Dans le décorum de Versailles, M. Macron a demandé ce 9 juillet au Parlement de voter la remise en cause de la distinction établie entre le Président et le Premier ministre par la Vème République. C’est le sens de son amendement au projet de loi constitutionnelle qui permettrait que, lors de chaque Congrès, le Président de la République puisse rester non seulement pour écouter les parlementaires réunis, mais pour pouvoir leur répondre, ce qui réduit le rôle de son Premier ministre. Il faut alors aller plus loin et se poser la question de l’utilité de conserver la fonction du Premier ministre. Mais c’est alors tout un autre équilibre des pouvoirs qu’il faut instaurer car en l’état seul le Premier ministre est responsable devant les Chambres.
Au demeurant, M. Macron ne dévie pas de sa ligne à l’occasion de ce discours du « Trône ». Il confirme son attachement en tout à l’Etat et particulièrement à « l’Etat providence du XXème siècle » qu’il veut construire comme le « modèle français de notre siècle ». Il veut un « État providence émancipateur, universel, efficace, responsabilisant », mais pour lui responsabiliser veut dire qu’il s’agirait d’un Etat « couvrant davantage, protégeant mieux », ce qui relève de l’oxymore.
Il reconnaît aux entreprises leur rôle essentiel de créatrices de la richesse qu’il faut d’abord produire avant de penser à la distribuer. Et il se préoccupe de les respecter fiscalement les investisseurs, ne serait-ce que pour éviter qu’ils quittent le territoire national ou pour qu’ils y reviennent. Mais son obsession est bien la distribution, sans prendre en compte suffisamment le fait que l’économie est un gâteau auquel tous contribuent, y compris les épargnants, même lorsqu’ils placent leur argent à l’étranger. Il s’engage encore à ce que le gouvernement présente d’ici la fin de l’année un ensemble de décisions pour faire baisser les dépenses publiques dans le cadre d’une « transformation indispensable de l’action publique ». Mais pour le moment, ça n’est qu’un discours, des mots pour se faire plaisir et faire plaisir
Il veut s’attaquer aux racines profondes des inégalités de destin, pour que « ce ne soient plus la naissance, la chance ou les réseaux qui commandent la situation sociale, mais les talents, l’effort, le mérite », pour que tous ceux qui veulent sortir de leur condition puissent le faire. Il prétend ainsi renouer avec l’idéal français des Lumières. Mais celui-ci fondait à juste titre son combat sur l’égalité des droits, non sur l’égalité des conditions car il savait que toujours la volonté de construire des cités parfaites engendre la terreur. L’Etat doit être attentif à ce que tous ceux qui n’ont pas la capacité de se prendre en charge bénéficient non seulement des mêmes droits mais de la possibilité d’accès à ces droits. C’est le cas des enfants face à l’éducation ou des infortunés de la vie lorsqu’ils sont sans moyens après avoir perdu la maîtrise physique ou psychologique d’eux-mêmes. Mais nous avons tous des destins différents comme nous sommes tous dissemblables. Il est impossible de permettre à tous une « égalité de destin », comme il dit désormais, ou d’égalité de conditions comme il disait antérieurement, car en la matière, il ne suffit pas de prendre aux uns et de donner aux autres pour que la magie de l’égalité opère. Promettre une égalité de condition, c’est faire croire à tous qu’ils ont des droits sur les autres, que ceux-ci ne leur ont jamais accordés, grâce auxquels ils pourront accéder à ce qu’ils veulent. Et comme ce n’est pas possible, ceux qui ne réussiront pas diront toujours que c’est parce qu’ils n’ont pas eu assez de moyens mis à leur disposition, ils seront aigris et révoltés.
Il se trompe donc lourdement lorsqu’il veut amplifier encore la sécurité sociale à la française dont il fait l’éloge et regrette les insuffisances. Il continue de vouloir prendre aux uns, par exemple sur les pensions de réversion, dont il ne garantit que celles des retraités d’aujourd’hui, pour donner aux autres en étendant l’assurance chômage aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires.
Il se targue du fait que les assurances sociales sont de plus en plus prise en charge par l’impôt, notamment la CSG, et les employeurs, de telle sorte qu’il n’y a plus de droit individuel dit-il, « il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé ». C’est précisément ce qui s’appelle déresponsabiliser et faire accroire encore un peu plus que l’Etat est « la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » ( cf. Journal des débats,1848 ; ou Frédéric Bastiat, éd. Guillaumin, 25 septembre 1848, t. 4, p. 332).
S’il était vraiment libéral, comme une doxa ambiante le répète faussement à l’envi, après avoir plaint « enfin les plus âgés vivant en situation de dépendance ; là, se niche l’angoisse des personnes âgées et celle de leur famille,… » il mettrait en place une réforme des retraites par laquelle tous pourraient, du moins progressivement et partiellement mais largement, cotiser par capitalisation pour que ceux qui sont en situation de dépendance puissent compter sur autre chose que les retraites misérables et évanescentes de la Sécurité sociale rongées par une démographie du travail déclinante. Mais il s’obstine à croire que tout vient de l’Etat par l’Etat, même notre liberté. Lorsque la dépendance s’accroît, l’Etat n’en est que plus fort puisqu’il secourt les uns en pressurant les autres et que tous sont ainsi dans sa main. C’est sans doute ce qu’il souhaite au fond de lui.
Jean-Philippe Delsol