Après des décennies de collectivisme péroniste peu interrompu, l’Argentine est à bout de souffle. En novembre 2023, les Argentins ont élu le libéral Javier Milei pour renverser les dirigeants et institutions corrompus en lesquels ils avaient perdu toute confiance. Le nouveau président a engagé une cure sévère d’austérité et de remise en ordre qui porte déjà ses fruits et il a conservé le soutien d’une majorité du peuple argentin. Mais la méfiance dans la monnaie nationale, le peso, persiste après de si nombreuses années d’inflation due à des excès incommensurables de dépenses publiques. Pour rétablir une stabilité monétaire, sans laquelle l’économie restera fragile, le nouveau président avait promis de « dollariser » l’économie, c’est-à -dire d’accepter que le dollar puisse officiellement remplacer le peso dans toutes les relations monétaires. Malheureusement, il a préféré pour le moment autoriser l’utilisation de monnaie ou actifs autres que la monnaie légale, sauf le dollar. Ce qui conduit certains dirigeants provinciaux démagogues à créer des monnaies « hélicoptères » et à les distribuer au risque d’encourager encore l’inflation. Le président Milei aurait mieux fait de respecter son intention initiale de « dollariser » l’économie.
La création de nouvelles monnaies « cadeaux » risquent d’aggraver la situation argentine
Bloomberg titrait mardi 3 Septembre 2024: « New Argentine Currency Launched to Offset Milei’s Shock Therapy ». De quoi s’agit-il ? La province de La Rioja – une des provinces d’Argentine les plus touchées par la cure d’austérité imposée par Milei – décide de lancer sa propre monnaie « Le Chacho », surnom d’une figure locale emblématique du 19ème siècle – Angel Vicente Penaloza, caudillo et chef militaire qui s’est soulevé contre le pouvoir central de Buenos Aires – dans une tentative désespérée pour essayer de relancer son économie moribonde. La province a fait faillite en février après que Milei a drastiquement baissé les transferts qu’elle recevait du gouvernement fédéral. En effet, 75% de son budget vient de la redistribution des recettes fiscales collectées par l’État fédéral et 67% de ses travailleurs sont des employés de l’État. La cure imposée a non seulement appauvri l’administration locale mais également ses habitants. Face à la crise drastique et dans l’incapacité d’emprunter sur les marchés, elle a réagi en élaborant un plan pour émettre des obligations – le Bocades – quasi-monnaie déjà émise dans le passé par les provinces. Ces obligations sont acceptées en paiement par les administrations locales pour le règlement des impôts et pour payer l’eau et l’électricité avec comme objectif d’être aussi acceptées par les entreprises privées. Il était question qu’elles soient échangeables contre des pesos auprès des banques publiques locales, mais il est difficile pour les banques d’honorer une telle promesse compte tenu de la raréfaction de la liquidité ! Finalement le gouverneur Ricardo Quintela – péroniste et fervent opposant à Milei – a donc opté pour l’émission d’une nouvelle monnaie – Il Chacho – émise en coupures de 50,000 et distribuée en bonus à tous les employés de la région. Les commerçants ne sont pas obligés de les accepter, juste encouragés, 1 Chacho = 1 peso. L’allocation a été remise en personne à tous les employés de la région ce qui a occasionné des files d’attente importantes mais un bonus équivalent à $40 dans une province où le salaire mensuel est de $240 n’est pas négligeable. Évidemment les récipiendaires se sont précipités pour les dépenser ce qui ne manquera pas de contribuer à alimenter la hausse des prix localement. D’ailleurs certains commerçants ont pris leurs précautions comme le rapporte Bloomberg en limitant le rendu de monnaie en pesos. En outre, ils doivent attendre deux jours avant de pouvoir les convertir en pesos et s’ils acceptent de les détenir jusqu’à décembre 2024, ils gagneront un taux d’intérêt de 17% (50% annualisés). Tout est bon pour permettre à l’administration locale de tirer profit des décalages d’encaissement et de décaissement ! L’état de pauvreté dans lequel a été plongé la région lui vaut souvent d’être comparé au Vénézuela. Ces nouvelles initiatives ont été facilitées par la levée partielle du cours légal en Argentine. En effet, depuis l’annonce en janvier 2024 par le ministre des Affaires étrangères Diana Mondino de la possibilité d’utiliser des monnaies ou actifs autre que la monnaie légale (Article 766), les Argentins peuvent rédiger leur contrat en n’importe quel moyen de paiement y compris les cryptomonnaies, sauf le dollar toujours sous la persistance du contrôle des changes. Et c’est bien le problème.
La dollarisation aurait été préférable
Même si on peut se réjouir que Javier Milei ait promulgué la loi levant  le cours légal, il ne le lève que partiellement compte tenu de la persistance contrôle des changes et c’est là que le bât blesse. La seule monnaie ayant le pouvoir de ressusciter la croissance en Argentine est justement le dollar. Pourquoi ? Tout simplement parce que le dollar est la « vraie » monnaie de l’Argentine depuis l’hyperinflation des années 1980. Le dollar est de fait la monnaie utilisée par les entreprises dans les affaires comme c’est également la monnaie que les Argentins utilisent pour acheter des biens immobiliers. C’est exactement ce qui avait motivé le plan de dollarisation élaboré par Emilio Ocampo, économiste libéral qui a soutenu la candidature de Milei, et que celui-ci n’a finalement pas adopté.
Pourquoi la dollarisation est-elle la mère des réformes? Parce qu’elle aurait permis la reprise économique. Le dollar est de facto la monnaie des Argentins parallèlement au peso, c’est une réalité économique. Il fallait juste l’entériner par la loi en le laissant circuler librement parallèlement au peso. Le plan de dollarisation n’était pas difficile à mettre en Å“uvre ! La stabilité du dollar – contrairement au peso – n’est pas mise en doute et c’est la raison pour laquelle il circule en parallèle depuis toutes ces décennies. La raison en est simple : le peso argentin détient un nombre record d’années de taux d’inflation élevé ; le taux d’inflation annuel a été en moyenne de 60% depuis les années 1940. L’Argentine n’a jamais réussi à trouver un arrangement institutionnel crédible pour réduire l’inflation. Elle a mis en échec toutes les tentatives d’indépendance de la banque centrale, elle a même fait échouer l’expérience de Currency Board (une caisse de stabilisation des changes reliant la monnaie nationale au dollar) – pourtant prometteuse – au début des années 1990 sous le gouvernement Menem. Dans un tel contexte, la population n’a aucune confiance dans la parole publique et s’est détournée du peso pour adopter le dollar comme monnaie des affaires. L’anomie dans laquelle l’Argentine se trouve ne permet aucune réforme institutionnelle : la parole publique n’est plus crédible. Il faut donc être pragmatique et prendre acte de la dollarisation de l’économie en laissant le dollar circuler parallèlement au peso. Cette solution a le mérite de faire réémerger les dollars thésaurisés par les Argentins d’autant qu’ayant subi à plusieurs reprises le gel de leurs comptes en peso et en dollars – le dernier épisode traumatique date de 2002 avec le corralito – ils ont appris qu’il vaut mieux les garder en dehors du système bancaire. Certain estime la valeur des dollars existant en Argentine à $100 milliards. Cette abondance de dollars contredit l’argument selon lequel l’Argentine ne pourrait pas dollariser compte tenu de réserves de change insuffisantes évaluées au début de la présidence Milei à peine à $4 milliards. Cet indicateur n’est pas significatif dans un pays de facto dollarisé.
Laisser le dollar réémerger dans l’économie officielle permettrait de détendre la forte contrainte sur la liquidité et aiderait à diminuer le taux d’inflation tout en permettant le financement de l’économie. La baisse drastique des dépenses publiques par l’État fédéral – via notamment la baisse des transferts vers les Provinces – a permis de réduire le rythme de l’inflation de 16% mensuelle à 5% en 2024. Les résultats atteints sont impressionnants mais au prix d’une sévère récession de -5% en rythme annuel et une forte remontée du chômage proche de 8%. La dollarisation officielle est la solution la plus rapide pour lutter contre l’asphyxie économique sans relancer l’inflation. Il permettrait aux Argentins d’apercevoir « la lumière au bout tunnel » essentielle pour accepter les sacrifices. Malheureusement les initiatives comme celle de la province de La Rioja ne sont qu’une illusion. « Il Chacho » n’est qu’une tentative désespérée des autorités locales pour continuer à dépenser en s’endettant auprès de leurs concitoyens en leur forçant la main pour accepter de la monnaie de singe qui n’a comme seul effet que celui de maintenir l’inflation locale plus élevée, la population la dépensant au plus vite malgré les promesses alléchantes de rémunération. Encore une belle illustration de la loi de Gresham : la mauvaise monnaie chasse la bonne !
3 commentaires
Ce type de « fausse monnaie » existait déjà en argentine dans les années 1980-90, elle s’appelait entre autre les « bonos », émis par les gouverneurs dans certains états. Les argentins avaient tellement peu confiance en cette monnaie qu’ils ne l’utilisait que très peu, elle ne circulait pas beaucoup dans les transactions. Le samedi pour faire circuler cette monnaie, étaient organisées des tombolas où un numéro de Bono était tiré au sort, et son heureux détenteur gagnait un lot… Tous ces expédients utilisés par les apprentis sorciers des gouvernements péronistes successifs mena à la catastrophe économique des années 2000 !
En parlant d’un « un bilan économique mitigé », les « journalistes économiques » en peau de lapin des Echos sont déjà en train d’éreinter le bilan de Milei (9 mois) sans aucune vergogne et surtout sans aucune mention des décennies de socialo-nationalisme à la Peron (là , les Echos ne parlent pas de bilan). Comme si un tel bilan à ce stade avait une quelconque pertinence…
Mon avis est que les questions sociétales et les postures outrancières de Milei ne servent pas la cause du libéralisme car elles sont intolérables aux yeux des « journalistes économiques » français, véritablement vérolés par le « progressisme » dans lequel ils baignent depuis leur naissance.
Si dollariser l’économie argentine est aussi facile et efficace que vous le dites, pourquoi Javier Milei ne l’a-t-il pas encore fait ? La question me semble on ne peut plus pertinente.
Pour ma part, je ne crois pas aux baguettes magiques et je suis tenté de penser que Javier Milei non plus. Autrement dit, pour être plus clair, que, de là où il est, il se rend peut-être compte que dollariser l’économie argentine n’est pas aussi facile et efficace que vous le dites.
Mais, encore une fois, la question ne demande qu’à être creusée.