Chaque année, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac (31 mai), Santé publique France délivre ses statistiques sur la consommation de tabac. Sauf en 2022. Cette année, nous avons eu droit à une étude sur « Les professionnels de santé de soins primaires en Ile-de-France face à la prise en charge du tabagisme de la personne âgée » dont l’intérêt est, il faut bien le dire, très limité pour le commun des mortels.
Il semble qu’il faille attendre la fin de l’année 2022 pour avoir des données sur la prévalence du tabagisme en 2021. Presque un an pour analyser les chiffres : complexité de la tâche ou lenteur de l’administration ?
En revanche l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) a publié, en temps et en heure, sa note « Tabagisme et arrêt du tabac en 2021 ». On y apprend que les ventes de tabac dans le réseau des buralistes de France continentale ont enregistré une baisse de 6,6 % en 2021 par rapport à 2020. Depuis le début des années 2000, les volumes des ventes ont diminué de moitié, passant d’environ 92 000 tonnes en 2000 à 43 000 tonnes en 2021.
Cette baisse des ventes atteint même plus de 15 % dans les départements des Ardennes, de l’Ariège, de la Moselle et du Nord. Il faut dire que ce sont quatre départements frontaliers où les habitants vont s’approvisionner en Allemagne, au Luxembourg, en Andorre, en Espagne ou en Belgique. L’OFDT reconnaît, en effet, que les hausses de prix pratiquées ces dernières années ont modifié les comportements d’achat des fumeurs qui achètent de plus en plus souvent leur tabac en dehors du réseau des buralistes, soit de façon légale à l’étranger ou en duty free, soit de manière illicite en dépassant les volumes autorisés à l’achat à l’étranger ou ayant recours au marché de contrebande qui tend à s’étendre et à se rapprocher du trafic de stupéfiants.
Avec les confinements de 2020, les saisies des douanes avaient baissé. Elles sont reparties à la hausse en 2021 avec 402 tonnes confisquées, soit près de deux fois plus qu’en 2000 (219 tonnes). Une hausse des saisies qui va probablement de pair avec une hausse des trafics.
Augmenter le paquet de cigarettes à 20 euros
C’est sans doute informés de cette augmentation du commerce illicite favorisée par la hausse du prix des cigarettes que des médecins ont proposé, dans une tribune parue dans Le Monde, que le prix du paquet soit doublé pour atteindre 20 €.
Ces hygiénistes – qui s’attaquent aussi à l’alcool, à l’alimentation, à l’automobile, bref à nos libertés – estiment, en effet, que le tabac tue un consommateur sur deux et qu’il convient d’en décourager la consommation par le prix. Le professeur Bernard Basset, médecin spécialiste en santé publique, président de l’association Addictions France et signataire de la tribune, est même persuadé qu’on doit interdire la cigarette dans l’espace public – les terrasses des cafés et restaurants sont dans son collimateur – et limiter l’usage du tabac à l’espace privé.
Il est probable qu’un paquet de cigarettes à 20 € convaincra certains de cesser de fumer. Néanmoins, on peut se demander si d’autres mesures ne seraient pas plus efficaces. Car doubler le prix du paquet de cigarettes ne ferait que pénaliser les moins aisés des Français (un tiers d’entre eux fumaient en 2020) déjà largement touchés par la hausse des prix. Et cela n’aurait que peu d’effet sur leur consommation de tabac. C’est ce qu’a compris le gouvernement néo-zélandais.
L’exemple de la Nouvelle-Zélande
En effet, la Nouvelle-Zélande a décidé d’arrêter d’augmenter le prix des cigarettes, car, comme le déclare Ayesha Verrall, ministre associée de la Santé, « aller plus loin n’aidera pas les gens à arrêter de fumer, il ne fera que punir davantage les fumeurs qui ont du mal à arrêter de fumer ». Les prix, reconnaît-elle, pèsent surtout sur les ménages les plus pauvres où la consommation de tabac est plus répandue.
C’est un revirement complet de politique dans un pays où le prix du paquet de cigarettes est l’un des plus élevés au monde. Il coûte environ 18 €, en très grande partie parce que les taxes sur le tabac ont augmenté, en moyenne, de 11 % par an entre 2010 et 2020. Parallèlement, les gouvernements ont mis en œuvre toute une série de mesures, similaires à celles que l’on a en France, visant à rendre le tabac et les marques moins visibles. Cette politique a eu des résultats puisque la prévalence tabagique en Nouvelle-Zélande a été divisée par deux en vingt ans, passant de 25 % en 2000 à 11,6 % en 2020.
Mais ces chiffres cachent de nombreuses disparités. Ainsi presque 29 % des Maoris et 18,3 % des Polynésiens fumaient quotidiennement en 2020 tandis que ce taux était proche de 10 % pour la population d’origine européenne.
Désormais, l’évolution du prix des cigarettes sera limitée à l’inflation et le gouvernement a développé une stratégie pour convaincre les fumeurs d’arrêter de fumer ou de passer à des produits sans combustion. En pratique, cette nouvelle législation différencie clairement les produits sans combustion des produits conventionnels du tabac et reconnaît ainsi le rôle que les premiers peuvent jouer dans la réduction de la prévalence tabagique.
Par exemple, la législation autorise les détaillants à afficher les messages suivants : « remplacer la cigarette par la vape réduit la nocivité pour votre santé » et « si vous fumez, vapoter est une option bien moins nocive ». Les produits sans combustion – cigarettes électroniques et tabac à chauffer – ne sont plus tenus d’avoir des emballages neutres et les avertissements sanitaires sont allégés. La fiscalité est également aménagée, puisque la cigarette électronique n’est pas taxée et que le tabac à chauffer bénéficie d’un écart de taxation de 66 % par rapport à la cigarette.
L’association ASH – fondée en 1983 par des professionnels de la santé avec pour objectif d’éliminer les décès et les dommages causés par le tabac – salue cette stratégie qui peut permettre d’atteindre l’objectif d’une génération sans fumée en 2025 « en accélérant le rythme de transition des cigarettes vers des produits sans fumée à faibles risques tels que les cigarettes électroniques ou les produits de tabac à chauffer ».
Peut-être est-il temps que la France s’engage à son tour dans une politique de réduction des risques. La nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, est-elle prête à ne pas mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs ?