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Chute de la maison Bankman : que penser de l’affaire FTX ?

Cet article est extrait du Journal des libertés n°20 (printemps 2023)

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 Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal ! »

Jean de La Fontaine : Les animaux malades de la Peste, Fables, VII, 1

La faillite de la plate-forme d’échange de cyber-monnaies FTX, installée dans l’archipel des Bahamas, au large de la Floride et de l’île de Cuba, défraye la chronique financière depuis les premiers jours de novembre 2022. Au-delà de son caractère spectaculaire, cette affaire réveille le débat politique, très acide, que soulèvent les jetons monétaires dont le Bitcoin fut l’emblème principal depuis sa création en 2009.
Après avoir fait capoter l’initiative du groupe 
Facebook qui tenta de lancer en 2019 une cyber-monnaie privée sous l’égide d’une fondation genevoise, sous la marque Libra, projet abandonné l’an dernier, les autorités monétaires, appuyées par une partie du monde financier et de la doctrine, semblent décidées à faire rentrer ces « jetons » dans le rang et à leur appliquer les obligations réglementaires et statutaires qui encadrent toute l’intermédiation financière : banques, bourses, fonds d’investissement, courtage en monnaies etc. Rebondissant sur une actualité encore chaude, cette chronique tente de résumer les faits et les circonstances et d’évaluer les premières retombées de la faillite FTX. Elle évoque pour conclure quelques leçons qui pourraient en être tirées pour l’avenir.

Un point sur les faits

L’affaire FTX mûrit au cours des premiers jours de novembre 2022 : le 2 novembre, une information publiée par le site Coindesk souligne que le fonds d’investissement Alameda Research, fondé en 2014 par Sam Bankman-Fried[1], accumulait, depuis quelques semaines, des pertes qui pourraient menacer sa solvabilité. La plate-forme FTX (abréviation de Futures Exchange créée en 2019 par le même « SBF ») prête alors au fonds Alameda un portefeuille de jetons FTT (pour FTX-Tokens) émis par la plate-forme FTX. Cet actif est comptabilisé pour 5,8 Mds$, valorisé au prix de la cote qui tourne autour de 25 $ le jeton, de septembre 2022 aux premiers jours de novembre.

Binance, la principale plate-forme d’échange mondial de crypto-monnaies par son volume d’affaires, concurrent direct de FTX, comptait aussi à son actif, au même moment, un demi-milliard de dollars en jetons FTT ; or son patron et principal actionnaire Chang Peng Zao annonça brusquement le 6 novembre qu’il soldait cet investissement, effondrant ainsi le cours du jeton FTT qui tomba au-dessous de 3 $ pièce, pour ne plus remonter ! Cet intermède tragi-comique se poursuit pendant deux jours : Binance laisse entendre qu’il pourrait racheter FTX, puis se dédit ! Les dés sont dès lors jetés : le 11 novembre, Alameda Research, FTX, ainsi que leurs filiales, se déclarent faillis.

Tous les dirigeants de ces firmes sont démis de leurs fonctions ; un administrateur judiciaire prend le relais[2] tandis que des poursuites sont engagées à l’égard des principaux associés d’Alameda et de FTX, à plusieurs titres, aux Bahamas et surtout aux États-Unis : les chefs d’accusation retenus comprennent : l’association de malfaiteurs, le détournement de fonds, l’abus de confiance, le défaut de comptabilité, des manœuvres frauduleuses, l’abus de bien social etc.[3] Extradé des Bahamas puis libéré sous une caution de 250 millions $, assigné à résidence chez ses parents en Californie, Sam Bankman-Fried plaide non-coupable ; son associée et amie proche, Caroline Edison, directrice exécutive d’Alameda-Research ainsi que son copain Gary Wang, associé avec « SBF » depuis le début de cette vaste aventure, plaident coupables et disent coopérer avec la justice américaine.

Retombées visibles de cette faillite

Le Point du 8 décembre 2022 titra : « L’escroc du siècle », en première de couverture ; il publia un dossier de 22 pages rédigé à chaud par son envoyé spécial aux Bahamas qui rassembla des données sur les lieux, les gens et les conséquences les plus immédiates de cette affaire ; ce dossier de presse, comme celui d’autre journaux suisses, britanniques et américains, ne dépasse guère les apparences auxquelles se limitent, le plus souvent, les tabloïds : il reprend des images d’Épinal sur les îles paradisiaques qu’est censée fréquenter la jet set, sur le prix astronomique des hôtels de la Caraïbe, sur le comportement moutonnier des personnalités du spectacle, du sport, de la finance et de la politique mondiale qui furent associées aux manifestation organisées à grands frais par FTX depuis deux ans. Comme la plupart de ses confrères, ce magazine aborde peu le fond de l’affaire, sinon par une brève citation du patron de la plate-forme Coinhouse (anciennement : La maison du Bitcoin, installée à Paris dans le quartier du Sentier) qui mérite d’être relevée : M. Louvet déclara : « FTX n’est pas une météorite » !

Cette sentence touche au fond car la flamboyante réussite de « SBF » n’est pas magique ; elle repose au contraire sur une vérité empirique : les entreprises qui créent, qui échangent et qui valorisent des jetons quasi-monétaires comme Bitcoin et Éther, ne sont pas fondées sur du sable ; elles exploitent l’extraordinaire potentiel de mémoire et de rapidité de l’informatique et des réseaux pour multiplier, étendre et renouveler les services financiers, à une échelle vraiment mondiale[4].

Premier état des lieux

Il faudra de nombreux mois pour faire l’état précis des actifs réalisables et donc du bilan réel de cette faillite. Elle impliquerait près d’un million de déposants et le montant global des dépôts piégés par cette affaire serait d’environ huit milliards de dollars, selon une première estimation de la CFTC[5] (Commodities Future Trading Commission) à laquelle se rattachait la pratique américaine de FTX.

Parmi les nombreux clients de FTX-Alameda, plusieurs sont de grands comptes dont les dépôts équivalent à des dizaines ou des centaines de millions de dollars. La plupart d’entre eux sont des investisseurs professionnels qui ont déjà assumé leurs pertes : des fonds d’investissement ou de capital-risque comme Softbank (100 M$), Temasek, fonds souverain singapourien (210 M$), Bravo (130 M$) ou Sequoia Capital (200 M$) etc. D’autres sont gérants de fortunes et de « families offices » (par exemple : Iconiq Capital qui gère les intérêts des fondateurs de Facebook, Twitter ou Netflix). Tous sont parfaitement au fait des risques qu’ils assument puisqu’ils placent le capital de leurs bailleurs de fonds dans des sociétés technologiques inventives dont l’objet social implique des opérations incertaines et risquées. Ce sont ces investisseurs professionnels que visaient les rassemblements spectaculaires organisés à grands frais par Bankman-Fried au cours de la vie sociale de FTX, à Miami ou aux Bahamas tout particulièrement.

A ces grand-messes, « SBF » et ses associés convièrent, comme ambassadeurs itinérants et, comme hommes-sandwiches, des célébrités du spectacle, du sport et des médias qui y participèrent soit parce qu’ils investissent eux-mêmes dans l’immobilier aux Bahamas ; soit comme animateurs rémunérés ! Toutes ces personnalités, politiques ou non, qui ont prêté leur nom et honoré de leur présence ces manifestations doivent évidemment en assumer les retombées[6].

Aux investisseurs institutionnels précédents se joignirent, comme partout où souffle l’esprit de risque depuis les années 1960, des individus qui vivent en osmose avec le milieu de l’informatique, de la communication, du jeu vidéo et des logiciels libres. Cette petite foule d’aficionados des technologies et du logiciel est apatride, nombreuse, mobile et de styles très variés : petits génies de l’informatique, codeurs, avocats, boursicoteurs, consultants etc. C’est en son sein que se recrutent les auteurs de blogs qui commentent, suivent et critiquent les cyber-jetons, les produits dérivés liés à ces jetons ainsi que les rencontres de ce microcosme très vivant ; cette foule bigarrée compte de petits entrepreneurs (start-up) nichés dans les deux Amériques, en Asie, en Europe et même en Afrique. Parmi eux se recrutent les développeurs qui entretiennent et conçoivent les plates-formes. Beaucoup d’entre eux ont ouvert des comptes en FTT (et dans d’autres jetons) tout en étant bien conscient du danger[7]. Initiés, ils savent ce qu’ils font, à la différence de ces moutons de Panurge qu’invoquent souvent les autorités politiques qui veulent protéger des consommateurs inconscients contre le mauvais sort !

Alors que trois mois se sont déjà écoulés depuis la faillite FTX, il n’apparaît guère que la chute de la maison « SBF & C° » ait entraîné de grandes pertes chez les petits porteurs que vise l’appareil consumériste qui protège les parieurs imprudents ! Certes, quelques plates-formes, partenaires d’Alameda et de FTX, devront éponger leurs pertes ; mais aucun trouble majeur n’a secoué ni la place de New York ni d’autres grandes places ; pas de contagion, pour le moment, aux bourses de valeur ni aux marchés monétaires. L’effet domino (que l’on baptise parfois : « systémique ») n’a pas eu lieu, jusqu’à ce jour. Cette faillite devrait donc, à l’échelle historique, être un accident moins dramatique que ne l’ont cru la majorité des commentateurs depuis novembre 2022[8].

Marquée par les ordinateurs, par les téléphones portables, par des réseaux mobiles, par les réseaux sociaux et par les plates-formes d’intermédiation, « L’ère du numérique » est coutumière d’essais et d’erreurs constants d’où émergent, à la longue, ces pépites qui marquent notre siècle : les GAFA, dont chacun se sert chaque jour, en sont l’étendard[9] ! Une interrogation s’impose donc : cette faillite n’est-elle qu’un incident de parcours comme on en relève dans toute l’histoire économique ? Au cours du XIX° siècle, par exemple, la sidérurgie, les réseaux ferroviaires, l’industrie chimique, le pétrole et la pétrochimie furent accompagnés par une floraison d’entreprises dont beaucoup disparurent prématurément. Il en fut de même depuis la naissance de l’industrie automobile, de l’électromécanique et de l’aviation au XX° siècle[10]. Et, plus proche de nous, le long de la Route 128 de la région de Boston, là où fleurirent tant d’entreprises d’électronique et d’informatique dont une grande partie disparut en moins de dix ans. Faut-il alors vraiment s’inquiéter du sort de FTX ?

Disruption des intermédiaires financiers

Au lendemain de la grande crise de 2007-2008, le Bitcoin, premier système de paiement décentralisé, s’affranchit des intermédiaires financiers en exploitant la cryptographie moderne, mise en œuvre sur des ordinateurs portables ; ce système offre une sûreté technique qui dispense de faire appel au banquier ; cet intermédiaire n’est plus nécessaire pour échanger des signes monétaires. Sa chaîne de blocs qui enregistre toutes les transactions effectuées en Bitcoin en est le grand livre, accessible à tous, partout et à tout moment[11].

Ce système a fait école. Il est aujourd’hui reproduit sous de multiples formes, avec un très grand nombre de variantes (par dizaine de milliers, semble-t-il, à travers le monde) dont seulement quelques dizaines sont exploitées à une large échelle. Et pourtant, les usages réellement monétaires de Bitcoin et des autres jetons monétaires sont peu nombreux et de faible diffusion dans le grand public ; la réticence manifeste de nombreux États n’a pas facilité les choses car, depuis des siècles, la monnaie reste l’un des attributs traditionnels du Prince qui protège son monopole d’émission dont il tire de nombreux avantages, politiques, financiers et fiscaux et qu’il n’est disposé à partager avec personne !

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Vauchot 17 août 2023 - 5:31 am

Article très instructif. Félicitations.

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