Il y a trente-cinq ans, la Roumanie se trouvait à un carrefour. La Révolution a mis fin à des décennies de régime oppressif et a ouvert la voie à une transition ambitieuse vers la liberté économique. Ce chemin a été semé d’embûches—corruption, inefficacité, et revers—mais marqué également par des étapes importantes telles que l’adhésion à l’UE, des investissements étrangers transformateurs, et l’émergence d’un secteur technologique dynamique. Aujourd’hui, l’économie roumaine se distingue par la croissance de son secteur technologique et son développement industriel, bien que l’on déplore encore des disparités régionales et des infrastructures obsolètes.
En 1989, l’économie de la Roumanie était en détresse. Des décennies d’industrialisation forcée avaient laissé le pays avec des industries dépassées, de graves déséquilibres sectoriels et une pauvreté répandue. Le début des années 1990 a été marqué par l’instabilité, les mesures populistes pour stimuler la consommation ayant entraîné une baisse de la production et un effondrement des exportations. En 1992, le PIB avait baissé de 41,45 milliards USD en 1989 (ce chiffre est contesté car la productivité économique a souvent été largement surestimée par le régime communiste) à 28,85 milliards USD, soit une baisse de 30,4 %, tandis que l’inflation atteignait 210 %. Les privatisations qui s’opèrent  au cours de cette période ont souvent profité aux élites locales plutôt qu’à la création d’un marché concurrentiel. Les accords avec le Fonds Monétaire International (FMI) ont imposé une discipline budgétaire mais ont aussi suscité des troubles sociaux, les citoyens ordinaires supportant le poids des mesures d’austérité.
Un tournant a eu lieu à la fin des années 1990, lorsque la Roumanie s’est ouverte aux investissements directs étrangers (IDE). Des entreprises comme Renault et Romtelecom ont revitalisé des industries clés et intégré la Roumanie aux marchés internationaux. Les IDE ont augmenté, apportant du capital, une expertise managériale et un accès aux chaînes d’approvisionnement mondiales. La privatisation de Dacia et sa reprise par Renault en 1999, suivie du succès de la Dacia Logan, a souligné le pouvoir transformateur des investissements stratégiques. En 2008, les flux d’IDE ont atteint un pic de 9,5 milliards d’euros, faisant de la Roumanie un leader régional en matière d’attraction de capitaux étrangers.
Le processus d’adhésion à l’UE, finalisé en 2007, a agi comme un catalyseur de réforme dans un pays où l’introduction d’un impôt forfaitaire fin 2004, fixé à 16 % pour les revenus personnels et les bénéfices des sociétés, stimulait la croissance économique en simplifiant le système fiscal et en augmentant la conformité. Depuis 2018, cet impôt forfaitaire a été réduit à 10 % pour les revenus personnels, reflétant des ajustements visant à maintenir la compétitivité et répondre aux défis budgétaires. Cette politique a en effet permis d’augmenter les recettes publiques et d’attirer des investissements étrangers. Entre 2000 et 2006, la Roumanie a réduit son déficit budgétaire de -4,6 % du PIB en 2000 à -2,1 % en 2006, tandis que l’inflation baissait de 45,7 % à 6,56 %. La prudence budgétaire et les efforts de modernisation ont redéfini le paysage économique de la Roumanie. Le secteur industriel, soutenu par des investissements étrangers, est devenu un moteur de croissance. Dacia, revitalisée sous Renault, est devenue le principal exportateur de la Roumanie, produisant plus de 300 000 véhicules par an en 2009. Parallèlement, le secteur des technologies de l’information affichait une forte dynamique, passant de moins de 5 % du PIB en 2010 à près de 10 % en 2024, stimulé par des incitations fiscales et l’innovation entrepreneuriale.
En 2008, la Roumanie a introduit des réformes significatives dans son système de retraites, y compris un deuxième pilier de pensions privées obligatoires. S’il était initialement prévu que ces contributions atteignent 6 % des salaires bruts avant 2016, elles en représentent actuellement 4,75 % et le gouvernement s’est engagé à ce que les 6 % soient atteints au cours des six prochaines années. Avec environ 30 milliards d’euros investis dans les fonds de pension privés et des rendements annuels moyens de 7,82 % entre 2008 et 2024 (contre une inflation moyenne de 4,35 %), ce système contribue à fournir un horizon plus serain pour les futurs retraités.
La crise financière mondiale de 2008 a révélé les vulnérabilités structurelles de la Roumanie. Le PIB a baissé brusquement, passant de 174,59 milliards USD en 2007 à 122,02 milliards USD en 2009, soit une contraction de 30 %. Le chômage est passé de 6,41 % en 2007 à 6,86 % en 2009, reflétant les défis économiques de la période, et des mesures d’austérité—y compris des augmentations d’impôts et des réductions de salaires dans le secteur public—ont été nécessaires pour stabiliser l’économie. En 2011, le déficit budgétaire s’élevait à -5,6 %, s’améliorant à -0,5 % d’ici 2015. Les investissements étrangers, qui avaient diminué pendant la crise, ont rebondi, avec des IDE cumulatifs dépassant 88 milliards d’euros en 2019. Des secteurs clés tels que l’automobile, l’énergie et le développement de logiciels ont consolidé le rôle de la Roumanie dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Après 2015, la Roumanie a connu une forte croissance économique, souvent supérieure à la moyenne de l’UE. Le PIB est passé de 178,85 milliards USD en 2015 à 251,68 milliards USD en 2019, soit une augmentation de 40,7 %, avec un taux de croissance annuel moyen d’environ 7 %. Cette croissance a été alimentée par des exportations solides, une consommation en hausse, et un secteur des technologies florissant. Même la pandémie de COVID-19—facteur de reculs en 2020—n’a que brièvement freiné les progrès. En 2023, l’économie avait atteint 350,77 milliards USD, avec un déficit budgétaire de -6,5 %. Un indicateur qui pourrait donner une meilleure idée des progrès du pays est le PIB par habitant PPA, estimé par la Banque mondiale à 47 903 dollars à la fin de 2023. Le chômage a diminué de manière constante, passant de 6,95 % en 2014 à 3,91 % en 2019. Cependant, il a augmenté à 5,59 % d’ici 2022 en raison de l’impact économique de la pandémie. Le chômage des jeunes a suivi une trajectoire similaire, baissant de 24 % en 2014 à 16,29 % en 2019 avant d’augmenter à nouveau à 22,59 % en 2022. Malgré ces défis, les salaires réels ont augmenté de manière constante, réduisant les écarts avec l’Europe occidentale. Les investissements d’entreprises comme Renault et des géants des technologies de l’information comme Oracle et IBM ont ancré la position de la Roumanie en tant que pôle d’innovation et de production en Europe de l’Est.
Bien que ces réalisations soient significatives, le chemin vers une économie de marché libre prospère n’a pas été sans défis. La privatisation des actifs de l’État, bien qu’ayant attiré des investissements étrangers substantiels, a souvent manqué de transparence et bénéficié de manière disproportionnée aux élites. Le développement des infrastructures, en particulier dans les transports, reste en retard, avec seulement 1 253 km d’autoroutes en 2024, beaucoup moins que ses pairs régionaux. Les réformes éducatives demeurent une priorité urgente, la Roumanie étant confrontée à l’analphabétisme fonctionnel et à de faibles scores PISA. Les disparités régionales persistent, avec une grande partie de la croissance économique concentrée dans des centres urbains comme Bucarest et Cluj-Napoca, tandis que les zones rurales restent sous-développées, manquant d’infrastructures, d’éducation, et de soins de santé adéquats.
Les progrès de la Roumanie en matière de liberté économique, tels que mesurés par l’Index of Economic Freedom (IEF), reflètent un parcours complexe. Le score global du pays est passé de 50,1 en 1999 à un pic de 69,7 en 2017, mais a depuis diminué à 64,5 en 2023. Bien que la Roumanie ait fait des progrès dans des domaines tels que les droits de propriété et l’efficacité de la charge fiscale, des défis persistants en matière d’intégrité gouvernementale et de liberté des affaires continuent de freiner le progrès. Les scores en matière de liberté d’investissement et de commerce restent toutefois solides, soutenant l’intégration de la Roumanie dans l’économie mondiale.
En regardant vers l’avenir, la Roumanie est à un carrefour. Les bas coûts de la main-d’œuvre, en tant que source d’avantage comparatif, deviennent progressivement une chose du passé. Pour que la croissance soit durable, les infrastructures doivent être améliorées, le capital humain renforcé, et l’innovation encouragée. Trente-cinq ans après la Révolution, la transition vers le marché libre reste un chantier inachevé. Les accomplissements se distinguent, mais le parcours est loin d’être terminé. La réalisation complète du potentiel de la Roumanie nécessite un engagement envers la liberté économique et la bonne gouvernance de la part des décideurs politiques et des citoyens.
Les données précédant 2022 sont basées sur Murgescu, B., Năsulea, C., & Năsulea, D. (2022). L’Économie de la Roumanie après 1990. Dans L. Corobca (Ed.), Panorama du postcommunisme en Roumanie (pp. 346-361). Iași, Roumanie.
2 commentaires
J’ai effectué plusieurs missions en Roumanie dans les années 1990, et je suis heureux d’apprendre ce qu’elle est devenue. Comme tout le monde, j’avais remarqué le succès de Dacia mais je manquais de vue d’ensemble bien que je subodorais des imperfections de gouvernance. Et bien sûr les péripéties de la présidentielle sont inquiétantes.
Avec un regret : tout le monde était francophone dans les années 90, et les voyages effectués depuis semblent indiquer que ce n’est plus le cas, sauf en médecine et peut-être d’autres secteurs je serais heureux de me faire signaler.
Bonjour.
Il est intéressant de constater que la Roumanie communiste était francophone et que la Roumanie libérée de ce fléau ne l’est plus.
Un syllogisme amènerait à conclure que la France est un pays communiste 😉