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L’Ethique de la redistribution

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Si Bertrand de Jouvenel est souvent classé dans la catégorie des penseurs libéraux, il n’en a pas été toujours ainsi, car ses idées n’ont eu de cesse d’évoluer. Mais il s’agit bien cette fois du personnage libéral que l’on retrouve dans L’Ethique de la redistribution, édité aux Belles Lettres. Cet ouvrage inédit regroupe deux conférences données par l’auteur à l’Université de Cambridge en 1949, qui est désormais reconnu par ses pairs sur la scène des idées politiques grâce au succès que lui avait conféré son précédent ouvrage : Du Pouvoir, publié quelques années plus tôt.

La traduction, puis la publication par Les Belles Lettres, de ces deux conférences arrive à point nommé en France, à l’heure où le débat sur les inégalités ne se cantonne plus à la sphère académique et gagne l’opinion publique. Ce rejet des inégalités semble plus que jamais justifier toute forme de redistribution et c’est précisément la raison pour laquelle la lecture de Jouvenel est encore aujourd’hui si pertinente : elle nous donne à réfléchir sur les soubassements politiques et économiques de la redistribution. C’est ainsi que Jouvenel retrace en particulier le développement et l’expansion sans fin des pouvoirs de l’Etat pour mieux en faire la critique.

L’égalité forcée

Rappelons tout d’abord que Jouvenel définit la redistribution comme « un prélèvement opéré sur les revenus les plus élevés, afin d’apporter un supplément aux revenus les plus bas ». Bien souvent, « le désir de redistribuer se conjugue étroitement avec un sentiment d’indignation […] ». Sans pour autant rejeter l’entraide et la solidarité, Jouvenel se demande « si la politique de redistribution offre la méthode la plus efficace pour résoudre la question de la hausse des revenus médians du travail et si l’on peut en attendre quelque chose ; enfin, si elle n’entre pas en conflit avec d’autres objectifs sociaux, tout aussi légitimes ».

Le système de redistribution se caractérise par la détermination de deux seuils : celui de la sous-consommation et celui de la surconsommation. Il apparaît en effet inacceptable qu’un individu puisse rester indéfiniment dans la misère. A l’inverse, les tenants de la redistribution s’accordent sur le fait que le luxe ostentatoire n’est pas désirable. Il existerait donc un espace acceptable de consommation, dont les deux extrêmes correspondent respectivement à un plancher et à un plafond de la consommation. Au-delà de ce plafond, les revenus sont facilement taxables, – dont la somme globale doit pouvoir financer l’augmentation des revenus des plus pauvres.

Il est vrai que le niveau de richesse d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui du début du 20ème siècle, ni même des années 1950, époque où Jouvenel écrit ces lignes. Néanmoins, le constat reste le même, la conviction d’une mauvaise répartition de la richesse ne peut être le fondement d’une politique économique juste. Autrement, cela reviendrait à déterminer notre système de redistribution avec pour seul critère le « sentiment » d’injustice.

Mais très vite, Jouvenel s’aperçoit que le principe de redistribution ne consiste pas uniquement à transférer la richesse des plus riches vers les plus pauvres. Pour que le système soit financièrement stable, il faut en effet que les classes moyennes y participent également.

C’est l’illusion que l’on se fait de « nos sociétés qui regorgent de richesses, mais seulement mal réparties… Cette certitude a été répandue à mauvais escient par les chantres de l’abondance dans les années trente ». Il est vrai que le niveau de richesse d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui du début du 20ème siècle, ni même des années 1950, époque où Jouvenel écrit ces lignes. Néanmoins, le constat reste le même, la conviction d’une mauvaise répartition de la richesse ne peut être le fondement d’une politique économique juste. Si c’était le cas, cela reviendrait à déterminer notre système de redistribution sur le seul critère du « sentiment d’injustice ».

Pour contourner cette difficulté, nombreux sont ceux qui ont tenté de justifier la redistribution par une approche purement rationnelle. Du point de vue de l’économiste, on dit que l’utilité marginale est décroissante lorsque pour chaque unité de consommation supplémentaire d’un même bien, la satisfaction du consommateur décroit. Ce concept est de ce fait étendu au revenu, qui permet de justifier toutes les formes de taxation favorisant la redistribution des revenus. Or ces satisfactions sont difficilement mesurables, car les utilités marginales sont toute relatives. Ainsi, ce système relève plus d’une égalité imposée que d’un quelconque effet de redistribution.

Le Minotaure remplace le Léviathan

Par ailleurs, « si la finalité des efforts déployés par une société est la production d’un nombre accru de biens, pourquoi voudrait-on que le même objectif poursuivi par un seul individu, fût condamnable ? Le socialisme souffre d’une ambiguïté dans ses jugement de valeur : si le bien de la société, c’est l’accroissement des richesses, pourquoi le concept ne serait-il pas avéré pour un seul individu ? ». Jouvenel s’attache donc méthodiquement à pointer toutes les contradictions internes de cette explication pseudo-rationnelle.

L’auteur note un second problème que soulève notre système de redistribution, tel qu’il est conçu encore aujourd’hui. « Tout surcroît de redistribution signifie un surcroît de pouvoir dévolu à l’Etat ». C’est ainsi que, pour Jouvenel, l’ensemble des individus a transféré son pouvoir de décision à l’administration. De fait, « l’Etat s’octroie le rôle d’un curateur vis-à-vis de ceux qui sont moins bien nantis, et distribue ses services et ses prestations sociales. Afin d’éviter de créer une « classe protégée », qui provoque une discrimination fatale à l’égalité politique, l’Etat a choisi la solution qui consistait à étendre, en tirant vers le haut, l’offre de services et d’allocations à tous les membres de la société, […] ou encore à assister dans la maladie les nantis au même titre que les économiquement faibles. […] A dire vrai, les pouvoir publics n’ont d’autre choix, s’ils veulent pouvoir donner à tous, plutôt que de prendre à tous ».

Ces politiques de redistribution- se trouveraient, pour Jouvenel, à l’origine des budgets considérables suscités par l’expansion des prestations sociales, qui justifient elles-mêmes un pouvoir toujours plus important conféré à l’Etat par l’intermédiaire de l’impôt. Sous prétexte d’aider les plus pauvres, l’Etat se nourrit ainsi de la liberté individuelle ; et en accroissant sans cesse sa contrainte, il se transforme en Minotaure !

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