Il y a cinq ans était votée la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Elle actait la suppression du numerus clausus ainsi que la fin de la « première année de médecine ». Ses effets ne semblent guère probants : la démographie médicale ne s’est pas suffisamment relevée pour que l’on puisse parler de succès et une forte proportion d’étudiants, recalés ou déçus, partent étudier à l’étranger. Le recul de la désertification médical n’est pas encore en vue.
En 1971, année de l’instauration du numerus clausus, le nombre de places annuelles pour les nouveaux étudiants en médecine avait été arbitrairement fixé à 8 600, un chiffre descendu à 3 500 dans les années 90. Le raisonnement, biaisé et délétère, était qu’en limitant le nombre de médecins, on limiterait la hausse des dépenses de l’Assurance maladie. Comme les chiffres vertigineux de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) le montrent avec obstination chaque année, il n’en fut rien. Non seulement la situation ne s’est d’aucune façon améliorée sur le plan financier,, mais elle s’est aggravée sur celui du personnel médical, une pénurie s’étant installée dans le pays, touchant majoritairement les zones rurales et urbaines.
C’est ce constat qui a poussé le législateur, et très précisément le président de la République, à prononcer, en septembre 2018, un discours sur la transformation du système de santé critiquant le gâchis des études médicales conçues de telle manière qu’elles privilégient le bachotage via l’utilisation récurrente du questionnaire à choix multiple par exemple. Afin de couvrir les besoins médicaux croissants d’un pays vieillissant, une profonde réforme des études de santé avait été annoncée, ainsi que la suppression du numerus clausus, sujet que l’IREF a déjà abordé, dont l’heure est venue de dresser le bilan.
Embrouillamini administratif et voie de garage
Avant la réforme, tous les étudiants devaient faire une première année commune aux études de santé (PACES), la fameuse « première année de médecine », qui avait enregistré 57 000 inscriptions en 2019. Ce système a été remplacé par deux voies distinctes : le parcours avec accès spécifique santé (PASS), successeur de cette « première année », comprenant des enseignements à dominante santé ; et la licence avec option accès santé (LAS), comprenant un cursus majeur hors santé et un cursus mineur santé. Cette seconde voie était censée offrir une passerelle vers d’autres options « santé », voire d’autres études, en cas d’échec à l’entrée en médecine. Un graphique de la Cour des comptes résume globalement cette organisation.
L’objectif de fournir un plan B aux anciens recalés de première année était louable. Mais mal pensé : certaines des matières enseignées n’ayant aucun lien avec la santé, il est devenu une sorte de voie de garage aiguisant le ressentiment des étudiants, déjà échaudés par le caractère incompréhensible de la sélection cachée qu’opère Parcoursup. Toujours selon la Cour des comptes, 95 % des étudiants inscrits en PASS avait formulé ce choix comme leur préférence première et notamment parce que la formation dispense surtout des cours de santé. En revanche 53 % des inscriptions en LAS sont subies et sont dues à l’absence de PASS dans l’université de l’étudiant (32%) ou l’échec à rentrer en PASS (21%).
Notons également que 79 % des étudiants échouant à passer en deuxième année continuant à se réorienter vers des études autres que la santé et ayant donc perdu une année.
Ajoutons que le modèle n’est pas uniforme selon les universités : certaines appliquent le système classique mais d’autres ne créent pas de filière PASS. La Cour le constate d’ailleurs : « Il existe aujourd’hui autant de systèmes d’accès aux études de santé que d’établissements »…
Pire, 10 % des recalés (le redoublement est interdit) vont à l’étranger pour étudier la médecine, la pharmacie, l’odontologie ou la maïeutique (ouvrant à une carrière de dentiste et de sage-femme), notamment en Espagne, en Belgique, en Roumanie et au Portugal.
… qui engendre encore des irrationalités dans l’allocation de ressources humaines du marché du travail
Une partie de l’objectif initial de la réforme a été atteinte, puisque le nombre d’étudiants inscrits en deuxième année a augmenté. Entre 2019 et la moyenne observée pendant la période 2020-2023, les effectifs d’étudiants atteignant le deuxième année augmente de 18% en médecine et de 14% en odontologie. Mais ce succès est trompeur, car il repose en partie sur le siphonnage des filières de la pharmacie et de la maïeutique ou le nombre d’étudiants admis en deuxième année baisse de 6 % et 4 %.
Par ailleurs, les réponses n’ont pas été apportées à désertification médicale. Dans la mesure où 72 % des médecins généralistes, et même 89 % des dentistes, décident de s’installer non loin de l’endroit où ils ont effectué leurs études, une solution serait d’intensifer la formation de nouveaux étudiants dans les universités des régions les plus touchées par la désertification médicale. Si les conditions d’entrée y étaient plus faciles que dans les régions les mieux dotées et que le redoublement y était autorisé, les recalés des premières années pourraient y tenter de nouveau leur chance via un effet mécanique des libres forces du marché du travail.
Il serait également nécessaire d’augmenter les places en deuxième année pour éviter la fuite des cerveaux vers l’étranger, et de simplifier l’organisation des études avec une seule voie d’accès à la deuxième année, en introduisant la sélection à l’université après le baccalauréat, soit sur concours, soit sur dossier.
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C’est pourtant simple d’organiser un recrutement avant la première année sur la base des résultats du baccalauréat et d’un entretien. Les deux sont indispensables. J’ai connu le temps, en tant que Professeur des Universités en sciences, de m’entretenir avec les “reçus-recalés” de médecine pour devenir étudiants en sciences. Ce n’est pourtant pas la même motivation ni la même carrière ensuite. Je crains que la première motivation des candidats en première année soit l’espoir d’un revenu élevé après leur doctorat! Pour devenir médecin, il fut d’abord aimer les gens et la médecine. Ce qui attire les futurs scientifiques, cela n’est pas l’argent. Ce n’est pas l’argent non plus qui doit attirer les futurs étudiants en médecine.