Trop gros, trop lourd, trop long, trop complexe, le code du travail français est devenu depuis longtemps illisible. Cette illisibilité génère une incertitude qui a un coût pour les entreprises et qui est ainsi source de « non embauches », c’est-à-dire in fine de chômage. A cet effet, Robert Badinter s’est vu confier la tâche de poser les bases d’un droit du travail simplifié. L’ancien Garde des Sceaux a ainsi remis le 25 janvier son rapport au Premier Ministre.
Se dirige-t-on enfin en France vers une simplification du Code du travail qui pourra libérer le potentiel de création d’emplois par les entreprises ?
Rien n’est moins sûr.
On pourrait évidemment se gausser d’un énième rapport qui donnera lieu à une énième commission. Après les rapports Attali & Co., la France a effectivement l’art d’accumuler rapports officiels qui finissent par caler les armoires de sa technocratie. Que fera-t-on de celui-ci ? Quelle garantie que ses recommandations soient appliquées ? Mais d’ailleurs que valent-elles ?
Rentrons en effet dans le vif du sujet. Robert Badinter propose de repenser le droit du travail autour de pas moins de… 61 principes fondamentaux. Pour une entreprise de simplification, commencer avec un tel nombre de principes fondamentaux, auxquels viendront logiquement se greffer des principes « secondaires », exceptions et autres, voilà qui a de quoi susciter des doutes légitimes sur le sens donné ici au terme de « simplification ».
L’IREF a montré que tous les ans, plus de 10% du contenu du Code du travail change : il faut donc le réduire considérablement et le stabiliser afin d’arriver à quelque chose de semblable à la Suisse où il n’existe pas un Code du travail comme en France. Les textes sont organisés de manière différente. En revanche on peut évaluer le nombre d’articles sur le travail à environ 200. Jean-François Besson, le secrétaire général du Groupement transfrontaliers européen qui représente les travailleurs frontaliers franco-suisse affirme qu’en Suisse « le code du travail ou le code des obligations donne simplement un cadre minimum. Un seul exemple. Le temps de travail, c’est 45 heures alors que dans la pratique, la plupart des entreprises ont des accords ou des conventions collectives qui tournent autour de 42 heures ».
De même, les articles du Code du travail donnant trop de pouvoir au juge en matière de fixation d’indemnité de licenciement génèrent une incertitude trop importante pour les entrepreneurs qui souhaitent embaucher : il s’agirait de les supprimer.
La simplification ultime serait de reconnaître en principe fondamental la force du contrat, c’est-à-dire la volonté des parties. Mais nous sommes en France, pays où pour beaucoup de technocrates, la formule de Lacordaire, dévoyée, « c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère » vient servir de référence. Et le droit, c’est l’État en définitive.
Ainsi le SMIC (salaire minimum) sera toujours fixé par « la loi ». Dans un pays si divers en termes de territoires économiques aux niveaux de développement si divergents, garder un SMIC, par définition centralisé (et relativement élevé, à plus de 60% du salaire médian) paraît une aberration du vieux 20ème siècle. Non qu’il faille défendre une quelconque « paupérisation » du travail, mais il existe dans ce pays des villes, des banlieues, des villages où il est tout simplement impossible de payer le SMIC à un employé parce que la petite taille du marché local ne permet pas de rentabiliser une telle embauche.
En dépit d’assouplissement sur la « surfiscalisation » des heures supplémentaires le rapport propose de ne pas toucher aux 35 heures en tant que norme. Alors que dans certaines professions, notamment spécialisées, les 35 heures se sont révélées au mieux un casse-tête et au pire un échec, il ne faudrait surtout pas remettre en cause le dogme de Madame Aubry. On comprend que le sujet est politiquement risqué : il y a des symboles « sensibles ». Mais ici aussi, la simplification attendra.
Le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) est également conforté dans son statut de référence. Il n’est pourtant pas adapté à une économie et devient toujours plus complexe, avec un besoin de désintermédiation, d’exploitation d’opportunités entrepreneuriales toujours plus individualisées (comme le démontre la montée en puissance du statut d’auto-entrepreneur). En Allemagne par exemple les entreprises de moins de 10 salariés ont une totale liberté d’embauche et de licenciement : il n’y a pas d’obligation de CDI. Poser à nouveau le CDI comme la norme et le CDD comme une quasi exception tolérée participe donc d’une vision encore une fois technocratique de l’entreprise et du marché du travail.
La réforme de la simplification part donc mal. Mais il y a plus. En effet son sort sera discuté par une commission de « partenaires sociaux »… avant qu’eux mêmes ne soient réformés dans le sens de la responsabilité : on conçoit donc à peu près quel sera le résultat de leurs discussions.
Enfin la réécriture du code du travail prendra deux ans… Deux ans : voilà qui laisse une impression que l’on fait patienter en faisant semblant de s’occuper des problèmes des français. C’est encore de la « réformite », un mal bien français : on discute ad nauseam de la réforme pour mieux reculer sur les vraies réformes. Y aurait-il des présidentielles en 2017 ?
L’élite française est donc toujours dans le choix de l’encadrement essentiellement étatique des relations de travail. C’est le choix de ne pas faire confiance aux français. Et c’est le choix du chômage.
2 commentaires
Le code du travail repensé par un vieillard de près de 90ans
Il est totalement hallucinant de confier la modernisation du contrat de travail à un vieillard de près de 87 ans qui n'a plus travaillé depuis près de 30 ans sachant qu'en plus il n'a jamais travaillé dans des entreprises privées de toute sa vie … Il n'y a que des socialistes qui peuvent avoir une telle démarche
statut des Responsables
Quel est le statut personnel (son contrat de travail – durée, l'assurance de son bulletin de salaire – payé) de chacun des Partenaires sociaux ? Est-il serein sur son propre futur ? PAS une attaque de ceux qui s'engagent mais une question de proportion/représentation de ceux qui décident.