La loi PACTE prévoit la privatisation de la société Aéroports de Paris, aujourd’hui détenue par l’État français à hauteur de 50,6%. Cette privatisation semble cependant faire l’unanimité contre elle. Gauche et droite sont unies dans un même élan anti-capitaliste. Tour d’horizon des (mauvais) arguments contre cette privatisation plus que bienvenue.
« ADP est une société rentable : inutile de privatiser ! »
Il est vrai que la société Aéroports de Paris est rentable. Le fait qu’une entreprise étatique (semi-étatique en l’occurrence) affiche des résultats positifs est suffisamment rare pour être souligné.
Mais la rentabilité d’une entreprise étatique n’est pas un obstacle à sa privatisation si l’introduction d’acteurs privés permet de faire encore mieux. L’appel à des acteurs privés permettra de renforcer les incitations à gérer ADP de manière plus productive en offrant des services aéroportuaires de meilleure qualité, en innovant davantage, et en optimisant encore plus ses coûts.
Par ailleurs, cette privatisation permettra à ADP de faire appel à des capitaux privés pour assumer de nouveaux investissements risqués mais nécessaires pour rester compétitif. La caution et l’assurance du contribuable seront épargnées par ce mécanisme.
Afin de ne pas anéantir les bénéfices de la cession des parts de l’État, il est néanmoins important d’écarter tout acteur gouvernemental de la liste des éventuels acquéreurs. Cela vaut pour les collectivités territoriales franciliennes qui se sont portées candidates. Cela vaut aussi pour les éventuelles entreprises qui seraient liées de près ou de loin à un État étranger (comme les entreprises d’État chinoises). Ces dernières pourraient d’ailleurs légitimement se voir interdire d’investir en France et en Europe au nom de la préservation d’une concurrence loyale dégagée des distorsions induites par des organisations bénéficiant de la garantie souveraine.
« ADP est un monopole naturel ! »
Cet argument puise son origine dans une vision erronée de la concurrence héritée des schémas de l’économie néo-classique. Pour les partisans de ce schéma, la concurrence n’existe que lorsqu’un service est en compétition avec un produit aux caractéristiques similaires. Les aéroports ne seraient en concurrence qu’avec les aéroports. Les vélos ne seraient en concurrence qu’avec les vélos, etc.
Certes, il n’est pas possible de « mettre sur le marché » un nouvel aéroport comme on sortirait un nouveau dentifrice. Mais cela ne signifie pas qu’une entreprise qui gère une infrastructure aussi intensive en capital qu’un aéroport ne subit aucune pression concurrentielle.
Tout d’abord, rappelons que comme toute entreprise, ADP est au carrefour de plusieurs marchés :
+a) – Le marché du travail :+
ADP est un demandeur de main d’œuvre qui recourt à du personnel ouvrier et qualifié pour de multiples missions impossibles à lister de manière exhaustive. Il est donc en concurrence avec d’autres employeurs dans de multiples secteurs de l’économie. ADP doit ainsi pouvoir gérer ses facteurs de production de manière efficace pour offrir des salaires compétitifs afin d’attirer des personnes qualifiées.
+b) – Le marché des capitaux :+
ADP est un demandeur de capitaux. La société est d’ailleurs cotée en bourse et a intérêt à attirer le plus d’investisseurs possibles. Il est donc en concurrence avec toutes les entreprises du monde qui recourent à des investisseurs pour financer leurs projets. Pour attirer des investisseurs, ADP doit promettre des dividendes compétitifs, donc optimiser ses coûts et fournir des services de qualité pour maximiser sa rentabilité.
+c) – e marché des infrastructures de transport et des services aéroportuaires :+
Concurrence ne signifie pas compétition avec des produits identiques, homogènes et substituables. Il s’agit d’un processus de rivalité entrepreneuriale où des solutions destinées à satisfaire un même besoin ou des besoins différents sont confrontées les unes aux autres.
Ainsi, de la même manière que la SNCF admet dans ses rapports annuels être en concurrence avec d’autres modes de transport (voiture individuelle, covoiturage, bus, aérien lowcost), ADP estime que ses plateformes franciliennes sont en concurrence avec d’autres services qui lui disputent sa clientèle principale constituée par les compagnies de transport et les voyageurs. Ces concurrents sont notamment :
– les grands aéroports spécialisés dans les plateformes de correspondance (hubs) basés en Europe et au Moyen-Orient,
– les grands aéroports européensqui pratiquent une politique tarifaire compétitive pour l’accueil des liaisons intercontinentales,
– les aéroports desservant l’Ile-de-France, pour leur accueil de compagnies low cost,
– les trains à grande vitesse pour les trajets de « moins de trois heures depuis Paris ».
+d) – Le marché global :+
De la même manière que concurrence ne signifie pas d’être compétition avec des produits identiques, elle ne signifie pas non plus compétition avec des solutions destinées à répondre à un même besoin. Dans la mesure où le consommateur ne se décide à voyager que s’il a satisfait ses besoins les plus urgents en premier lieu (se nourrir, se loger, etc.), un prestataire de services aéroportuaires est en concurrence avec toutes les industries de manière générale. Pour maximiser sa rentabilité et le trafic au sein de ses infrastructures, ADP doit donc pratiquer les tarifs les plus compétitifs possibles et fournir des services attractifs.
ADP gère des actifs stratégiques pour les Français
Qu’est-ce qu’un actif « stratégique » ? Il ne s’agit pas là d’un vocabulaire scientifique mais d’un vocabulaire politique et idéologique. Il n’existe aucun critère objectif pour désigner les actifs « stratégiques ». Le caractère stratégique d’une industrie dépend des préférences des individus. Certains accordent de la valeur aux aéroports. D’autres non.
En tout état de cause, il existe une manière très simple de vérifier le caractère « stratégique » d’ADP pour les Français. ADP est une société anonyme cotée en bourse. Les Français qui le veulent peuvent acheter des actions de la société en question. Si cette entreprise est aussi stratégique qu’on le prétend, nul doute que les Français se rueront pour y investir.
Il est par ailleurs incongru d’en appeler au caractère « stratégique » des infrastructures gérées par ADP Paris pour délégitimer tout investissement extérieur à l’État français quand on sait qu’ADP détient des participations dans les sociétés d’exploitation de services aéroportuaires dans des pays étrangers (Belgique, Guinée, Arabie Saoudite, Turquie, etc.). Autrement dit, prétendre que des aéroports ne peuvent être gérés que par des opérateurs publics locaux reviendrait à délégitimer les services qui font la réputation d’ADP dans le monde.
Pourquoi tuer la poule aux oeufs d’or ?
Le dernier argument qui justifie l’hostilité à la privatisation est relatif aux dividendes que perçoit l’État français. On peut objecter que la prospérité d’un pays ou d’une industrie ne dépend pas de la capacité d’un État à s’accaparer toujours plus le fruit de celle-ci, ni de l’étendue des moyens de production étatisée. Autrement, l’URSS aurait été le pays le plus prospère de la planète.
Cette prospérité dépend des incitations à se montrer toujours plus productif dans la fourniture de services utiles à la population. Or la culture de la rentabilité qui définit le secteur privé rend ce dernier plus qualifié pour cette mission.
Par ailleurs, l’argument des dividendes est quelque peu étrange. Après tout, l’État français dispose de bien d’autres moyens pour s’accaparer le revenu des entreprises qui ne lui appartiennent pas: la fiscalité.
Gageons que sur ce point, il est (hélas) peu probable que l’État français se désengage.
Bibliographie :
Rapport financier du Groupe SNCF, 31 décembre 2017
Document de référence et rapport financier annuel 2017, Groupe ADP
3 commentaires
Quelques ajouts
Dans ce projet de privatisation et les débats qu'il suscite, on oublie, comme toujours, les clients: les passagers bien sûr, mais aussi les compagnies aériennes, les agences de voyages, les prestataires extérieurs (taxis par exemple), les boutiques. En tant qu'ancien patron d'une des plus importantes entreprises françaises dans le voyage, je peux témoigner de la désastreuse image que j'avais d'Aéroport de Paris,sentiment partagé par les compagnies aériennes qui n'osaient rien dire publiquement! Nous attendions tous cette privatisations. Et je me demande pourquoi on ne privatiserait pas séparément Roissy et Orly, histoire de casser ce monopole!
Les ADP, vitrine de la France
Les ADP sont un phare d'accueil, une vitrine unique pour les millions de touristes étrangers qui y transitent. Il est donc évident que l'Etat français doit conserver la main sur la politique et la stratégie de développement des ADP !
C'est pourquoi, si je ne suis pas opposé à la privatisation des grands aéroports, je tiens à ce qu'ils restent français afin d'éviter que des capitaux étrangers viennent décider à notre place des orientations de ces organismes.
Privatiser ou pas ?
Le gouvernement fera sûrement un geste en faveur de Vinci qui n'a pas trop bronché après l'annulation en rase campagne pour faire plaisir à Hulot du projet ND des Landes. Que je sache, Vinci n'est pas une entreprise à caractère philanthropique, les taxes aéroportuaires d'ADP sont élevées et il est à craindre qu'elles n'aillent pas vers une baisse avec un opérateur privé (voir la privatisation des autoroutes !).