Avec les élections américaines et la nomination d’un nouveau gouvernement en France, le Canada fait peu parler de lui. Pourtant des changements politiques importants sont à venir. Tous les sondages indiquent que le parti conservateur de Pierre Poilievre va gagner les élections fédérales avec une forte majorité, mettant ainsi fin au règne du parti libéral de Justin Trudeau qui dirige le pays depuis 2015. Si cette tendance se maintient, le Canada va connaître un tournant libéral classique (voire libertarien) s’éloignant de l’interventionnisme étatique de Trudeau.
Petite précision préalable : le « libéralisme » au sens américain du terme est interventionniste, aussi bien sur le plan politique que dans le domaine économique. Le parti conservateur canadien est traditionnellement plus libéral, au sens français du terme, que le parti dit libéral.
Les élections doivent avoir lieues au plus tard à l’automne 2025. Le gouvernement actuel de Trudeau est minoritaire. Il dirigeait grâce à un accord avec le Nouveau Parti démocratique (NPD), le parti de gauche social-démocrate. Cet accord ayant été rompu au début du mois de septembre, le gouvernement pourrait être forcé à démissionner en cas de vote de confiance. Une situation qui pourrait provoquer des élections anticipées.
Une percée des conservateurs jusque dans les grandes métropoles
Lors des précédentes élections en 2021, le parti libéral de Trudeau avait réussi à remporter 160 sièges sur les 170 nécessaires pour avoir la majorité absolue. Les conservateurs n’avaient que 119 sièges. Ces derniers avaient toutefois gagné le vote populaire avec 33,7% des voix contre 32,6% pour les libéraux mais le mode de scrutin avait permis aux libéraux d’avoir plus de sièges.
L’équilibre des forces a changé depuis. En septembre 2024 et selon un sondage de Leger Marketing, les votes en faveur des conservateurs sont estimés à 45%. Les libéraux seraient à 25%. L’institut Nanos Research donne des chiffres un peu différents : 38,9% pour les conservateurs et 26,7% pour les libéraux. Le 20 octobre 2024, les conservateurs sont estimés à 42% et les libéraux à 23%. La droite canadienne est sur une pente ascendante, tandis que la popularité du parti de Trudeau baisse régulièrement.
Quant aux projections pour les sièges et en se basant sur les sondages de septembre, le parti conservateur en obtiendrait 212 et les libéraux 77 seulement. En octobre, les conservateurs pourraient en avoir 219 et les libéraux 58. Une majorité que la droite canadienne n’a plus connue depuis 1984 avec Brian Mulroney où le parti avait 211 sièges.
Fait intéressant, le centre et la gauche canadiens (libéraux et NPD) seraient en difficulté dans les circonscriptions des grandes métropoles comme Toronto ou Vancouver. En avril 2024, à Toronto, les conservateurs comptaient entre 35 et 40% d’intentions de votes. En mai 2024, ils étaient en tête dans l’agglomération de Vancouver avec 46%. Leur victoire surprise lors de l’élection partielle du 24 juin 2024 à Toronto–St. Paul’s confirme cette tendance. Les grandes villes occidentales, elles, sont devenues ces dernières décennies, des bastions de la gauche (on peut le constater en France et aux Etats-Unis). La percée de la droite canadienne dans de telles « forteresses » politiques montre bien le malaise vis-à-vis de la politique actuelle de Trudeau (et de ses anciens alliés du NPD) ainsi qu’une envie de changement. La seule exception semble être Montréal qui devient le dernier bastion du parti libéral. La circonscription de Justin Trudeau est d’ailleurs dans cette ville. Au Québec, c’est d’ailleurs toute la province – la seule du Canada – qui reste réfractaire : le Bloc Québécois, un parti souverainiste de gauche, continue de dominer. Cependant, le parti conservateur parvient à gagner en popularité, En septembre, il était à égalité avec les libéraux au niveau des intentions de vote. Leur percée dans la province qui leur est la plus hostile n’est pas à négliger.
Dernière tendance marquante : les jeunes entre 18 et 34 ans sont désormais la tranche d’âge la plus favorable aux conservateurs avec 47% de soutien.
Les Canadiens veulent tourner la page Trudeau
Cet engouement pour les conservateurs exprime surtout un rejet de Trudeau et de ses politiques. Quand Trudeau a été élu en 2015, le budget était en équilibre, mais depuis le Covid la gestion des finances publiques a dérapé : en 2021, le déficit représentait 3,2% du PIB canadien. En 2024, l’Office des statistiques du Canada donne l’alerte sur le fait que le déficit se creuse : au premier trimestre, les dépenses de l’administration publique fédérale ont augmenté de 12 % mais les recettes, de seulement 4,5%. Une dégradation qui inquiète désormais 59% des Canadiens.
Pour ne rien arranger, le Canada subit une importante crise du logement. Elle est imputable à plusieurs causes, notamment les réglementations locales qui empêchent de construire. Trudeau n’en est pas directement responsable, mais la crise a accru la défiance envers le gouvernement et sa politique migratoire qui a permis à de nombreux migrants d’Asie (principalement d’Inde et de Chine) de venir en masse. Enfin, la hausse de la fiscalité avec l’annonce début 2024 que les gains en capitaux seraient encore plus taxés n’a guère renforcé la popularité du Premier ministre et ne contribue pas au développement économique du pays.
D’autant plus que si le parti libéral du Canada défend un «libéralisme» au sens américain (donc, comme nous l’écrivions en préambule, interventionniste économiquement et politiquement), il a été dans le passé plus centriste. Le parti libéral de Jean Chrétien des années 1990 fut plus respectueux des dépenses publiques et déboucha sur un surplus budgétaire. Un parti libéral plus centriste sans Trudeau pourrait retrouver plus de poids.
Dans l’immédiat, les indicateurs montrent que le parti conservateur est bien placé pour gagner les futures élections. Pierre Poilièvre a « droitisé » le parti et s’il joue parfois la carte populiste, on ne peut le comparer à un Donald Trump. Il se définit lui-même comme un « conservateur, champion du libre marché ». Pour faire place à la liberté individuelle et à la responsabilité, il croit qu’il faut limiter la taille du gouvernement. Une victoire de Poilièvre pourrait être l’occasion de voir le retour des « libéraux classiques » à la tête du Canada.