Franck Riester, ministre de la Culture, a présenté les grandes lignes de son projet de loi de réforme de l’audiovisuel. Il satisferait les acteurs français de l’audiovisuel en leur permettant plus de publicité, notamment la « publicité segmentée, y compris géolocalisée » et une troisième coupure publicitaire autorisée dans les films et les téléfilms de plus de 90 minutes. Il autoriserait la publicité du cinéma à la télévision et plus de films sur le petit écran, notamment en supprimant les jours interdits dans la limite de 244 jours par an.
Mais la grande affaire de cette loi serait de modifier les règles en matière d’investissement des chaînes et des plateformes dans la création audiovisuelle et cinématographique. Les éditeurs étrangers hertziens ou numériques diffusant en France, comme Netflix, Amazon et bientôt Disney ou Apple, auraient les mêmes obligations d’investissement que les chaînes françaises et devraient à ce titre affecter 16%, voire plus, de leur chiffre d’affaires au financement d’œuvres françaises. A cet effet, ils seraient obligés de signer une convention d’investissement avec la nouvelle autorité issue de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Hadopi. S’ils ne le faisaient pas, ils ne pourraient plus émettre en France a dit le ministre.
Certes, il n’est pas certain que la loi et/ou la justice françaises valident une telle pratique consistant en définitive à bloquer l’accès des internautes à des sites qui ne contreviennent à aucune loi pénale. Mais si tel devait être le cas, il ne s’agirait ni plus ni moins que d’une politique despotique et policière. La France ferait ainsi la même politique que la Chine communiste qui surveille les sites accessibles sur son territoire, les expurge, les interdit…. Ça n’est pas vraiment ce qu’on appelle la liberté d’expression.
Certes, le gouvernement espère rallier les Français à cette politique en agitant le chiffon rouge des GAFA déjà surtaxés en France et le chiffon vert de la défense de la culture française. « Le sujet, ce n’est pas combien on ira prendre dans le portefeuille de Netflix ou de Disney, aurait dit un conseiller ministériel, mais de les faire entrer dans un système, de ne plus accepter cette distorsion de concurrence et tant pis si cela doit passer par la contrainte. C’est devenu une question de principe » (cf. L’Opinion du 4 septembre 2019). Sauf qu’en s’aventurant dans ces fanges des mesures autoritaires, la presse française et plus généralement toute expression via internet ou autre canal pourraient être muselées demain pour d’autres mauvaises raisons. Les journaux et sites gratuits, par exemple, pourraient être interdits ou soumis à des taxes exorbitantes pour ne pas nuire à la presse payante ! Et on pourrait nous empêcher bientôt d’écouter les radios étrangères qui n’auraient pas payé leur obole à l’Etat français !
Non seulement ces mesures seraient dangereuses, mais elles seraient également inefficaces. Netflix a naturellement intérêt à investir dans des contenus locaux pour contenter les 3,5 millions d’abonnés français de sa plate-forme de vidéos à la demande. En septembre dernier, son PDG, Reed Hastings, avait indiqué que sa société investissait déjà « plusieurs dizaines de millions d’euros » sur divers projets de séries françaises et l’achat de films et documentaires français, s’ajoutant aux précédents programmes hexagonaux déjà annoncés. Est-il vraiment nécessaire de le menacer d’une obligation d’investissement qui en l’état actuel représenterait environ 10 millions d’euros par an, soit un montant inférieur au budget programmé indépendamment de toute contrainte. Ironiquement, ce serait presque une perche tendue à Netflix pour investir moins.
Mais c’est la culture française qui n’imagine pas que les entreprises ou les particuliers puissent faire bien sans y être obligé par l’Etat. La réforme Riester offre quelques aménagements bienvenus au carcan culturel français, ce qui reçoit l’approbation compréhensible des acteurs français de l’audiovisuel, mais elle voudrait encore déterminer, par exemple, quelle part les chaînes audiovisuelles peuvent produire et quelle part elles doivent faire produire à des producteurs indépendants. Pourquoi doit-elle gérer la production audiovisuelle en lieu et place de ses acteurs professionnels ? Une bonne réforme serait celle qui rendrait leur liberté aux éditeurs, producteurs, diffuseurs… en laissant le public français dire ce qu’il attend au travers des audiences qui mesurent chaque jour la satisfaction des téléspectateurs.
La loi n’est pas encore votée, pas même finalisée. Le projet définitif devrait être présenté au conseil des ministres début novembre. Souhaitons que monsieur Franck Riester en profite pour revoir sa copie.