« La volonté d’être libre s’éteint en cas de péril et
se ranime une fois satisfait le besoin de sécurité. »
Bertrand de Jouvenel, 1945[1].
Prolégomènes: pourquoi cet essai
Lors d’une rencontre de l’Institut Libéral de Lausanne autour du thème : « Faut-il tolérer l’intolérance ? » j’évoquais, incidemment, l’objet qu’aborde la présente chronique. Je concluais mon propos par un constat que je reprends ici, presque mot pour mot :
« L’initiative privée se déploie d’autant mieux que les temps sont pacifiques : ainsi, au cours des années 1970, la démocratie forte et paisible qu’offrit Valéry Giscard d’Estaing aux français[2] promettait à chacun de vaquer à ses affaires et de poursuivre cette quête du bonheur pacifique que les constituants américains promirent à leur peuple en fondant cette grande République qui, depuis deux siècles et demi, conjugue l’épanouissement des hommes, la reconnaissance de leurs talents et l’art politique de pacifier la vie sociale.
Bien au contraire et de tous temps, les relations entre États sont dictées par des rapports de puissance. Selon les lieux, selon les circonstances et selon l’époque, les relations étatiques peuvent déboucher : soit sur une coopération active, soit sur une rivalité pacifique ; soit, au pire, sur un conflit ouvert. Dès lors, les règles qui régissent les relations pacifiques ne s’appliquent plus. » (Jutzet, 2022 p. 165-182)
Mon texte a pu surprendre, notamment du fait qu’il ne faisait guère référence à une pensée libérale au sens plein, telle que l’entend, à tout le moins, la doctrine depuis bientôt trois siècles[3]. J’évoquais surtout la ferme pensée du sociologue Raymond Aron (1905-1983), éminent analyste français des relations internationales, germaniste entraîné depuis sa jeunesse à comprendre et commenter la sociologie allemande, commentateur de Clausewitz. Aron fut reconnu bien au-delà de la France, tout au long de la période tourmentée qui débuta avec la République de Weimar (1918-1933) et s’acheva avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1989, événement dont il n’a pas été le témoin vivant.
Bien que sa plume ait souvent usé des termes « libéral » ou « libéralisme », j’admets qu’Aron ne fut pas un libéral au sens classique ; mais sa longue carrière, particulièrement à sa maturité, fut attachée aux libertés civiques et politiques ; il s’opposa fermement aux tyrannies. A ce titre, au moins, Aron avait largement raison, qu’on le considère comme libéral ou pas !
C’est pourquoi j’endosse certaines de ses vues, particulièrement sur la guerre et la paix. On les comprend d’autant mieux qu’elles furent conçues et exprimées dans notre propre langue !
En préparant cet essai, je me suis tourné vers un autre contemporain disparu dont une sentence est en exergue : talent original, assez inclassable, Bertrand de Jouvenel vécut les deux grandes guerres. Il en tira des leçons réunies dans son « livre de guerre » publié à Genève en 1945, réédité à Paris trente ans plus tard: Du Pouvoir. En partie rédigé en 1943, l’ouvrage est ponctué d’aphorismes : « L’histoire est lutte de pouvoirs » ; puis, après quelques lignes : « Entre pouvoirs de la même espèce, l’état naturel est la guerre » (p. 169) ; un peu plus loin : « Tout est jeté dans la guerre, parce que le Pouvoir dispose de tout » (p. 187).
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Nécessité fait loi