Le coronavirus a mis la mondialisation en accusation. Un virus venu de Chine, diffusé par des touristes et des gens de tous pays, y compris des immigrants. Des masques, des tests, des médicaments venus d’ailleurs, rançon de notre dépendance du reste du monde : pourquoi ne pas vivre heureux à l’intérieur de notre Hexagone, voire d’une Europe réduite à sa plus simple expression ?
Cette dépendance rejoint curieusement celle qu’inspirent les menaces qui pèsent sur la planète : le virus fait peur, et la peur nous habite parce que le monde entier est menacé par le cataclysme écologique qui nous attend. Pandémie virale et pandémie écologique se conjuguent facilement dans l’esprit d’une grande partie des Français. D’ailleurs les Chinois, au même titre que les Américains, ne nous conduisent-ils pas à la catastrophe tant écologique qu’économique ? Il serait donc temps de se donner un nouveau mode de vie qui nous affranchirait de cette redoutable pression des grandes puissances. Pour ceux qui en arrivent à cette conclusion, la mondialisation s’inscrit dans un schéma de lutte contre l’impérialisme, de révolte contre les excès et les exploitations dont nous serions victimes.
Certes, la crise sanitaire a été l’occasion d’intenter d’autres procès : contre la gestion par les États, contre l’organisation de la santé publique, contre le désordre de la recherche médicale, contre le manque de praticiens et de personnel, contre les délires bureaucratiques. Mais les autorités mises en cause ont réussi à sauver leur réputation : les fautes seront corrigées, les pertes seront remboursées, les victimes seront indemnisées. De plus, en France, les dirigeants se déchargent aussi de leurs erreurs sur la mondialisation et prêchent une croisade contre un système mondial régi par la loi du profit aux dépens de la loyauté, de la moralité et de la nature. Alors, une autre mondialisation est-elle souhaitable ? Est-elle possible ?
Répondre à ces questions implique une définition, fût-elle approximative, de la mondialisation. Je propose de cerner la mondialisation à travers ce qu’elle a été dans l’histoire de l’humanité : une recherche (souvent vaine ou éphémère) pour parvenir à la suppression totale ou partielle des frontières économiques dressées par les États, et déboucher sur la libre circulation des produits, des services, des entreprises, des capitaux et des personnes. Le marché cesse alors d’être national et confiné pour devenir mondial et ouvert à tous. J’ai bien conscience qu’associer mondialisation et marché commun semble réduire la mondialisation à sa seule dimension économique, mais chemin faisant je reviendrai sur d’autres aspects de la mondialisation : géopolitique, culturel, éthique.
1. La mondialisation en marche
La mondialisation a une histoire, et très instructive. L’idée de commerce en dehors d’un espace local ou national est certainement née autour de la Méditerranée et explique que Notre Mer ait été au cœur de la civilisation occidentale. L’effondrement de l’Empire romain plonge l’Europe dans le chaos politique, le Haut Moyen Age est un repli sur soi. Toutefois les relations commerciales sont reprises avec les villes marchandes d’Italie et la « route de la soie » aurait pu réamorcer un libre-échange avec des contrées asiatiques lointaines. L’élargissement de l’espace connu s’opère avec Christophe Colomb et 1492 passe pour la date d’ouverture des « temps modernes ». Mais la reconstitution d’États et le chryso-hédonisme ont débouché sur le mercantilisme : l’or et l’argent du Nouveau Monde doivent entrer dans le pays mais ne point en sortir. Ce protectionnisme stupide va notamment condamner l’Espagne à l’inflation et à la ruine. Par contraste Hollandais et Anglais misent sur la mer, les « marchands aventuriers » exploitent les richesses de l’espace mondial sans cesse élargi, le droit des gens et les tribunaux de commerce permettent d’affermir les relations contractuelles. La France, riche de ses mamelles « labourages et pâturages », prend du retard dans le commerce mondial, elle demeure un pays de paysans et d’artisans, en dépit de la volonté de Colbert de développer manufactures et marine royales. La révolution industrielle naît en Angleterre à la suite de la disparition par la loi des « commons » (terres communes improductives) et l’apparition de la firme. En 1776 Adam Smith explique comment la richesse des nations vient de l’élargissement des échanges. La marche vers la libéralisation des échanges est amorcée, mais elle est perturbée par les conflits et les guerres.
Au XIXème siècle l’urbanisation et la multiplication des ouvriers d’industrie posent le problème du pouvoir d’achat, et en Angleterre la lutte s’engage entre les landlords (propriétaires des terres qui veulent interdire toute importation de grains) et les industriels qui veulent ces importations pour maintenir le pouvoir d’achat des ouvriers sans augmenter les salaires. Cobden et la Ligue pour le libre commerce défendent les consommateurs contre les producteurs. Avec un relatif apaisement des conflits un traité de libre-échange est signé entre Angleterre et France. Il contient la « clause de la nation la plus favorisée » : si d’autres traités passés avec d’autres nations contiennent des clauses plus avantageuses pour le commerce, elles seront automatiquement reconnues aux signataires. Le libre échange semble bien progresser dans le monde entier, mais dès 1891 la France restreint la liberté en ce qui concerne les produits agricoles : c’est le fameux « tarif Méline » et jusqu’à ce jour les paysans ont réussi à faire pression sur les gouvernants pour échapper à la concurrence mondiale.
La première guerre mondiale met fin à la marche vers la mondialisation. Entre 1918 et 1939 le nationalisme économique s’exacerbe, aggravé par la crise de 1929 à laquelle tous les Etats réagissent par des politiques autarciques. Le volume du commerce mondial diminue de 80 % entre 1930 et 1939 et se réduit à des accords de troc passés par les gouvernements. Le nationalisme économique engendre le nationalisme politique et le socialisme, le communisme et l’hitlérisme rompent avec l’économie de marché. Ces funestes erreurs n’échapperont pas à ceux qui dès 1944 veulent reconstruire un monde apaisé. A Dumbarton Oaks les gouvernements alliés mettent en place deux piliers du désarmement économique mondial : le pilier monétaire avec la création du Fonds Monétaire International, et le pilier commercial avec le projet de World Trade Organisation. Mais le Congrès américain n’en veut pas, de sorte qu’on se contente de lancer le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade consigné dans le Charte de La Havane, qui n’est pas une organisation, mais un accord multilatéral, qui n’est signé que par 23 pays fondateurs, dont la Chine !). Mais l’URSS refuse de s’associer à ce retour au libre échange qui serait un outil de l’impérialisme capitaliste (thèse de Lénine et Rosa Luxembourg). Pendant 44 ans la guerre économique accompagnera la guerre froide entre le bloc communiste planificateur (organisé en Europe par le Comecon) et l’Occident. Bien que les pays dits « libres » connaissent le désordre monétaire et douanier.
Ce désordre s’explique par plusieurs facteurs : il y a d’abord les vestiges du protectionnisme des années 1930, qui ne sont pas tous éteints, il y a aussi la mode des plans quinquennaux (en France en particulier), il y a encore l’émergence de l’État Providence car le financement de la justice sociale coûte cher, il y a enfin la découverte du tiers-monde que certains attribuent aux échanges internationaux, Tout cela requiert des expédients comme le contrôle des changes, le blocage des mouvements de capitaux, les dévaluations, les normes restrictives. Et tout cela crée inflation et chômage. La science économique se met à l’heure keynésienne, qui n’est compatible qu’en économie fermée. Certes une certaine libération des échanges parvient à se développer entre les pays de l’OCDE, générant une croissance économique remarquable et inattendue, mais le compte n’y est pas. Un exemple significatif est celui du traité de Rome qui illustre le non-choix entre marché et plan : libre échange pour les produits industriels (disparition des tarifs douaniers y compris du Tarif Extérieur Commun), protectionnisme et planification pour les mines, l’énergie, l’atome, les transports, et surtout l’agriculture (« responsabilité communautaire » et politique agricole commune). Finalement les chocs pétroliers conduisent en 1974 à une rupture avec les politiques keynésiennes et la réaction libérale s’incarne avec l’ère Thatcher-Reagan. S’amorce alors la désagrégation du bloc communiste en Europe, au point que l’on peut croire à partir de 1991 et de la chute du mur de Berlin à « la fin de l’histoire » (Francis Fukuyama). La mondialisation aurait-elle achevé sa marche ? Peut-elle nourrir tous les espoirs ?
7 commentaires
Une autre mondialisation ?
Excellent exposé qui englobe toutes les problématiques traitées souvent séparément.
Lecture claire à mettre dans toutes les mains des lycéens.
Je mesure l’endoctrinement que j’ai subi en licence de sciences économiques dans les années 65-69
J’ai parlé de Keynes le gourou anglais de l’époque.
Merci pour tous
Bernard CADOT
diplôme d’ingénieur et licence de Sciences éco avec IAE à Lyon
Une autre mondialisation ?
Belle démonstration que je partage. Le libre échange est en effet le seul garant des libertés. Une seule chose manque à l’analyse : la démographie planétaire. Je pense que toute solution passera nécessairement par un contrôle démographique qui reste à inventer.
Une autre mondialisation ?
« les vertus morales qui vont de pair avec la liberté : l‘esprit de service, le sens des responsabilités, le goût de l’effort et du partage, le respect des autres, la tenue de ses engagements ».
Des vertus aussi présentes chez TOUS les gouvernants que la célèbre arlésienne.
Tant que le personnel politique sera colonisé par la Mafia, la mondialisation heureuse restera un vœu pieux.
Une autre mondialisation ?
Article très intéressant. Oui, nous pourrions très bien vivre heureux, comme tant d’autres pays, à l’intérieur de notre hexagone. Mais pour cela il faudrait accepter d’évaluer les bénéfices et les aspects négatifs que nous ont apporté notre appartenance (forcée) à l’UE. Sujet tabou, l’UE est forcément un progrès nous dit on. Très bonne remarque au début de l’article : la mondialisation de la peur avec le Covid 19 et la catastrophe écologique annoncée qui sont deux techniques destinées à nous faire accepter n’importe quoi. La mondialisation pour les échanges économiques et de savoirs existe déjà et elle continuera. La mondialisation pour que tout le monde, tous les pays et tous les individus marchent au même pas ce n’est pas la même chose. Celle là il faut la combattre.
Une autre mondialisation ?
Problème dans la phrase ci-dessous:
au paragraphe: 1. La mondialisation en marche
« La mondialisation a une histoire, et très instructive. » ….C’est incompréhensible!
Il me semble que la conjonction de coordination « et » devrait être remplacée par le verbe être à la troisième personne du présent de l’indicatif soi => « est »
Votre phrase devient alors:
« La mondialisation a une histoire, est très instructive », il serait préférable de lui rajouter enocre le pronom relatif sujet « qui » pour améliorer sa compréhension:
« La mondialisation a une histoire, qui est très instructive ».
Merci d’apporter les corrections nécessaires
PhB
Une autre mondialisation ?
merci pour ce très bon articlle un petit mot est venu ‘contre’ et oui c’est pourquoi je soutiens absolument Mme LUDIVINE DE L A ROCHERE qui a toujours le mot juste et modéré il y a déjà beaucoup de malheurs a colmater et ce monde est trop grans merci pour nous avoir résumé les grands TEMPS mais je pense a nos Chartreux ‘elle tourne’ le côté langage « silicet’ donne toute la qualité a cette langue mais chacun y va de son grain de sel et on va vers le grand déclin car rien de nouveau orgueil jalousie et mensonges (d’ailleurs par connaissances limitées, omission)
et bien faisons confiance en la DIVINE PROVIDENCE !!!!
et oui on est contre tout et notre SAcha Guitry disait(‘je suis contre les femmes tout contre !)
merci mais n’oublions pas les mots vocations !!! et le plus dur c’est d’accepter sa route !!!
Une autre mondialisation ?
D’accord avec vous si les personnes qui gèrent les intérêts de la France dans la mondialisation ne sont pas des bourgeois de Calais (Amiens est proche). Les multiples dépendances dont nous souffrons ne sont pas pour me rassurer.