets n°2017-1723 et 2017-1724 sur les ruptures conventionnelles collectives
21 décembre 2017
Publication de la 6ème ordonnance (n° 2017-1718) au Journal officiel
21 décembre 2017
Décret n° 2017-1725 sur la procédure de reclassement interne en cas de licenciement économique
21 décembre 2017
Vote sur le projet de loi de ratification des ordonnances par la Commission des affaires sociales du Sénat
26 décembre 2017
Décret n° 2017-1767 sur les modalités d’approbation des accords dans les TPE
26 décembre 2017
Arrêté (SSAS1732464) fixant la liste des maladies professionnelles permettant un départ anticipé en cas d’incapacité permanente due à certains facteurs de risques professionnels
27 décembre 2017
Décret n° 2017-1766 de dissolution du fonds chargé du financement des droits liés au C3P
Décrets n° 2017-1768 et 2017-1769 sur la prévention et la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte personnel de prévention (C2P)
28 décembre 2017
Décret n° 2017-1818 sur la prise en charge de la rémunération des salariés participant aux négociations de branche
29 décembre 2017
Décret n° 2017-1813 sur le C3P
Décret n° 2017-1814 fixant les modalités d’abondement du CPF des victimes d’AT-MP
Décret n° 2017-1815 fixant les conditions d’octroi et les modalités de financement de l’abondement du CPF des victimes d’AT-MP
Décret n° 2017-1819 sur les modalités de fonctionnement d’un CSE
Décret n° 2017-1820 sur les modèles types de lettres de notification de licenciement
Décret n° 2017-1879 sur les mises à disposition temporaire de travailleurs entre entreprises dans un but non lucratif
Décret n° 2017-1880 sur l’abondement du CPF des salariés licenciés suite au refus d’une modification du contrat de travail
Arrêtés (MTRD1736794A) et rectificatif (MTRD1800675A) sur la dématérialisation des procédures de ruptures conventionnelles collectives
Arrêtés (SSAS1736544A, SSAS1736545A, SSAS1736546A,
SSAS1736551A, SSAS1736552A) relatifs au C2P
Arrêté (SSAS1736425A) nommant le liquidateur du fonds finançant le C3P
31 décembre 2017
Décret n° 2016-1999 sur la mise en œuvre du CPA pour les non salariés
24 janvier 2018
Adoption par le Sénat, avec modifications, du projet de loi ratifiant les ordonnances
31 janvier 2018
Accord de la Commission mixte paritaire sur le texte final de la loi de ratification des ordonnances
6 février 2018
Vote définitif de l’Assemblée nationale du projet de loi de ratification des ordonnances
14 février 2018
Vote définitif du Sénat du projet de loi de ratification des ordonnances
21 février 2018
Saisine du Conseil constitutionnel sur plusieurs points du projet de loi de ratification des ordonnances
21 mars 2018
Validation de l’essentiel des ordonnances par le Conseil constitutionnel, exception faite du 9è § de l’article 6 en cas d’annulation de l’élection de membres du CSE et des « cavaliers » des articles 9, 12, 14 et 20
31 mars 2018
Publication de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
1er juin 2018
Rejet par le Conseil d’État de l’ensemble des recours exercés par les syndicats pour excès de pouvoir contre certaines ordonnances
Si l’on prend en compte le rejet, le 1er juin 2018, par le Conseil d’État, des différents recours déposés par les syndicats, c’est sur plus d’un an que court l’ensemble de la procédure.
On peut se demander si légiférer par ordonnances fait vraiment gagner du temps. Suivre la « voie classique » aurait-il été moins rapide ?
Bien sûr, on peut incriminer les procédures. Mais la vraie raison de la lenteur ne vient-elle pas plutôt de l’absence de préparation ? De tous les projets présentés par les candidats à la présidence, celui d’Emmanuel Macron était le plus léger – en nombre de pages. Les propositions concrètes y étaient peu nombreuses. Il était également le seul à ne pas avoir de chiffrage. Bref, le candidat Macron n’était que peu préparé à accéder à la magistrature suprême. Son programme, il l’élabore, comme il se doit, « en marchant ». Et c’est sans doute cela qui explique bien des lenteurs.
De Gaulle, quoi que l’on pense de sa politique, savait probablement mieux où il allait et où il voulait emmener la France et les Français. Pendant les six mois où il exerça la présidence du Conseil, entre le 2 juin et le 21 décembre 1958 (où il fût élu premier président de la nouvelle Vème République), de Gaulle publia 335 ordonnances dans tous les domaines de la vie de ses compatriotes.
Il est vrai qu’on était encore sous la IVème République.
3 commentaires
plus vite vers le constructivisme ?
La conclusion de cet article est ambigue et discutable dans une vision libérale du sujet: reprocher à Macron de ne pas avoir de programme très précis et un objectif (sous entendu législatif) préconstruit, c'est défendre une forme de constructivisme en matière de code du travail. La solution libérale, c'est de supprimer la plupart des articles de ce code (hormis ceux qui touchent aux droits naturels des individus et personnes) et de promouvoir l'ordre judiciaire contractuel..
Bien sûr, on est d'accord : allégeons le code du travail, donnons davantage de liberté contractuelle. Mais ça non plus, ce n'était pas dans le programme de Macron !
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