Institut de Recherches Economiques et Fiscales

Faire un don

Nos ressources proviennent uniquement des dons privés !

anglais
Accueil » L’incessante quête d’un ordre monétaire libre

L’incessante quête d’un ordre monétaire libre

Cet article est extrait du Journal des libertés n°20 (printemps 2023)

par
1 091 vues
Pourtant, une preuve directe peut éclore dans un futur proche en raison de développements qui, au sein du système actuel, pourraient faciliter l’émission d’une monnaie à pouvoir d’achat constant.
M. Friedman et A. Schwartz (1987 : 298)

Les monnaies dites cryptographiques sont parfois considérées comme une « révolution » mais aussi souvent comme une mystification. Nous soutenons ici qu’il ne s’agit ni de l’une ni de l’autre : les cryptomonnaies sont plutôt l’émanation d’une évolution dont le processus fut expliqué avec perspicacité par Friedrich Hayek. Nous avançons une réflexion concernant la puissance innovative qui aiguillonne la tendance ascendante de l’utilisation des cryptomonnaies. La concurrence, vue comme un processus endémique, a le potentiel nécessaire pour améliorer les réponses aux défis récurrents qui émergent de l’avancement de la technologie en tout domaine, y compris le domaine monétaire.

La concurrence permet aussi d’offrir des solutions adéquates aux enjeux plus profonds de nature institutionnelle. Par les découvertes entrepreneuriales, le processus de marché est enclin à susciter et promouvoir des améliorations sur le plan institutionnel. Le domaine monétaire n’en fait pas exception car le processus de marché est partie intégrante de l’évolution monétaire. En dépit des obstacles, des incidents, voire des paniques, ce processus est à même d’engendrer un ordre monétaire libre, beaucoup mieux adapté que le système de banque centrale pour produire des monnaies saines.

Afin de saisir le sens principal de l’évolution monétaire, laquelle ne peut être appréhendée que sur le très long terme, il faut d’emblée centrer l’attention sur ce qui est au cœur de tout système monétaire, c’est-à-dire la confiance. L’argumentation prend appui sur les analyses convergentes de C. Menger (1892) et G. Simmel (1978 [1907]). Les deux auteurs ont mis l’accent, parmi d’autres visions ultérieures concordantes (L. Infantino 1998, Chap. 6), sur la nature de la monnaie comme institution sociale organique et sur la thèse que la confiance monétaire se constitue et se forge à travers un processus évolutionnaire spontané.

L’offre de la confiance monétaire         

L’histoire fait valoir le constat que la confiance monétaire n’est jamais acquise une fois pour toutes. Pourtant la monnaie est par essence une affaire de confiance, de foi (fides).

  1. L’émergence de la confiance monétaire

Depuis Aristote (Éthique à Nicomaque, livre V) il est reconnu que la monnaie est intimement liée aux actes d’échange qui lui sont préalables. Elle est un medium ou médiateur dans les échanges ; dans son rôle d’unité de compte elle exprime la commensurabilité des biens échangés et, dans l’intervalle plus ou moins long, de l’acte d’échange qui se décompose en vente et achat, elle sert aussi de réservoir de valeur (la chrématistique commerciale selon Aristote). Dans les temps anciens, des objets de toutes sortes et formes ont pu accomplir ces fonctions : des produits naturels y compris des produits d’origine animale, ou des produits fabriqués tels que le tissu, des hachettes en cuivre, des disques de bronze, et une multitude d’autres biens potentiellement échangeables. La propagation de ces opérations de troc indirect — troc  passant par des biens intermédiaires — a fait ressortir les biens qui étaient les plus promptement et les plus généralement discernables par leurs qualités de substituts à une recherche coûteuse d’information sur les caractéristiques de ces biens (A. Alchian 1977, K. Brunner et A. Meltzer 1971).

En finalisant les échanges, les acteurs à travers leurs interactions ont eux-mêmes contribué à faire émerger les biens qui présentaient les plus grands degrés de potentiel d’échange, qui étaient les plus commercialisables (C. Menger1892, R. Jones 1976, N. Kiyotaki et R. Wright 1989) — i.e. ces biens qui exhibaient l’écart le plus faible entre leurs prix d’offre et leurs prix de demande. Parce que l’utilisation de ces biens intermédiaires fut continuellement répétée et admise, elle fut apte à asseoir sa nature institutionnelle (informationnelle), accentuant la confiance des acteurs de la vie économique en ces moyens (media) d’échange, autorisant ainsi à qualifier l’économie de « monétaire ». L’élargissement du groupe de ces utilisateurs de monnaie se forma en corollaire de l’extension des échanges volontaires qui à travers le temps firent naître une régularité de comportement synonyme d’ordre car exprimant une manière de résoudre pacifiquement les différends et de rendre les agissements humains non erratiques.

  1. La confiance au-delà du métal

Bien que la monnaie devînt très vite un enjeu d’ordre politique, les souverains et le pouvoir politique ne certifièrent la monnaie et ne s’en portèrent garants qu’après que quelque chose eut spontanément été acceptée à travers les pratiques privées des échanges de marchandises. La toute-puissance politique a ensuite contribué à imposer et étendre la circulation de la monnaie revêtue de son sceau jusqu’à faire croire aux gens qu’elle en édictait la valeur. La singulière histoire des monnaies métalliques en est une illustration.

Il n’est que d’évoquer la prééminence du statère d’or circulant tout autour du bassin méditerranéen à la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand et la propagation du solidus aureus dans toute l’Europe sous l’Empire de Constantin 1er. Mais le fait est que le métal monétaire est matière à confiance au-delà du métal lui-même. À Malte, sur d’anciennes pièces de bronze frappées de 1566 jusqu’à 1827 par l’Ordre de Saint-Jean était gravée la devise « Non aes sed fides » (Pas le bronze mais la confiance). A fortiori la monnaie pliante exige-t-elle la confiance pour pouvoir circuler. Durant la Révolution française et la période des assignats quelque 80 communes ainsi que nombre de commerçants émirent des bons dénommés « billets de confiance » pour pallier le manque de petite monnaie, et de nos jours nous pouvons encore lire sur les pièces et billets de banque des États-Unis « In God we Trust ».

La confiance s’appréhende encore dans l’étroite connexion qui a toujours prévalu entre la monnaie et le crédit. Leur affinité conceptuelle fut montrée par K. Wicksell (1898 [1965]) dans ses abstractions monétaires théoriques d’économie de crédit pur et d’économie de crédit organisé. Il n’en demeure pas moins que, au-delà du prêt en monnaie, les concepts de monnaie et crédit encapsulent tous deux de la confiance qui est véhiculée dans le déroulement des activités économiques.

Lire la suite

Abonnez-vous à la Lettre des libertés !

Vous pouvez aussi aimer

Laissez un commentaire