Dans les années 1970, les deux chocs pétroliers, la crise du fordisme et l’essoufflement global de l’économie française révèlent aux yeux du monde que les politiques économiques mises en œuvre pendant la période dite des trente glorieuses sont perverses à long terme. A partir de cette époque, le chômage de masse apparaît, représentant un coût social certain et impactant l’équilibre des finances de l’assurance maladie en réduisant son assiette. Le serpent de mer du « trou de la sécu » survient alors avec comme corollaire la nécessité de freiner la croissance des dépenses de santé.
En 1972, le numerus clausus, c’est-à-dire la fixation annuelle par décret d’un nombre maximum d’étudiants admis en 2e année, est instauré pour la médecine et l’odontologie puis en 1977 pour la pharmacie et les sage-femmes.
Le raisonnement du législateur était simple : limiter le nombre de professionnels permettrait de contenir le nombre d’actes pratiqués, protégerait le revenu des médecins et modérerait la progression des dépenses de l’assurance maladie.
Ce raisonnement ignorait entièrement les principes les plus rudimentaires de l’analyse économique et, sans surprise, les résultats de ce régime de quotas n’ont pas été ceux qu’escomptait le législateur puisqu’entre 1970 et 2019 (avant la crise sanitaire donc) la part de PIB allouée à la consommation de soins et de biens médicaux a bondi de 4 à 8,5 % et que le déficit de l’assurance maladie s’est installé comme une donnée récurrente des comptes des administrations publiques.
C’est ce constat d’échec qui a motivé le Gouvernement la suppression du numerus clausus en 2019, via le vote de la loi d’organisation et de transformation du système de santé.
Une réforme salvatrice effectuée dans un contexte de désertification médicale récurrente …
Au début de l’année 2021, 214 000 médecins dont 95 000 généralistes étaient en activité sur l’ensemble du territoire national. Mais, si depuis 2012 l’effectif global est demeuré stable, celui des médecins généraliste chute de 5,6 % à un moment critique où les générations de seniors issus du Baby-Boom partent à la retraite et sont de plus en plus consommateurs de soins.
Jusqu’en 1977, le nombre de places offertes par le numerus clausus était demeuré stable, aux alentours de 8 500, puis avait drastiquement baissé jusqu’à atteindre le chiffre de 3500 en 1993, pour ne dépasser son niveau initial qu’en 2020, année ou 9 300 places ont été ouvertes.
Une vallée de la mort de la démographie médicale de plus de 40 ans, mesurée par la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) et très bien illustrée par le graphique suivant :
Numerus clausus national pourvu en médecine depuis 1972 (Source : ONDPS)
Dans le même temps, le phénomène de désertification médicale s’est mécaniquement accéléré : du fait de la stagnation du nombre de médecins et de l’augmentation de la population, leur densité a diminué de 2,2 % entre 2012 et 2021 passant de 325 à 318 pour 100 000 habitants. La situation est encore pire s’agissant des généralistes dont la moyenne s’effondre de 153 à 140 pour 100 000 habitants.
De fait, les déséquilibres territoriaux s’accroissent entre les régions les mieux dotées comme la région PACA (377 médecins pour 100 000 habitants) et les territoires les plus ruraux. Toujours pendant la même période, le rapport entre le quart des Français les mieux et les moins biens dotés passe ainsi de 1,07 à 1,21.
… qui appelle à la mise en œuvre de mesures transitoires jusqu’en 2035
Bien que la mise en œuvre d’un numerus apertus, c’est-à-dire d’un quota minimum d’étudiants admis en 2e année de médecine calculé par Université, ait commencé à porter ses fruits (en 2021, le nombre d’admis en 2e année dépasse les 11 000, soit une augmentation de 19,5 % par rapport à l’année précédente), la réforme ne devrait pas produire d’effets avant 2035, la démographie médicale demeurant comprimée par le départ en retraite des générations arrivées avant l’instauration du numerus clausus et l’arrivée sur le marché du travail de médecins formés durant les dernières années de son existence.
Aussi le nombre de médecins en activité devrait-il diminuer de 2,4 % pendant la période 2020-2024 pour ne retrouver le niveau actuel qu’en 2030 (en 2035 pour les généralistes) et prendre son envol définitif en 2040 (+ 18 %) et 2050 (+ 36%), ainsi que le dépeint le graphique suivant (Rapport DRESS 2021) :
Si l’on tient compte de l’augmentation et du vieillissement prévisible de la population, la densité de médecins ne retrouverait son niveau actuel qu’en 2035, nécessitant la mise en œuvre de mesures transitoires pour les douze prochaines années.
Une solution autoritaire, auquel le législateur a déjà pensé, se doit d’être écartée comme attentatoire à la liberté médicale : la régulation administrative de l’installation des nouveaux médecins.
Aussi ne faut-il pas craindre d’adopter une technique de ruissellement en augmentant le numerus apertus et en saturant le marché du travail médical (tout en restant naturellement vigilant sur la qualité de la formation) : trop nombreux dans les zones urbaines, les médecins seraient obligés de se diriger vers des zones moins denses faute de patients.
Cette politique pourrait être couplée à l’application d’exonérations fiscales classiques et la facilitation de la création de maisons de santé aptes à rassembler les professionnels médicaux.
Il faut également recommander la suppression des cotisations retraites pour les médecins retraités continuant leur activité. Entre 2010 et 2022, le nombre de départs en retraite de médecins a plus que doublé, passant de 45 à 98 000 chaque année, seuls 19 456 personnes souhaitant demeurer en situation de cumul emploi retraite. Il s’agit donc d’un vivier dans lequel il sera nécessaire de puiser en attendant les effets positifs de la loi de 2019.
Si ces mesures transitoires peuvent, il faut l’espérer, nous « dépanner » face aux dommages engendrés par la régulation des marchés par les pouvoirs politiques, c’est sans doute dans une autre direction qu’il faudra chercher des solutions pérennes pour parvenir à un bon ajustement de l’offre et de la demande de soins, en termes de quantité mais aussi de qualité. Des solutions qui nécessiteront que l’on ôte au monde politique la gestion de la santé pour la remettre dans les mains des premiers concernés : les patients, les prestataires de soins, les assureurs et tous les acteurs de ce secteur extrêmement dynamique appelé à évoluer rapidement dans les décennies à venir.
10 commentaires
L’interventionnisme étatique incompétent a causé la pénurie de médecins que nous connaissons pour limiter la dépense de la sécu. Une responsabilisation des assurés par une diminution des remboursements aurait évité le vagabondage médical et permis un recours raisonné aux médecins. Le résultat est l’arrivée massive de médecins étrangers, qui ne compense hélas pas les manques !
je repense à mes copains qui ont préparé médecine au milieu des années 80 et qui pour la plupart n’ont pas pu passer en seconde année aprés avoir tenté deux fois le concours de passage, ils révaient pourtant d’être médecins mais les baby boomers pour protéger leur clientèle (oh pardon patientèle, client c’est capitaliste donc un gros mot) leur ont barré l’accés à leur métier avec la complicité active des politiciens,
la liste est longue des méfaits des boomers, inflation à deux chiffres pour payer leur prêt immobilier, retraite à 60 ans, puis départs en pré retraite à 55 ans parce qu’attendre les 60 c’était vraiment impossible, rendement des capitaux de 15% imposé pour leur payer de belles retraites, retraites financées par la dette et le chômage de masse des générations précédentes, et explosion de la rente immobilière pour là aussi leur garantir un capital confortable,
il faudra attendre 45 + 85 soit environ 2030 pour que la moitié de cette génération disparaisse ce qui marquera un point d’inflexion dans la politique du pays avec la disparition de cette clientèle électorale sur représentée…
Ce ne sont pas les « boomers » les responsables, en 1972/1973 j’ai du passer le concours (déja le numeris clausus (m^me si il était moins « important ») or ce numerus clausus a été mis en place par la génération précédente!
et donc à partir de 2030, le programme vraisemblablement sera, nettoyage de la dette par hyperinflation, effondrement de l’immobilier de 50% et arrivée au pouvoir de politiciens moins inféodés à un groupe particulier peut être…
Je crains bien que votre analyse soit un peu trop idéaliste. Vous laissez de côté un paramètre essentiel : la volonté politique claire, depuis au moins trente ans, de réduire à tout prix les dépenses de santé. Et cela sur ordre de la Commission Européenne (si, si, lisez les GOPE) ce qui nous est soigneusement caché. Nos énarques pensaient, et pensent toujours, que réduire le nombre de médecins, donc de prescriptions, allait mécaniquement faire baisser les dépenses. D’où la mis en place du numérus clausus. Une stupidité sans nom, ce ne sont pas les médecins qui coûtent cher, ce sont les maladies. Nos politiques actuels n’ont nullement l’intention d’arranger les choses malgré les discours et les apparences. Ils détruisent sciemment l’hôpital, la médecine libérale et la médecine en général. Peut être bien pour finalement mettre toute la santé dans les mains de grands groupes financiers. C’est ce qui se passe pour les EHPAD et pour les laboratoire de biologie en ville. Ces derniers sont dans la nasse de ce genre de groupes qui se moquent complètement de la santé des gens, il s’agit de faire de substantiels bénéfices. Et l’État semble bel et bien complice.
C’est exactement le contraire. Les dépenses de santé ne cessent d’augmenter, on est même premier en Europe. https://fr.irefeurope.org/publications/les-pendules-a-lheure/article/sante-plus-on-depense-plus-les-francais-sont-mecontents/
Non Monsieur Lecaussin. Les dépenses de santé qui augmentent sont dues uniquement à la mise en place d’un système administratif délirant et pléthorique. Il ne vous a tout de même pas échappé qu’il y a de moins en moins de soignants et que le gouvernement ferme des lits à tour de bras. Il faut payer les salariés de la HAS, des ARS (inutiles et nuisibles), sans parler de ceux de la Sécurité sociale, une masse salariale monstrueuse. Ce sont eux qui grèvent le budget, certainement pas les soignants.
je n’ai pas dit le contraire ! Mais c’est complètement faux de dire qu’il y a moins d’argent ! Il y’en a même trop ! Sauf qu’il est mal dépensé…Puis, ne pas oublier les 35h à l’hôpital la catastrophe.
Un élément ignoré dans cet article dont je partage par ailleurs l’analyse. Il s’agit de la féminisation de la profession médicale. Une fois le diplôme acquis, un certain nombre exerce à temps partiel ou dans des branches administratives. Ceci n’est pas une critique anti féministe, mais seulement un constat dont chacun pourra analyser les causes à l’aulne de ses choix de vie.
Le numerus clausus n’a pas été mis en place uniquement pour des raisons financières! car le conseil de l’ordre et les médecins in stallés y étaient généralement favorable les années 70 car à l’époque on ne consommait pas de la santé comme de nos jours, on n’avait pas tous les droits! on n’allait pas voir le médecin pour des « conneries » et en 1980 (ma génération on parlait de choimage pour des médecins généralistes…par ailleurs la population n’était pas la m^me eh oui.. et cela n’était pas prévisible (sauf par l’extrème droite.. donc la demande était moindre, en service de porte en tant que faisant fonction d’interne ne 1979 je ne voyais pas l’afflux que l’on voit de nos jours… la profession elle m^me n’atait pas la m^me un faible taux de feminisation (la féminisation est très bien mais généralement charges de famille aidant le « rendement » est moindre, avec moins de jours de présence…et nos jeunes camarades 35 heures dans la population aidant ne veulent plus être taillable et corvéables à merci, on est passé dans les campagnes de généralistes disponibles H24 logeant sur place à des présences de 3/4 jours tout cela n’a pas été anticipé!
de plus vous envisagez les retraités, mais en médecine générale, vu les conditions d’exercice nombre de médecin dès la cinquantaine pense à quitter! ou se reconvertir (salariat etc.)
les déserts médicaux sont partout, mais mêm avec de sincitations aller dans une banlieu ou m^me le spoliciers ne rentrent plus ou alors habillés en tortue ninja… ne pas rêver! quand à la camapgne, il n’y a plus de services publiques, plus de commerce plus d’école!
c’est toute la santé qu’il faut revoir, cela fait des années que l’on parle de délégation de taches.. mais voila notre corporatisme nous fait refuser cette délégation alors que quand je vois certain suivis de diabète et certaines surveillances de traitement anticoagulant, je me dis que ma concierge bien formée ne ferait pas mieux mais vraisemblablement pas plus mal! un grand nombre de taches devraient être dévolues à des infirmiers
Par ailleurs il n’échappe à personne que le snombre de médecins en formation est tributaire du nombre d eterrain de stage (nombre de lits) or on a fermé ces dernières années des lites à tour de bras, alors que déja à mon époque on manquait de terrain de stage et on pouvait faire une partie de sa formation dans des stages bidons, certes il y a des outils de simulation pour le gestuelles c’est impeccable, mais la médecine c’est aussi le contact avec le patient, le dialogue et cela cela nécessite lits de patients et encadrement de qualité… ce qui peut faire défaut
privatiser sous prétexte que c’est plus efficace cela reste à démontrer, tuteur de ma tante j’ai du la faire admettre en institution spécialisée (d’un groupe ayant fait parler de lui) j’ai vu c’était beau mais outre des facturations de soins indus (kinésithérapie avec kinesithérapeute n’existant pas si si) les mutuelles? les lunettes prises en charge un scandale des opticiens qui facturent en fonction de la mutuelle (c’est du vécu) et le tarif des mutuelles est élevé alors qu’elles n’interviennent pas dans tout ce qui ressort des affections longue durée (cancers entre autre) car elles sont prises en charge à 100% autrement dit les dépenses de santé les plus lourdes n’ont pas d’impact sur le smutuelles les quelles sont très bien gérées, exemple: Richard Ferrand, 60 ans, etait soupçonné d’avoir usé de sa situation de directeur général des Mutuelles de Bretagne, de 1998 à 2012, pour favoriser sa compagne, l’avocate Sandrine Doucen, lui permettant d’acheter en 2011 un bien immobilier à Brest sans débourser un centime mais il y a prescription.. donc le privé oui mais…